Nouvel acte dans la tragi-comédie de l’adhésion Turque. Les vingt-cinq ont en effet décidé de « geler » les négociations d’adhésion avec la Turquie, qui persiste à refuser d’ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions chypriotes, en violation de son accord d’union douanière avec l’Union européenne. Tout, dans cette affaire, est ambigu, hypocrite, voire mensonger, de quelque côté que l’on se tourne.
Côté Union européenne, on tente de faire croire à la fermeté, mais la sanction adoptée n’en est pas une. Le « gel » de huit des trente-cinq chapitres de négociations (les plus sensibles, et qui sont de toute façon au point mort depuis six mois), n’empêche nullement d’ouvrir les discussions sur les vingt-sept autres, ce qui sera d’ailleurs fait dès 2007. L’Union européenne feint également de prendre en considération l’hostilité croissante des citoyens européens au processus d’élargissement (46 % de favorables, en baisse, contre 42 % d’hostiles, en hausse), et a annoncé une pause, le temps, dit-elle, d’adapter ses institutions. Mais la pause est bien courte (trois ans) et seule la Croatie, qui comptait adhérer effectivement à l’Union dès 2009, en fera les frais. Dans le même temps où elle se plaint de ne pas être prête à de nouvelles adhésions, l’Union européenne se félicite des progrès enregistrés à 25, avec les traités actuels, dans des domaines comme l’immigration ou la coopération policière, où rien n’est censé pouvoir se faire… sans Constitution. Le problème est surtout qu’elle ne remet pas en cause le principe même de l’élargissement, dont elle se refuse, contre toute raison, à faire le bilan.
Côté Turquie, ce n’est pas mieux. Le gouvernement ne cesse de proclamer sa volonté de devenir membre d’une communauté dont elle nie l’un des membres. Mais il veut imposer à l’Union de reconnaître la République Turque de Chypre Nord, par la levée des sanctions commerciales européennes contre cette entité. Il prétend être prêt aux réformes et abandons de souveraineté qu’implique l’adhésion à l’Union européenne, mais toute remarque émise par l’Union européenne est vécue et traitée comme une injustice, une marque de mépris voire une manifestation d’hostilité d’un « club chrétien » envers un pays musulman. Tout peut ainsi devenir prétexte pour Ankara à menacer de rompre tous liens avec l’Union, et même au chantage à l’approvisionnement énergétique et à la lutte (par ailleurs assez faiblarde) contre l’immigration clandestine.
Les citoyens européens comme les Turcs méritent autre chose que ce psychodrame permanent. Ils méritent de leurs dirigeants respectifs la vérité et le réalisme. La vérité, c’est que la Turquie n’est pas un Etat européen et qu’elle n’est pas prête, fondamentalement, aux contraintes qu’impose l’appartenance à l’UE. Le réalisme, c’est qu’au final, c’est le peuple français qui décidera de son adhésion ou non, par référendum.