Atlantico : Alors que le congrès du Front National se déroulera les 29 et 30 novembre à Lyon, vous retrouvez-vous encore aujourd’hui dans le parti tel que voulu par Marine Le Pen ?
Bruno Gollnisch : Oui, je me retrouve toujours dans le FN tel que voulu par Marine Le Pen mais aussi tel que Marine Le Pen en a hérité, en quelque sorte. Contrairement à ce que voudraient faire croire les médias, ce FN n’est pas totalement nouveau, il est dans le prolongement des combats qui ont été menés dans les années passées et je dirais même avant son existence.
Atlantico : Que reste-t-il justement de ce Front National-là ?
Bruno Gollnisch : L’essentiel. C’est-à-dire, le combat pour le maintien de l‘identité française, pour la restauration de la sécurité publique, pour l‘inversion du courant de l’immigration, pour la diminution de la fiscalité, pour une protection raisonnable de notre économie à l’international, pour l’affirmation contre ceux qui voudraient déduire de leurs convictions religieuses des modes de vie qui ne sont pas conformes aux traditions françaises.
Atlantico :Vous avez déclaré que vous regrettiez d’avoir refusé la fonction de vice-président du parti qui vous avait été proposée par Marine Le Pen à l’issue de son élection en tant que présidente….
Bruno Gollnisch :Je ne suis pas rempli d’amertume. Il y avait du pour et du contre et mon attitude de l’époque se justifie par deux raisons : Marine Le Pen avait remporté la compétition interne, je m’étais incliné. J’ai décliné car à partir du moment où elle avait gagné, je trouvais normal qu’elle constitue son équipe mais comme nos conceptions étaient différentes sur un certain nombre de sujets, j’aurais été une gêne plus qu’autre chose. Mieux valait une équipe homogène, c’est ma conception du commandement. Et deuxièmement, cette proposition certes généreuse, si je l’avais acceptée, aurait privé du titre de vice-président des personnalités qui l’assumaient jusqu’alors et qui étaient tout à fait honorables, comme Alain Jamet.
A la vérité, je pensais quand même conserver un certain nombre de responsabilités nationales comme celle des affaires internationales du mouvement ou d’autres choses. J’aurais pu rendre des services plus importants, plus visibles et plus thématiques. Ce que je voulais dire c’est que je suis disponible pour cela mais je n’en fais pas une maladie. Pour le reste, cette compétition, malgré quelques scories inéluctables, a été infiniment plus correcte et convenable, que ce que l’on observait dans d’autres formations politiques.
Atlantico :Comment faire peser aujourd’hui la ligne que vous représentez dans le parti au regard du poids du Rassemblement Bleu Marine ? Comment jouer les contre-pouvoirs ?
Bruno Gollnisch :Je ne joue pas du tout les contre-pouvoirs. Où avez-vous vu que je jouais les contre-pouvoirs ? Je participe au pouvoir actuel, je suis membre du Bureau politique, je suis membre de la commission d’investiture, je suis membre de la commission des conflits, je suis député européen. J’ai été lors de la précédente mandature un des plus efficaces, un des plus assidus. Je suis président d’un groupe de 17 élus au conseil régional de Rhône-Alpes. Il y a de quoi s’occuper à plein temps.
Evidemment s’il y a avait des lignes qui s’écartaient complètement des convictions fondamentales pour lesquelles je me suis engagé en politique, je reverrais ma position mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas.
Atlantico :D’aucuns disent Jean-Marie Le Pen est plus proche politiquement de sa petite-fille Marion Maréchal Le Pen que de sa fille Marine. Où vous positionnez-vous ?
Bruno Gollnisch :Même si ce sont les membres d’une même famille, ce ne sont pas les clones les uns des autres, chacun a sa sensibilité particulière. Je suis souvent présenté par les journalistes comme le représentant de je ne sais quelle ligne traditionnelle, réactionnaire, dure »– il faudrait me dire ce qu’est une ligne molle –, mais tout cela me paraît assez superficiel.
