Dans les Echos, Cécile Cornudet remarque avec justesse que les partis du Système se sont emparés « des mots peuples, frontières, identité », « rejettent les recettes du FN mais reprennent ses analyses. » « Gauche, droite et centre parlent d’Europe mais ne pensent que FN. Marine Le Pen triomphe depuis le Brexit : sortir de l’Union européenne est possible (…). Ses adversaires de la prochaine présidentielle font tout pour lui savonner ce tremplin. En noircissant, si besoin en est, le tableau britannique (…). Depuis vendredi, les pro-Europe français parlent le souverainisme couramment. Le mot peuple fleurit tous les discours. La Commission européenne est conspuée, et à tout le moins la dérive technocratique de l’UE. Le Tafta est dénoncé. (…) Il y a la construction européenne en panne, mais il y a pire peut-être pour les artisans de l’Europe: des Français qui se détournent chaque jour un peu plus d’eux. Parer donc au plus pressé. Peindre l’Europe comme les Français sceptiques la peignent, en espérant se faire ré-entendre d’eux. »
Telle est en effet la manœuvre en cours menée par les adversaires de l’Europe des nations souveraines: parler un langage patriotique visant à enfumer l’électorat, tout en poursuivant une politique qui ne l’est pas, tout en promettant, pour la énième fois ,des réformes, une UE plus démocratique, plus sociale, plus juste…
Dans un article post Brexit publié sur son blogue, Jacques Sapir pointe plus particulièrement la paralysie, les illusions, les démissions d’une certaine gauche devant l’hydre bruxellois, son incapacité à intégrer « la notion de souveraineté »: « …les discours sur la volonté de construire, dans le cadre de l’Union européenne, une autre Europe doivent être pris pour ce qu’ils sont. Au mieux des illusions, au pire des mystifications mensongères qui n’ont pour but d’emmener les électeurs à soutenir in fine l’UE réellement existante dans un mécanisme où l’on reconnaît la transposition du soutien à l’URSS. »
Dans un entretien accordé à L’Action Française (numéro du 16 juin et 6 juillet), à l’occasion de la sortie de son essai « Souveraineté, Démocratie, Laïcité », l’économiste précisait que « le refus du nationalisme, ou plus précisément du patriotisme, est un des cadavres dans le placard de la gauche ou de l’extrême gauche, qui seront bien un jour forcées de le reconnaître »…
Dans ce même numéro de L’AF, c’est à dire avant le résultat du référendum britannique, M. Sapir balayait aussi le catastrophisme ambiant en affirmant que « si le Royaume-Uni devrait sortir de l’Union européenne, elle renégocierait avec celle-ci un traité de libre-échange. Sa sortie n’aurait donc aucune conséquence sur les Britanniques résidant au sein de l’UE -un non ressortissant de l’UE peut fort bien résider dans un pays de l’UE. De même, sur le plan financier , la City ne serait pas techniquement ébranlée. Symboliquement en revanche , les conséquences d’une sortie seraient très importantes, tout d’abord pour d’autres Etats membres qui se poseraient également la question de leur maintien au sein de l’UE… ».
Une Europe institutionnelle incompatible avec la liberté des peuples au motif qu’il aurait été certes « possible d’admettre une dévolution de souveraineté s’il n’y avait pas eu recul de de la démocratie, c’est-à-dire si on avait mis en place des institutions d’une réelle Europe démocratique, avec un vrai parlement. Or autant on peut décider d’institutions autant on ne peut pas décréter l’existence d’un peuple européen (…). Les transferts actuels de souveraineté posent donc un réel problème de démocratie puisque nous assistons à un processus de dépossession des peuples au profit d’une petite élite technocratique et, surtout, oligarchique, ce qui suscite dans différents pays, l’émergence de partis eurosceptiques… »
Un euroscepticisme, nous l’avons souvent dit ici, qui se nourrit également de l‘impuissance de l’Europe bruxelloise à protéger les Européens dans un environnement géopolitique de plus en plus instable, dangereux. Et notamment des affres de l’immigration de masse et des dangers réels de déstabilisation, de violences qu’elle porte en germe.
A l’instar de Marine, Bruno Gollnisch s’inquiète à ce sujet d’une des promesses faite par Angela Merkel au gouvernement d’Ankara de permettre la libre circulation, sans visas, des ressortissants turcs dans l’UE, en échange de l’engagement de veiller à limiter le passage des migrants aux frontières sud de l’Europe. Une aubaine supplémentaire pour les meurtriers djihadistes qui viennent encore de passer à l’acte à nos portes.
L’attaque de trois terroristes qui ont tiré sur la foule et se sont fait exploser devant l’aéroport international Atatürk d’Istanbul avant-hier, selon un mode opératoire qui évoque celui de l’Etat islamique (EI), piste privilégié par Le Premier ministre turc Binali Yildirim, a fait officiellement 42 morts et 238 blessés. L’actuel patron de la CIA, John Brennan, a été formel: cette tuerie « porte sans aucun doute la marque de la dépravation de l’EI ». Je suis très inquiet de voir que la machine terroriste générée par l’EI a beaucoup d’élan aujourd’hui encore. »
Il est tout aussi certain que lesdits attentats portent un coup désastreux à l’économiquement très important secteur touristique. Attribués à l’EI (qui ne revendique jamais ceux qu’il commet sur le sol turc) ou à l’extrême gauche indépendantiste Kurde (PKK, TAK…), ils ont fait plus de 200 morts depuis le début de l’année. Rappelons qu’il n’y a pas pas si longtemps encore, avant de changer une énième fois son fusil d’épaule, la Turquie d’Erdogan avait noué une alliance objective avec l’EI, qu’elle aidait en fournissant aux milices djihadistes base arrière, soins à ses blessés et armes , au nom de leur objectif commun consistant à abattre la Syrie de Bachar el-Assad et à éliminer les combattants Kurdes.
Jacques Sapir dans le même entretien cité plus haut pointe aussi avec raison les conséquences désastreuses de la volonté de certains cénacles de détruire le nationalisme arabe qui était un rempart contre le fondamentalisme islamique, contre « des idées salafistes et wahhabites, qui constituent un courant très particulier de l’islam financé par certains pays. »
« Or, ce courant s’est construit sur les décombres du nationalisme arabe, qui est issu d’un dialogue entre les intellectuels musulmans et des intellectuels chrétiens faisant le pari de la nation pour dépasser la communauté des croyants et rendre possible la cohabitation. Malheureusement, les puissances occidentales (plus précisément les Etats-Unis, ses vassaux atlantistes et leurs alliés saoudiens et qataris, NDLR) n’ont eu de cesse de détruire ce nationalisme arabe, et c’est sur ses ruines qu’a pu prospérer le salafisme. Si la lecture djihadiste de l’islam ne dépendait pas du contexte historique, pourquoi cette lecture était-elle minoritaire en 1950 et devient-elle plus importante aujourd’hui? Parce qu’en 1950, le nationalisme arabe proposait aux masses une voie d’accès crédible à la modernité. »
« Il faut prendre conscience de nos responsabilités politiques pour ne pas répéter nos erreurs et pour trouver des solutions pertinentes. le nationalisme est, en, réalité, aujourd’hui encore, une force de progrès. Il faut en être profondément conscient » affirme M. Sapir. Bref ajouterons nous, et contrairement à ce que disait feu François Mitterrand devant le Parlement européen, le nationalisme ce n’est pas forcément « la guerre », c’est même le refus d’un nationalisme raisonné qui nous précipite aujourd’hui vers le chaos.