Une question identitaire dont s’est emparée ces dernières années l’ex militant d’extrême gauche et soutien de SOS racisme Alain Finkielkraut, qualifié aujourd’hui de néo réac, voire pire, du fait de ses critiques du «muticulturalisme», qui était reçu hier sous la coupole.
Une arrivée à l’Académie Française qui suscita la polémique, beaucoup de membres du microcosme germanopratin ne lui pardonnant pas d’affirmer désormais que l’idéologie antiraciste a pris le relais de l’intolérance communiste. En avril 2014, il fut élu par ses pairs dés le premier tour par 16 voix sur 28, bénéficiant notamment du soutien explicite de Pierre Nora, Michel Déon, Max Gallo, Hélène Carrère d’Encausse, Jean d’Ormesson. Pour autant, ses détracteurs à l’Académie (Dominique Fernandez, Angelo Rinaldi, François Weyergans, Michel Serres…) l’avaient accusé de proximité avec le FN, de xénophobie et d’homophobie. Le délicat Dominique Fernandez, fils du journaliste et écrivain d’origine mexicaine Ramon Fernandez, militant communiste passé à la collaboration avec l’Allemagne hitlérienne, avait même qualifié M. Finkielkraut « d’immonde», comme la Bête du même nom, dans un entretien à la revue littéraire Transfuge.
Symboliquement, l’épée d’académicien d’Alain Finkielkraut est gravée de cette belle sentence du grand Charles Péguy : «La République Une et indivisible, notre royaume de France» et, en hommage à ses parents et à ses racines juives, d’un Aleph, première lettre de l’alphabet hébraïque. Le pommeau est constitué par une tête de vache, une référence à Nietzsche, plus précisément à cette réflexion du philosophe de Sils-Maria, dans La généalogie de la morale: «pour pouvoir pratiquer la lecture comme un art, une chose avant toute autre est nécessaire, que l’on a pratiquement oublié de nos jours (…), une chose qui nous demanderait presque d’être de la race bovine et certainement pas un homme moderne, je veux dire être capable de ruminer.»
En fait de rumination, M. Finkielkraut a filé dans son discours –publié in extenso sur le site du Point- ses thèmes habituels (ses obsessions diraient ses adversaires). Comme cela est d’usage, il a aussi fait l’éloge de son prédécesseur dont il occupe le siège, le dramaturge et romancier d’origine belge Félicien Marceau (décédé en 2012), condamné par contumace à la Libération à 15 ans de prison pour collaboration lorsqu’il était reporter à Radio Bruxelles entre 1940 et 1942. Refusant ici tout simplisme et manichéisme sur cette période pour le moins compliquée, qui, après les horreurs de la boucherie de 14-18, avait vu émerger dans l’entre-deux guerres, notamment chez les intellectuels, un fort courant anti belliciste, pacifiste, le nouvel académicien a qualifié d’ «exorbitante» la condamnation de Marceau, lequel s’était vu accordé la nationalité française par le général De Gaulle.
« J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle», un amour « que j’ai essayé d’exprimer dans plusieurs de mes livres et dans des interventions récentes». «Cela me vaut d’être traité de passéiste, de réactionnaire, voire pire», a déclaré Alain Finkilekraut. Un amour qui n’allait pas de soi, il y a encore quelques années. Il a été beaucoup reproché à ce sioniste militant, qui n’en dénonce pas moins le rendez-vous annuel du Crif qu’il qualifie de «tribunal dînatoire», d’une « convocation du gouvernement », son entretien dans le journal israélien Haaretz du 19 novembre 2005. Évoquant les déportations de membres de sa famille à Auschwitz, il avait ainsi déclaré au sujet de la France : «Ce pays mérite notre haine.» Le redirait-il aujourd’hui? M. Finkielkraut a par ailleurs depuis renié cet entretien à Haaretz qu’il estimait non fidèle à la teneur réelle de ses propos.
Une haine qu’il cependant longtemps exprimé vis-à-vis du FN, avant de mettre de l’eau dans son vin. Lors du choc de la présidentielle de 2002, il disait que « bien sûr, il faut ne passer aucun compromis avec les hommes de l’appareil du FN qui sont racistes, nostalgiques, rancis» quand bien même « leurs électeurs doivent être l’objet de toute notre attention. Il faut leur tendre la main, les réintégrer» (sic). En octobre 2013 dans Le Point, il jugeait encore Marine Le Pen «infréquentable.»
A l’écouter, invité le 29 mars 2015 de « l’esprit de l’escalier » l’émission d’Elisabeth Lévy (Causeur) sur RCJ, l’évolution peut paraître assez sensible. Alain Finkielkraut y a délivré un brevet d’honorabilité au FN («c’est un parti populiste et bonapartiste mais pas fasciste») et à sa présidente. Marine disait-il, «est républicaine», «n’est pas antisémite», ne considère pas «les juifs» comme des «ennemis», «dénonce l’antisémitisme», dit que la shoah est un crime barbare. Bref, «elle est en rupture avec la tradition antisémite et antirépublicaine, de l’extrême droite.».
Une fois posé ce distinguo entre le FN et l’extrême droite (mot valise qui regroupe des réalités bien différentes, il devrait le savoir), M. Finkielkraut exposait cependant le feu roulant de ses critiques, caricaturales et non argumentées. Elles éclairent l’impasse dans laquelle se trouve cet essayiste (il n’est pas le seul dans ce cas) qui aimerait à l’évidence que d’autres formations politiques, moins diabolisées que le FN, portent ses idées identitaires (au sens large). Le problème pour lui c’est que sur les questions migratoires proprement dites, il n’y en pas.
Aussi, l’auteur de L’identité malheureuse s’est-il évertué à se défendre de toute complaisance vis-à-vis du Mouvement national, en affirmant que le FN est «un parti démagogique», défendant un «protectionnisme» aberrant, s’insurgeant de son «opposition entre un peuple sain et de élites forcement pourris et incompétentes» (sic). «La venue au pouvoir du FN serait un coup très dur, politique et économique, pour la France.»
Autre point de rupture et non des moindres, M. Finkielkraut dénonçait la politique étrangère prônée par le FN «pour s’extirper de la logique euroatlantique.» En octobre 2013, il jugeait pourtant sévèrement, dans Le Figaro, l’UE bruxelloise : «l’Europe n’est plus une construction, ni une civilisation, mais une maison de redressement, et ses commissaires sont des pions aigres et vindicatifs qui, juchés sur les tabourets de ce qu’ils croient être la mémoire d’Auschwitz, font la leçon aux peuples européens.»
Pour autant, interrogé par Elisabeth Lévy, il s’offusquait de ce que «le FN préconise un axe Paris Berlin Moscou» qu’il jugeait impossible et disait tout le mal qu’il pensait d’une alliance avec la Russie de Vladimir Poutine.
Nous retrouvons là, souligne Bruno Gollnisch, une des principales critiques adressées par les souverainistes de gauche, de droite ou d’ailleurs à cet ami de BHL, à savoir son soutien constant à toutes les sales guerres menées par l’Otan et les Etats-Unis depuis la première agression contre l’Irak en 1991. Cette année là, il écrivait d’ailleurs que «ceux qui proclament aujourd’hui que nous sommes asservis aux Américains sont ceux qui préconisent une politique de conciliation. On peut appeler ça une sorte de pétaino-gaullisme.» On le voit, sur le chemin de sa révolution culturelle, l’ex mao militant de la Gauche prolétarienne a encore de la route à parcourir, mais souhaite-t-il, peut-il l’emprunter jusqu’au bout ?