Les appels pressants, répétés du Premier ministre israélien en faveur de l’aliyah , la « montée » en Israël -7000 départs en France pour Israël en 2014, le double est prévu cette année- ne sont pas sans créer un certain malaise, une gêne chez beaucoup de nos compatriotes de confession, d’origine et/ou de culture juive. Quant aux figures (du moins sur le plan médiatique) de la communauté, elles ont été nombreuses également à juger les déclarations de M. Netanyahou maladroites, voire susceptibles d’accréditer les stéréotypes antisémites.
Certes, Manuel Valls s’était élevé contre ces appels au départ, sur le thème «La France, sans les Juifs, n’est plus la France», ou en affirmant déjà en mars dernier que « les juifs de France sont des Français à l’avant-garde de la République et de nos valeurs ».
Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, a souligné de son côté que si le Premier ministre israélien actuellement en campagne électorale est « dans son rôle » en tenant ce type de discours, si la décision de ceux qui partent vers Israël doit être respectée, « (les juifs doivent combattre) en France contre tous les ennemis du judaïsme.»
Même son de cloche du député UDI des Français de l’étranger, Meyer Habib, au nombre des soixante binationaux qui siègent à l’Assemblée nationale, centriste en France mais soutenant l’extrême droite en Israël, ou encore du président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), Alain Jakubowicz. Invité hier soir de RTL, ce dernier a demandé « fermement » au Premier ministre israélien d’arrêter d’appeler au retour des juifs de France et d’Europe en Israël: «comme si les Français juifs étaient moins Français que leurs concitoyens. C’est un petit peu ce qu’un certain nombre de personnes perçoivent en entendant ces paroles ».
Paroles malheureuses que la classe politico-médiatique imputent aussi ces dernières heures au fils d’un résistant fusillé par l’occupant, lui même ancien résistant (Croix de guerre 1939-1945 et la Croix du combattant volontaire), homme de gauche, franc-maçon, héraut de la lutte contre le colonialisme et l’extrême droite, avocat et soutien des réseaux FLN, ami du monde arabe, ancien ministre et complice de François Mitterrand, à savoir le socialiste Roland Dumas.
Celui-ci était invité hier matin de Jean-Jacques Bourdin sur RMC dans le cadre de la promotion de son dernier livre. Ce journaliste le pressant de répondre lui a fait dire, prononçant lui-même la phrase incriminée, que Manuel Valls -qu’il n’aime pas et qui a critiqué son soutien aux Palestiniens a-t-il précisé-, devait être « probablement sous influence juive », évoquant sans la nommer son épouse, Anne Gravoin.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a annoncé immédiatement qu’il instruisait un dossier à la suite de cet entretien, le PS s’est fendu d’un communiqué fustigeant des « propos inacceptables » qui « dépassent l’entendement en mettant en cause le Premier ministre avec un vocabulaire d’extrême droite » (sic). Manuel Valls a dénoncé des propos « qui ne font pas honneur à la République ». « Aucun mot, aucun acte » à caractère antisémite « ne peut être accepté par un responsable politique, associatif (…), l’antisémitisme n’est pas une opinion, ce n’est pas une petite plaisanterie ».
Le ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a affirmé que les propos « atterrants » de « Roland Dumas (nourrissent) l’antisémitisme ordinaire. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, s’est dit « révulsé »; Claude Bartolone, le président PS de l’Assemblée nationale, a écrit également sur Twitter qu’il était « révolté », tout comme Jérôme Guedj, président PS du Conseil général de l’Essonne, qui a pour sa part jugé que « les mots choisis de Dumas sont assassins ».
Libre à chacun d’estimer que les propos de M. Dumas sont aussi tendancieux, maladroits, flous, inadéquats que le sont dans un autre registre ceux de M. Netanyahou. D’autant que si l’ex ministre des Affaires étrangères n’a jamais fait mystère de son soutien à la cause palestinienne et souvent critiqué l’Etat hébreu, il peut difficilement être soupçonné d’antisémitisme.
Des propos qui prennent certainement une résonnance toute particulière au vu de l’actualité, des attentats qui ont visé la communauté juive. Mais il est tout de même loisible de s’interroger sur l’ampleur de cette vague de protestation. Comme si nous touchions là au domaine du tabou, du sacré, on a ainsi même vu et entendu hier Apolline de Malherbe sur BFM TV être tellement offusquée par le sacrilège, qu’elle a évoqué cette affaire sans citer une seule fois la phrase reprochée à cet ami de feu François Mitterrand.
Comme à l’époque soviétique dans notre meilleur des mondes, comme souvent lorsqu’une individu refuse de penser dans les clous, sort du catéchisme autorisé, ne prend pas les précautions sémantiques obligatoires, sa santé mentale est remise en cause. De Marc-Olivier Fogiel sur RTL au petit journal de Yann Barthès sur Canal plus, M. Dumas a été catalogué comme un ramolli du bulbe, un être égaré, frappé de débilité.
Pareillement Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des Lois de l’Assemblée, a affirmé sur twitter comme l’ancien ministre UMP des Transports Dominique Bussereau « que la vieillesse est un naufrage. Dumas le démontre ». Pour Carlos Da Silva, porte-parole du PS, « Roland Dumas a perdu les pédales », le sénateur et ex-ministre UMP Roger Karoutchi estime de son côté que M. Dumas est sénile : « Roland Dumas va avoir 93 ans… L’âge du silence médiatique… ou de la révélation de la vraie personnalité? Ses propos sont odieux… comme lui ».
Pourtant il a déjà été écrit dans un journal de droite, conservateur, clairement pro sioniste, pro-Likoud comme le magazine Valeurs actuelles, (numéro du 30 janvier 2014) que « de nombreuses sources, Place Beauvau, attestent du jusqu’au-boutisme d’Anne Gravoin, elle-même membre de la communauté juive, dans la lutte contre l’humoriste controversé (Dieudonné, NDLR). Une influence qui expliquerait que Manuel Valls ait mis tout son poids dans un combat pourtant loin d’être prioritaire ».
C’est Manuel Valls lui-même qui a aussi déclaré le 17 juin 2011 sur Radio Judaïca qu’il se sentait « par ( sa) femme », « éternellement liée à la communauté juive et à Israël ». Le 28 novembre 2012, invité au Gala annuel de soutien à Radio J, M. Valls avait réitéré son « engagement absolu pour Israël », à l’instar d’un Dominique Strauss-Khan déclarant en 1991 qu’il « (se levait) tous les matins en pensant a ce (qu’il peut) faire pour Israël ».
Ce soutien total, sans recul à un pays étranger, dont on peut par ailleurs discuter du bien fondé quand on occupe des fonctions de chef de gouvernement de la France, relève du droit le plus absolu de M. Valls constate Bruno Gollnisch, mais lui et ses amis doivent l’assumer pleinement et ne pas crier de manière totalement hors sujet et hypocrite à l’antisémitisme quand ce tropisme pro-israélien est rappelé. Car ces déclarations là, celles de M.Valls comme d’autres, ne sont jamais reprises par les grands médias pour mettre en perspective les critiques dont il est, dont ils sont l’objet, mais circulent sur internet nourrissant ensuite si ce n’est le complotisme, du moins le sentiment d’un double langage, d’une double allégeance, d’un deux poids deux mesures dont nos compatriotes juifs sont aussi les premières victimes.