Le village où je demeure en ce moment en région parisienne, depuis qu’à regret j’ai quitté il y a plusieurs années la région lyonnaise, est un peu un village-dortoir, sans aucun commerce, pas même un bistrot, mais situé à proximité de Thoiry, mieux achalandé, et connu dans les Yvelines pour le parc animalier qu’avec un remarquable esprit d’entreprise le comte de La Panouse a installé dans le beau domaine familial.
Dévouements
Privilège de l’âge ? Depuis quelques années, mon épouse et moi faisons partie des anciens de la commune. Cela nous vaut quelques attentions : un panier de friandises à Noël ; une invitation au dîner des anciens. C’était samedi dernier. Le maire, plusieurs adjoints et membres du conseil municipal, ou du comité d’action sociale se dévouent pour accueillir les invités, et pour les servir. Tout cela bénévolement, bien sûr. Et sans arrière-pensée électorale ou intéressée. Après plusieurs mandats au service de la commune, le maire a malheureusement, comme beaucoup d’autres, décidé de ne pas se représenter. C’est un homme compétent et charmant, qui exerce une profession originale : il est joueur de Tuba dans l’orchestre de la police nationale. D’ailleurs, toute sa famille excelle dans l’art de faire sonner les cuivres. Comme je l’ai écrit dans une notice que je rédige, à mes moments perdus, sur l’histoire du village, c’est donc à la fois un artiste est un homme d’ordre, qualités rarement réunies chez la même personne !
Les enfants aussi
Le repas était excellent ; un musicien enchaîne les « tubes » d’autrefois, quelques tangos, Madison, valses musette, etc. Occasion pour les « anciens »-et plus encore pour les « anciennes »- de montrer en dansant qu’ils n’ont pas perdu toute agilité !
Au dessert, comme chaque année, les enfants de l’école primaire, emmenés par leur jolie institutrice, viennent réciter des poésies et nous chanter en chœur quelques chansons.
Le 11 novembre, les enfants de l’école sont aussi présents autour du monument aux morts. On fait l’appel de ceux qui y sont inscrits. Le clairon sonne « aux morts ». Les enfants chantent la Marseillaise, et puis, avec les élus, nous suivons les porte-drapeaux, et les enfants vont fleurir les tombes de ceux qui sont tombés pour la patrie.
Ces moments de convivialité -ou de piété partagée- sont bien venus dans ce monde de plus en plus divisé, de plus en plus violent. Ils nous consolent des incivilités, qui pointent ici sans doute bien moins qu’ailleurs, mais tout de même : l’abribus à côté de chez moi est irrémédiablement souillé de tags imbécile et hideux. Un jeune homme du village l’avait repeint, pour effacer les inscriptions ordurières. Il s’est tué en moto il y a deux ans. Les tags sont revenus.
En juin, la fête du village est un autre moment d’unité. Le feu d’artifice est superbe. Comme il est tiré sur le terrain de foot qui jouxte ma maison, je ramasse ensuite durant des semaines dans mon jardin des dizaines de débris des fusées éclatées, mais ce n’est pas bien grave.
Générations réunies
Plus conviviale encore était la « fête des classes » dans le village des Monts du Lyonnais où j’avais restauré une ferme tombant en ruine, dont j’ai dû me séparer avec tristesse lorsque j’ai quitté cette région, où je retourne toujours avec émotion.
Là-bas, comme dans toute la province, y compris le Beaujolais contigu, on célèbre aux beaux jours le millésime : ceux qui sont nés une année se terminant par le même chiffre que celui de l’année en cours. C’est leur fête à tous, depuis les nouveau-nés jusqu’aux centenaires : les 10 ans, les 20 ans, les 30 ans, etc. cette année 2020, ce sera donc la fête de ceux qui sont nés lors d’une année se terminant par un zéro. Cela tombe bien, c’est mon cas : je suis né en 1950, et j’espère bien revenir au village pour la circonstance. Il est à cette occasion pavoisé. Traditionnellement, la fête, qui a lieu un dimanche de mai ou de juin, commence par une messe, à l’issue de laquelle on prend devant l’église la photo de groupe : les diverses décades sont identifiées par une couleur, souvent celle de la coiffure, du ruban qui orne les canotiers : jaune pour les 30 ans, vert pour les 40, rouge pour les 50 etc. Après quoi, on défile par décades dans la rue principale, fanfare en tête. Les plus anciens, qui ont du mal à marcher, ferment le cortège, conduits dans de pittoresques voitures anciennes qui ont à peu près le même âge qu’eux. Le président de la fête, qui marche en tête, est issu de la classe qui a 20 ans. Là aussi, on s’arrête au monument aux morts ; on fait silence ; il dépose une gerbe. Après quoi la mairie offre l’apéritif, qui précède des agapes considérables et longues : à déjeuner, à dîner, et le lendemain encore.
Déchristianisation ?
Il ne risque pas en revanche d’y avoir de messe lors de la fête de mon village en région parisienne ; elle n’est plus célébrée dans la jolie et ancienne petite église, dédiée à Saint-Martin, qu’une ou deux fois par an. Il faut aller à Thoiry, ou à Montfort l’Amaury. Les deux excellents prêtres, le curé et le vicaire, ont la responsabilité de 24 communes. 24 clochers ! En ces temps où ne comptent plus guère que l’argent, la réussite sociale, le sexe, il faut être héroïque pour assumer une vocation sacerdotale. Les médias, en chœur, font écho au procès du Père Preynat, du diocèse de Lyon, accusé de pratiques pédophiles commises il y a plus de 30 ans. Ces actes sont affreux, mais doivent-ils jeter le discrédit sur tant de prêtres admirables qui se dévouent dans l’ascèse à leur communauté et dispensent leurs secours spirituels, sans compter leurs œuvres : enseignement, soins, secours aux plus pauvres, visites des prisonniers, etc. ? Et en quoi le cardinal Barbarin est-il responsable de n’avoir pas saisi la justice, ce que n’avaient fait non plus ni les victimes ni leurs parents, s’agissant de faits antérieurs de 20 ans à son entrée en fonction, non réitérés, et dont il n’a eu connaissance que par ouï-dire ? Faudra-t-il, pour les juger, déterrer les cadavres de ses prédécesseurs ? À l’aune de l’étrange jurisprudence du tribunal de Lyon, bien des recteurs d’académie de l’enseignement public devraient avoir du souci à se faire !…
Civilisation
Le mot civilisation vient de civitas : cité. Mais on peut se demander si la véritable civilisation n’abandonne pas de plus en plus les villes pour trouver refuge à la campagne. Pour combien de temps encore ?
Ils sont justement montés en ville, ce dimanche, tous ceux qui, à Paris, de l’Alma à la Place de l’Opéra, sont venus dire leur refus de la marchandisation du corps humain, de la fabrication d’enfants orphelins de père, et leur défense, en matière de respect de la vie humaine, de ce principe de précaution dont on nous rebat si souvent les oreilles par ailleurs. Foule immense, et manifestement sous-estimée dans les media : il suffit de voir les photos. Marche courageuse, exemplaire de gaieté et de dignité…et pacifique, ce qui n’est pas si fréquent, par les temps qui courent !
Allons, ne cédons pas au pessimisme. Tant qu’il y aura des enfants pour égayer les personnes âgées, des édiles pour se dévouer bénévolement, des jeunes gens pour honorer les morts de la patrie, des séminaristes pour s’engager à transmettre le message divin, des vieux et des jeunes pour faire encore la fête ensemble, et même pour défendre activement les valeurs de la vie et de la famille, rien n’est perdu !