La majorité campe officiellement sur une position ferme contre toute légalisation ou dépénalisation, à l’exception du ministre de la Ville Maurice Leroy (Nouveau centre) qui a déclaré le 8 juin sur RMC/BFM TV ne pas être opposé à une dépénalisation « à titre personnel », à l’instar le même jour sur Europe 1 de son homologue centriste, le député-maire centriste de Drancy (Seine-Saint-Denis), Jean-Christophe Lagarde.
Hormis les écolo-gauchistes, la gauche semble tourner la dos à son laxisme habituel en cet période pré-présidentielle et les « éléphants » du PS ne se bousculent pas au micro pour réclamer la dépénalisation, à l’exception de l’ex ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant qui préconise non pas ladite dépénalisation, mais, nuance, la « légalisation contrôlée »…
Les adversaires de la « prohibition » ont fait état du tout récent rapport d’un organisme indépendant, la Commission mondiale sur la politique des drogues – dans lequel siège Fernando Henrique Cardoso, l’ancien président du Brésil, César Gaviria, l’ancien chef d’Etat de Colombie ou l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, des intellectuels sud-américains comme Carlos Fuentes et Mario Vargas Llosa– qui invite ne plus considérer les consommateurs de drogues comme des criminels.
Cette Commission estime, comme l’ONU, que « la guerre lancée contre les drogues a échoué » que celle-ci « a des conséquences dévastatrices pour les individus et les sociétés du monde entier ». Pour preuve de cet échec, est il avancé, l’augmentation continue à l’échelle mondiale des consommations d’ héroïne, de cocaïne et de cannabis malgré les efforts déployés par les autorités publiques.
Une « raison » suffisante pour changer son fusil d’épaule ? Les adversaires de toute dépénalisation ou légalisation font valoir généralement les mêmes arguments que ceux du FN : au-delà des effets nocifs sur la santé et des dangers psychologiques d’une utilisation chronique et compulsive du cannabis, notamment chez les plus jeunes, comment ne pas voir que la consommation de drogue ne se limite plus aux « drogues douces » ?
Privées de ce marché, les bandes mafieuses redéployeraient rapidement leurs activités en proposant massivement d’autres substances. Nous assistons déjà à une explosion de la consommation de cocaïne, d’un retour en force de l’héroïne, à l’émergence de nouveaux marchés pour les produits de synthèse, à la production plus facile et moins chère. Ils génèrent plus de bénéfices pour les trafiquants et sont par ailleurs encore plus nocifs pour la santé des consommateurs.
Au-delà du volontarisme des policiers sur le terrain, comment ne pas douter de la réelle volonté des pouvoirs publics de gagner cette guerre là, tant il est vrai que les cités les plus calmes sont aussi parfois celles où le trafic est le plus juteux. Chacun sait très bien que le désordre n’est « pas bon pour le commerce » et les cyniques qui nous dirigent savent aussi qu’éradiquer totalement, du moins autant que faire se peut, les points de vente de la drogue dans les banlieues, menacerait la « paix civile ».
Pour les mêmes raisons sociales et économiques, un pays comme le Maroc, premier producteur de la résine de cannabis consommée en Europe, ne se donne pas vraiment les moyens d’en finir avec cette « agriculture » là qui fait vivre toute la région du Rif et engraisse beaucoup de monde. Et les molles admonestations de l’UE n’y changent rien…
Et que dire d’autres pays « alliés », comme la Turquie, dirigée par les islamo-conservateurs de l’AKP, membre de l’Otan, candidat avec le soutien de Washington l’adhésion à l’Union européenne, où les clans criminels qui ont bâti leur fortune sur les stupéfiants sont toujours florissants. Du Kosovo, Etat islamo-mafieux porté sur les fonds baptismaux par les Etats-Unis qui est aussi une des plaques tournantes majeures du trafic vers l’Europe de l’Ouest. Ou de l’Afghanistan, qui continue à produire 92% de l’opium mondial, une culture en forte baisse à l’époque où les Talibans avaient pris le pouvoir mais qui a repris de plus belle depuis qu’ils ont été chassés de Kaboul…
Au lendemain des émeutes de 2005, nous l’évoquions sur ce blog l’année dernière, le site Polemia notait que « la première opinion qui court sur les banlieues consiste à opposer populations tranquilles et jeunes délinquants, et, au sein de ceux-ci, à distinguer les petits délinquants des gros trafiquants. La réalité est autre : c’est la connexion du business entre les gros trafiquants et les petits délinquants – qui servent de vigies et de passeurs aux premiers – et le fait que le bénéfice des trafics, gros ou petits, profite à une partie importante de la population des cités en termes de redistribution des revenus, dans les cercles familiaux et claniques, des emplois à partir des entreprises et des commerces créés avec l’argent des trafics, sans même parler des aumônes versées à certains imams qui permettent le développement d’un islamisme militant et souvent radical ».
« Les trafics d’ailleurs, ce ne sont pas seulement les trafics de drogue était-il justement indiqué, ce sont aussi les trafics de cigarettes, les trafics de jeux, le racket et les vols avec ou sans violence : chacun trouvant ensuite son intérêt à acquérir – à bon marché – auprès des receleurs les biens de consommation du monde moderne pour soi-même et ses proches ou pour en faire bénéficier le pays d’origine à l’occasion des vacances d’été : les véhicules lourdement chargés qui prennent en juillet la route du Sud ne transportent pas uniquement des objets payés avec factures… ».
« Certes, précisait Polemia, il serait injuste de dire que 100 % d’une cité vit ainsi ; mais il est parfaitement illusoire de faire semblant de croire que cela ne concerne que quelques pour cent des habitants des cités les plus chaudes ».
C’est (aussi) pour ses raisons inavouables par la classe politique que celle-ci campe très majoritairement contre une légalisation du cannabis qui, paradoxalement, rendrait certainement les cités encore plus incontrôlables…