Si Raymond Domenech ne risque pas d’être accusé de discrimination au vu du nombre des joueurs d’origine africaine retenus dans sa présélection pour le mondial en Afrique du Sud, Hergé est tiré de son repos éternel pour répondre de son racisme supposé. En l’occurrence c’est l’éditeur Casterman qui comparaît aujourd’hui devant la justice belge, dans le cadre du procès de l’ouvrage Tintin au Congo. L’aboutissement de l’action entamée depuis trois ans par Bienvenu Mbutu Mondondo, un citoyen Congolais résidant en Belgique qui demande le retrait de la vente de la célèbre bande dessinée, qu’il accuse d’être un « livre à caractère raciste et insultant pour tous les Noirs ».
Le groupe Borders au Royaume-Uni (l’équivalent d’une enseigne comme la FNAC) a décidé pour sa part de déplacer l’album Tintin au Congo du rayon enfant au rayon adulte. Une décision motivée sous la pression d’un rapport de la Commission pour l’égalité raciale (CRE) britannique. Celui-ci affirmait que « ce livre contient des images et des dialogues porteurs de préjugés racistes abominables, où les indigènes sauvages ressemblent à des singes et parlent comme des imbéciles » .
Interpellé sur cette affaire l’automne dernier par le CRAN, l’association communautariste noir de Patrick Lozès , le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand avait opposé une fin de non recevoir implicite aux tenants de la censure.
A l’appui de sa demande, Bienvenu Mobutu Mondondo invoque une loi belge de 1981 réprimant le racisme, et souligne que la version anglaise de l’album incriminé est distribuée en Belgique avec un bandeau et un préambule de mise en garde contre les « préjugés » que véhiculerait l’ouvrage -double avertissement obtenu en juillet 2007 par la CRE britannique-, mais pas les versions française ou néerlandaise.
L’album avait été pourtant profondément remanié en 1946, sur la forme comme le fond, et Hergé avait confessé avant sa mort en 1983 une évidence qui semble avoir échappé à M. Mbutu Mondondo et aux hystériques de la culpabilisation des européens et du politiquement correct, à savoir qu’une œuvre est souvent le produit des « préjugés » d’une époque.
En attendant qu’ au nom de la lutte contre les « préjugés », les nostalgiques de la terreur soviétique attaquent en justice Tintin au pays des Soviets , les Japonais Le Lotus bleu pour racisme anti-nippon, le lobby des cantatrices et des personnes affublées d’un gros nez les présences récurrentes de Bianca Castafiore et de Rastapopulos dans diverses aventures du petit reporter (liste non exhaustive sachant qu’il ya encore beaucoup plus tendancieux dans l’œuvre d’Hergé…) la répercussion médiatique donnée à cette affaire en dit long sur la dictature sournoise qui sévit dans le paysage européen.
Pierre Assouline, biographe bien connu d’Hergé, a fait part il ya quelque temps d’un article de la revue Zaïre de 1969 dans lequel on pouvait lire : « si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc qui les voyait comme cela ».
Un point de vue qui a « curieusement » échappé au lobby antiraciste, comme le fait que Tintin au Congo figure toujours en tête des tirages, non seulement au Congo mais dans toute l’Afrique francophone. Les dires d’un responsable de la Licra qui fustigeait « le fond raciste assez clair » (sic) de cette aventure de Tintin ne sont pas paroles d’évangiles pour une majorité d’Africains d’Afrique…
A bon droit, l’avocat de Casterman a souligné que si la demande de Bienvenu Mbutu Mondondo était considéré comme recevable, cela nécessiterait de se pencher sur des cas autrement plus flagrants. Il serait alors loisible en effet à s’interroger sur la nécessité d’épurer la littérature mondiale de toutes réflexions et allusions susceptibles aujourd’hui de tomber sous le coup de la loi. A quand la mise à l’index ou la vente réservée aux adultes, le caviardage ou l’interdiction des livres de Shakespeare, Montesquieu, Voltaire, Dickens, Maupassant, Jules Verne, Zola ou Lovecraft ? Si M. Mbutu Mondondo et consorts arrêtent la BD pour passer aux livres sans images, nous n’avons pas fini de nous amuser…