La proposition prévoit un an de prison et 45.000 euros d’amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d’un génocide reconnu par la loi française. Deux génocides, celui des Juifs pendantla Seconde guerre mondiale et celui des Arméniens (depuis 2001), sont reconnus officiellement par l’Etat français, mais seule la négation (ou la minimisation du premier) était jusque-là punie.
Très remonté, le gouvernement turc avait annoncé par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, qu’il mettra en œuvre un nouveau train de « représailles » contre la France en cas d’adoption de cette loi par le Sénat. N’ayant pas fait mystère de son opposition à celle-ci, son homologue français, Alain Juppé, tente de circonscrire la crise qui se profile. Il a appelé aujourd’hui sur canal plus « nos amis turcs au sang-froid » et affirmé qu’il « tend la main » à ce « grand pays, cette grande puissance économique, politique » avec laquelle « nous avons besoin d’avoir de bonnes relations »… notamment au Proche-Orient où la France ne peut se mettre à dos Ankara si elle entend jouer un rôle dans le « règlement » du conflit en Syrie…
Une Turquie que, plus largement, l’Union européenne ménage avec soin, comme nous l’évoquions en octobre, puisque l’UE ne s’est pas sentie obligée de soutenir un de ses Etats membres, Chypre, de surcroit dans son droit, contre la Turquie qui veut l’empêcher, par la force s’il le faut, de mener des explorations pétrolières et gazières dans son propre domaine maritime !
Plus prosaïquement, nos compatriotes retiendront aussi (surtout ?) la démonstration de force à laquelle s’est livrée la diaspora turque sur notre sol à l’ occasion de l’adoption de cette loi. Outre le rassemblement organisé hier devant le Sénat, Libération rapportait que la manifestation qui s’est déroulée samedi à Paris, sous une forêt de drapeaux turcs et de pancartes dénonçant les mensonges sur le génocide arménien et l’impérialisme, « très bien encadrée », fut « sans précédent en France comme en Europe ». Elle a réuni « au moins 25 000 personnes selon notre estimation, rien qu’en comptant les passagers des 550 cars arrivés de toutela France, de Belgique et d’Allemagne. »
« Les consulats turcs ont mouillé leur chemise relatait encore le quotidien. Les associations ont, pour une fois, fait bloc, les islamistes comme leurs ennemis laïcs kémalistes, les groupes ouvriers de gauche comme les ultranationalistes. Seuls les Kurdes et l’extrême gauche ont refusé la manifestation étatiste. Cette mobilisation marque le surgissement d’une diaspora de 550 000 personnes, souvent peu visible, sinon en Alsace, éparpillée sur le territoire »
Partout, les associations et les imams ont mené campagne. Avec succès. Par milliers, ils se sont précipités en décembre dans les mairies. Il y aurait aujourd’hui 180 000 électeurs français d’origine turque. «Mais pour qui voter ? Hollande, dans cette affaire, est sur la même ligne que Sarko», soupire un entrepreneur… »
Le site Nouvelles d’Arménie a vu pour sa part derrière cette manifestation l’empreinte du DITIB ( Diyanet Iþleri Turk Islam Birligi, Direction des affaires religieuses de l’Etat Turc) et de la Fédération turque de France (Fransa Turk Federasyon). Cette dernière est rattachée à la Confédération turque européenne (Avrupa Türk Konfederasyonu) qui regroupe les différentes fédérations nationalistes turques basées en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en France, au Danemark et en Autriche. L’Avrupa Turk Konfederasyonu est directement liée au Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite nationaliste) en Turquie. »
« Acteur fondamental de la laïcité turque, le Diyanet est en charge de la gestion d’un véritable islam d’Etat. Il contrôle notamment la formation, la nomination et les sermons des imams, fixe les fêtes religieuses et gère les mosquées. Directement rattaché au premier ministre, cette institution se voit allouer le 7ème budget de l’Etat et organise également l’islam turc à l’étranger. »
Nouvelles d’Arménie précise encore que « la sécurité de la manifestation a été assurée par l’Avrupa Turk Federasyon » c’est à dire les Loups Gris et que « le réseau des mosquées Milli Görüs (« Vision nationale »), mouvement islamique turque liée à l’ex-premier ministre islamiste Necmettin Erbakan a participé au remplissage des cars. »
Il est en tout cas évident que l’Etat turc entend utiliser ses colonies de peuplement dans les pays de l’UE comme un relais de ses intérêts nationaux. Nous évoquions en avril 2010, le discours sans ambiguïté sur ce point du Premier ministre turc, Tayep Recip Erdogan, lors de son déplacement en France en avril 2010, qui lui offrit l’occasion d’haranguer la communauté turque au Zénith de Paris.
« Chacun d’entre vous avait-il déclaré, êtes les diplomates de la Turquie, chacun, s’il vous plaît, apprenez la langue du pays dans lequel vous vivez, soyez actifs dans la vie culturelle, sociale du pays où vous vivez (…). La France vous a donné le droit à la double nationalité: pourquoi vous ne la demandez pas ? Ne soyez pas réticents, ne soyez pas timides, utilisez le droit que la France vous donne. Prendre un passeport français ne vous fait pas perdre votre identité turque ».
Quelques temps auparavant, à l’occasion d’une visite de la chancelière allemande Angela Merkel, M. Erdogan s’était adressé à ses compatriotes et avait insisté clairement sur son refus farouche de l’assimilation: « Personne ne peut vous demander d’être assimilés. Pour moi, le fait de demander l’assimilation est un crime contre l’humanité, personne ne peut vous dire: renonce à tes valeurs ». Nous sommes prévenus…
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