Je représente une sensibilité qui est partagée non pas seulement par des vieux mais par beaucoup d’autres gens non seulement plus jeunes que moi, mais aussi plus jeunes que Marine Le Pen. Mais je me répète, nous ne sommes pas les clones les uns des autres, les positionnements peuvent varier en fonction des questions. Il est certain que Marion Maréchal-Le Pen a été plus ardente que sa tante lors des manifestations en défense du mariage, mais cela ne veut pas dire que Marine Le Pen y était hostile. Pour preuve, elle a ratifié un communiqué de l’ensemble des dirigeants du Front National, qui étaient contre la loi Taubira.
Atlantico :Vous voulez sortir de l’Union européenne, mais ce n’est pas une décision qui se prend de manière unilatérale. Croyez-vous vraiment à la faisabilité de ce projet ?
Bruno Gollnisch :Nous nous efforcerons d’abord de renégocier les traités, la sortie de l’Union européenne n’est envisagée qu’en dernière possibilité. La renégociation des traités est faisable, car lorsqu’on le fait avec un grand bâton, on est crédible. L’exaspération contre l’Union européenne est grande, et de plus en plus partagée dans plusieurs pays, comme en témoigne le succès des formations dites eurosceptiques. Si le représentant d’un Etat tel que la France signifie avec fermeté qu’il n’a pas l’intention de soumettre ses marchés de puissance publique à l’OMC par exemple, ni d’accepter sur son territoire les étrangers extra européens au prétexte qu’ils sont admis sur le territoire d’un autre Etat membre, alors les choses pourront évoluer. Et si ce n’est pas le cas il faudra sortir, ce qui n’est pas un problème majeur, car l’Europe, ce n’est pas seulement l’UE. D’autres formes de coopérations existent : l’avion Airbus est assemblé dans le cadre d’un consortium industriel qui ne doit rien au système de Bruxelles, tout comme la fusée Ariane ou le CERN. Le conseil de l’Europe, qui est une organisation internationale qui comprend des représentants des parlements des Etas membres, dont la Russie, ne fait pas partie de l’UE non plus.
Par bâton, je n’entends pas des mesures de représailles économiques ou militaires, mais simplement une sortie du dispositif. Je précise d’ailleurs que le Traité de Lisbonne prévoit, contrairement à ceux qui l’on précédé, les mécanismes par lesquels un Etat peut décider de sortir de l’Union.
Atlantico :Dans le programme actuel de Marine Le Pen il est question de rehausser le niveau des bas salaires, de baisser de 5 % les prix du gaz, de l’électricité et du train, d’encadrer les taux des crédits à la consommation et des crédits immobiliers, de réinstaurer le protectionnisme aux frontières, ou encore de rétablir l’équilibre entre grande distribution et commerce indépendants. Adhérez-vous pleinement à ce projet, qui a l’air de donner davantage la part belle à l’étatisme qu’à une économie libérale ?
Bruno Gollnisch :Moi, je connais le programme du Front National. Cela ne veut pas dire que je ne fais pas attention à celui de Marine Le Pen, mais je préfère rester prudent, car les mesures que vous pourriez me citer pourraient dans certains cas n’être que des vœux, et ne pas encore avoir été chiffrées. A cet égard je regrette une chose, c’est que notre Congrès n’ait pas pour but de mettre à jour notre programme, même s’il est vrai – et c’est l’argument de Marine Le Pen d’ailleurs – qu’en moins de 48h ce serait assez difficile à faire. Pour le moment, le programme du FN reste inchangé.
Les propositions que vous citez me paraissent en tout cas raisonnables, et plutôt que d’étatisme je parlerais d’Etat régulateur, car nous nous prononçons en faveur de la restauration des libertés économiques pour supprimer un certain nombre de carcans fiscaux et bureaucratiques qui pèsent sur la libre entreprise en France.
