En effet, si les pourparlers avec l’UE achoppent sur la non-reconnaissance par Ankara de la République de Chypre, membre de l’UE, la question iranienne est également au cœur des débats. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est en effet opposé à de nouvelles sanctions.
Membre de l’Otan (et membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies), allié traditionnel des Etats-Unis, entretenant avec Israël une coopération assez soutenue sur le plan militaire, la Turquie est un pays « à part » au Proche-Orient mais sa politique étrangère a subi ces derniers mois une inflexion marquée. A tel point que le néoconservateur Daniel Pipes, a publié, dans le quotidien Jerusalem Post le 28 octobre 2009, un article dont la tonalité était résumée par un titre assez fracassant : La Turquie, ce n’est plus un allié ».
A l’appui de sa thèse M. Pipes citait le fait que l’armée turque avait demandé le 11 octobre dernier aux forces israéliennes de ne pas participer à l’exercice annuel de la Force aérienne turque, le Premier ministre Erdogan et le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu évoquant des « sensibilités diplomatiques », notamment « à propos de Gaza, Jérusalem-Est et la mosquée d’Al-Aqsa ». Or deux jours plus tard le ministre des Affaires étrangères de Syrie, Walid al-Moallem, annonçait un exercice militaire conjoint des Forces turques et syriennes près d’Ankara ».
Enfin, lors de la rencontre de dix ministres turcs sous l’égide de M. Davutoglu et de leurs homologues syriens , dans le cadre du nouveau « Haut Conseil de Coopération stratégique Turquie-Syrie », ce renforcement de la coopération militaire entre les deux pays a été réaffirmé avec l’annonce d’un accord stratégique (en novembre), une déclaration conjointe annonçant la formation d’un « partenariat stratégique durable entre les deux parties ».
Au-delà, Daniel Pipes cite le livre du ministre des Affaires étrangères turc, paru en 2000 « Profondeur stratégique : la position internationale de la Turquie », qui énonce une volonté de voir son pays émerger comme une puissance régionale, ce qui passe par une pacification des relations entre Ankara et ses voisins musulmans et de facto, une prise de distance avec l’UE, les Etats-Unis et Israël.
A Tel Aviv, rapporte encore le site voxnr, l’analyste Barry Rubin a déjà tranché : « le gouvernement turc est plus proche politiquement de l’Iran et de la Syrie que des Etats-Unis et d’Israël » et Caroline Glick, éditorialiste du Jerusalem Post, le confirme : « Ankara a déjà quitté l’alliance occidentale et est devenue un membre à part entière de l’axe iranien. »
« Or ce changement capital dans les choix géopolitiques de la Turquie est lourd d’implications dont la principale est sans doute la mise tacite sous le boisseau de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Dans le même temps on assiste également à un rapprochement assez spectaculaire avec la Russie (soutien aux positions de Moscou sur l’indépendance du Kosovo, le refus de l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan, invitation faite à la Russie de participer au projet Nabucco, cette route énergétique partant d’Iran dont les Européens entendaient l’exclure…) ».
« En attendant, il se pourrait bien qu’un autre pays frappe à la porte d’entrée de l’Europe : Israël, au sujet duquel, le porte-parole de la diplomatie européenne, Javier Solana, a déclaré, le 21 octobre dernier qu’ Israël est plus proche de l’Union européenne que ne l’est la Croatie (…) Israël, permettez-moi de le dire, est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions ».
Refermons la parenthèse et soulignons encore que la visite de Mme Merkel auprès de son homologue turc avait pour but de régler le désaccord entre Berlin et Ankara sur la création d’écoles ottamanes en Allemagne. Au nom d’une logique nationale et identitaire qui à sa cohérence, pour peu que les populations turques vivant en Allemagne aient vocation à ne pas y rester, M. Erdogan, avait déclaré il y a deux ans refuser l’assimilation des Turcs, souhaitant dans cette optique la création d’établissements d’enseignement secondaire turcs dans ce pays.
Une idée alors rejetée par la chancelière et la grande majorité de la classe politique Outre-Rhin qui militent pour « l’intégration », à l’heure où la forte communauté turque -officiellement 1,8 million de personnes, auxquelles s’ajoutent 700.000 Allemands d’origine turque- génère de lourds problèmes d’insécurité et est « travaillée » également par le fondamentalisme islamique
Finalement, Mme Merkel a jugé lundi que des écoles enseignant en turc pourraient être ouvertes en Allemagne, mais que cela ne devait pas être un « prétexte » pour les immigrés de ne pas apprendre l’allemand et de ne pas s’intégrer. « Apprendre la langue de la société dans laquelle on vit est une condition de l’intégration, ce n’est pas de l’assimilation ». Bref l’acceptation tacite par Mme Merkel d’une dérive communautariste particulièrement problématique, a fortiori en Allemagne, nation confrontée au terrible hiver démographique que l’on sait…