Au-delà même du cas du Qatar ou de l’Arabie saoudite, c’est bien le jeu trouble de certain cénacles à Washington, avec le soutien de quelques-uns ses alliés atlantistes, qui est aussi plus largement en accusation. Le grand imam de l’université Al-Azhar du Caire, Ahmed Al-Tayyeb, avec lequel s’est entretenu fin mai Marine Le Pen dans la capitale égyptienne, n’a pas hésité à pointer l’instrumentalisation cynique des milices djihadistes par des Etats occidentaux qui affirment les combattre. Invité au congrès coorganisé par la communauté de Sant’Egidio à Florence (Italie) mardi dernier, Ahmed Al-Tayyeb ne s’est pas contenté de prôner le « dialogue entre les civilisations. »
Un article du quotidien La Croix relayant une dépêche de l’Afp le rapporte, « cette figure de autorité de l’islam sunnite », pour « sa première visite officielle en Europe depuis sa prise de fonction en 2010 » a relayé « l’avis de l’homme de la rue arabe , qui pense que l’Occident n’est pas du tout étranger à l’apparition de Daech (Etat islamique, NDLR) et n’est pas sérieux dans son opposition au groupe islamiste. »
Selon l’imam, « les armes de Daech sont des armes américaines», « l’Amérique et le monde auraient ainsi pu démanteler Daech en un seul jour mais cet ordre mondial veut le chaos ». « L’État Islamique est fonctionnel pour les grandes puissances qui ne veulent pas que cette région se développe aux côtés d’Israël a-t-il affirmé. »
Un chaos islamo-djihadiste généré directement il y a douze ans par l’éradication programmée par l’Oncle Sam de l’Irak de Saddam Hussein. Il convient de le rappeler à l’occasion de la mort le 5 juin de l’Irakien Tarek Aziz à l’âge de 79 ans, ministre des Affaires étrangères de 1983 à 1991 puis vice-Premier ministre jusqu’à la destruction de cet Etat laïque.
Très malade –diabétique, il souffrait aussi de problèmes artériels et cardiaques- condamné à une mort lente, Tarek Aziz l’attendait comme une délivrance. Arrêté à son domicile, emprisonné en 2003, remis par les Américains au pouvoir chiite, il avait été condamné à mort en 2010 sous le chef d’accusation de «meurtre délibéré et crimes contre l’humanité». En l’embastillant, en le tuant à petit feu, on a voulu faire taire Tarek Aziz, l’empêcher de dire sa vérité. « Je crois en la parole des témoins qu’on assassine » disait Pascal …
Peine capitale prononcée, rappelait Jean-Michel Vernochet sur Boulevard voltaire, en raison de «la répression contre les partis religieux chiites, ceci après l’attentat dont il est l’objet en 1979 à Bagdad, à l’université Al-Moustansiriya. Le Conseil de la Révolution adopte alors une résolution punissant de la peine capitale la simple appartenance au parti Al-Daawa et à l’Organisation de l’action islamique (…). « Remarquons que notre chère intelligentsia n’en finit jamais de se lamenter sur le sort des résidents des couloirs américains de la mort» , « mais (n’a) jamais un traître mot sur les inhumaines conditions de détention d’Aziz. Deux poids, deux mesures. »
Sur le site du Point, en octobre 2010, le journaliste Pierre Beylau notait pourtant que « le rôle » de ce fidèle de Saddam Hussein, « le tenait fort éloigné des actes de répression (…). La peine capitale est infligée à cet homme malade de 74 ans pour un motif des plus flous, son rôle dans l’élimination des partis religieux. Il ne s’agit évidemment pas de justice mais d’une pure vengeance politique. »
« Jadis, soulignait-il, Tarek Aziz était reçu dans toutes les capitales occidentales avec les honneurs dus à son rang. Il était le numéro deux et la figure présentable du régime de Saddam Hussein. On lui déroulait le tapis rouge à Paris, on l’appréciait à Washington (…). C’est lui qui avait négocié en 1984 le rétablissement des relations diplomatiques américano-irakiennes avec l’administration de Ronald Reagan ».«Vous appréciez beaucoup en France les dirigeants du Golfe. Mais lorsqu’ils viennent chez vous, ils s’intéressent aux call girls. Moi je vais à l’Opéra, nous confia-t-il un jour un tirant sur son éternel Havane ».
Un homme cultivé, francophile, francophone qui, écrivait pour sa part M. Vernochet, était « né de confession catholique en 1936, près de Mossoul, région aujourd’hui ravagée par l’État islamique ». « Assyro-Chaldéen », « Tarek Hanna Mikhaïl (Jean-Michel) Issa adhéra très tôt à la doctrine du nationalisme arabe, le Baas, qui selon lui associe le socialisme au panarabisme, liant ainsi l’homme à sa culture, à son vécu et à sa civilisation . Idéologie conçue par le chrétien syrien Michel Aflak, dont la statue sera brisée à la chute de Bagdad. Après la défaite, à l’issue de la guerre israélo-arabe de juin 1967, l’année suivante, en juillet 1968, Saddam Hussein et Tarek Aziz, en charge de la presse, organisent le coup d’État qui portera le Baas au pouvoir. Un binôme inamovible jusqu’à la chute du régime vingt-quatre ans plus tard en mars 2003 ».
Un dirigeant irakien qui était pénétré de l’importance civilisationnelle de voir perdurer les communautés chrétiennes dans ce Proche-Orient berceau du christianisme. Une conviction partagée par Saddam Hussein sous l’autorité duquel les chrétiens d’Irak étaient protégés, comme ils le sont toujours actuellement dans les zones encore aux mains du régime du baasiste Bachar el-Assad en Syrie… Dans une conférence sur l’islamisme donnée à Nantes le 6 juin, notre camarade Thibaut de La Tocnaye rappelait notamment qu’à la fin des années 80, l’Irak avait fourni des armes aux combattants chrétiens libanais pour un montant de plus d’un milliard de dollars…
En septembre 2005, une délégation de l’association humanitaire dirigée par Jany Le Pen et Jean-Michel Dubois, SOS enfants d’Irak –un million de bébés et de gamins irakiens furent victimes du blocus décrété par les Etats-Unis dans les années 90- s’était rendue en Jordanie pour y apporter une aide matérielle aux réfugiés irakiens, rencontrer des officiels. Délégation, à laquelle s’était joint Bruno Gollnisch, qui lors de ce déplacement avait pu aussi manifester son soutien à la femme de Tarek Aziz et à sa famille, quasiment privées de tout contact avec ce dernier.
Bruno Gollnisch était au nombre des parlementaires qui, «(n’abandonnant) pas les gens dans la détresse », avait porté le cas de Tarek Aziz « devant le Parlement européen, pour tenter de réveiller la conscience des Européens, de faire bouger les choses». «Le sort réservé au chrétien Aziz expliquait alors Bruno, est emblématique de celui des autres chrétiens d’Irak depuis l’occupation de leur pays par l’armée américaine . Une communauté chrétienne menacée comme elle ne l’a jamais été depuis la création de l’Etat irakien ».
Le moins que l’on puisse dire est que ces dix dernières années, les craintes et les avertissements de Bruno Gollnisch, du FN et de ses dirigeants ont été tragiquement confirmés par les faits. Un Front National qui avait (encore) vu juste.