Pour autant, nous ne voulons pas laisser les salariés sans aucune garantie face à des comportements capitalistiques absolument cyniques. J’ai bataillé toute ma vie contre l’arbitraire administratif et bureaucratique, y compris comme avocat, ce qui ne m’empêche pas de dire que le capitalisme français, qui est en réalité un capitalisme d’Etat lorsque l’on voit que les patrons sont la plupart du temps des hauts fonctionnaires politisés qui ont été nommés à leur place par la faveur du pouvoir en place, n’est pas sain.
L’idée consistant à faire six milliards d’économies en s’attaquant aux notaires ou aux pharmaciens ne rapportera en réalité pas un centime ; si l’on veut faire ces économies, il n’y a qu’à aller les chercher dans ce que les Etats-Unis viennent de voler à la BNP, dans le silence le plus total des autorités françaises. En revanche si on autorise la vente de médicaments dans les supermarchés, ce sera la mort de beaucoup de pharmacies installées dans de petites communes. Nous sommes pour les libertés économiques, mais un certain nombre de correctifs sont à apporter.
Atlantico :Pourtant on trouve un côté très « planificateur » dans ce programme de Marine Le Pen. Cela n’est pas incompatible avec les orientations de Jean-Marie Le Pen, qui en 2007 s’inscrivait contre l’étatisme, et voulait supprimer 50 % des subventions publiques aux entreprises ?
Bruno Gollnisch : Si tel était le cas ce devrait être corrigé, mais ce n’est pas mon impression pour le moment. Je dirais que ses proposition s’inscrivent dans un colbertisme de bon aloi, mais il ne faut pas que cela aille au-delà, c’est certain.
Atlantico :Durant le mois d’Octobre, certains cadres ont laissé entendre que le FN pourrait changer de nom, Jean-Marie Le Pen s’était alors exprimée contre cette possibilité… Quelle est votre position ?
Bruno Gollnisch : Je pourrais me retrouver dans une formation politique qui change de nom dans la mesure où elle ne change pas de substance. Cette question n’est pas à l’ordre du jour tel qu’il a été fixé par Marine Le Pen justement. Je ne suis pas dogmatique à ce sujet. Un changement de nom n’a d’intérêt que s’il intervient dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale avec d’autres formations politiques que la nôtre. On pourrait à ce moment-là concevoir qu’il y ait un cartel électoral d’un nom différent de celui de FN.
La première fois que j’ai été élu parlementaire, il y a déjà 28 ans, je l’ai été dans le cadre de listes qui ne s’appelaient pas Front National mais Rassemblement national. Et cela s’est fait sous la présidence de Jean-Marie Le Pen. Car on attribue à la direction actuelle un certain nombre de choses y compris, le recrutement d’experts, d’ingénieurs, d’universitaires, qui n’a pas commencé il y a trois ans… Un certain nombre de choses sont anciennes.
Je crois que s’il n’y a pas cette nécessité d’un chapeau qui puisse coiffer une coalition, il faut en tout état de cause conserver le nom de notre formation. Car il en va dans le domaine politique comme dans le domaine commercial : si Bouygues, Louis Vuitton ou encore Dior défendent bec et ongles leurs marques y compris contre toutes les contrefaçons, c’est pour une raison très simple, c’est que leur nom est constitutif de leur fonds de commerce. Et cela assure la confiance de leur clientèle. L’UMP a sans doute des raisons de changer de nom, accablée qu’elle est par le nombre d’affaires dont la dernière en date est l’affaire Bygmalion. J’observe que cette formation s’est appelée l’UNR, l’UDR, le RPR, etc. Mains propres et tête haute, nous n’avons pas de raisons particulières de vouloir changer de nom.
Atlantico :Même dans l’optique stratégique d’une « dédiabolisation » ?
Bruno Gollnisch :Je crois que ce sont nos adversaires qui sont les diables. Ce sont eux qui ont conduit le pays à la faillite, ce sont eux qui ont menti aux Français, ce sont eux qui doivent rendre des comptes, ce sont eux qui doivent être traduits devant les tribunaux pour malversation.