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Le Conseil d’État et la messe

Interview de Bruno Gollnisch par Anne Le Pape

— Requérant devant le Conseil d’Etat pour en appeler à « l’atteinte aux libertés fondamentales » que représente le maintien de l’interdiction des célébrations religieuses, vous n’étiez pas seul dans ce cas. Qui étaient les autres ?

Ma démarche personnelle était modeste. Comme beaucoup, je trouvais anormal, scandaleux même, que l’on « déconfine » beaucoup d’activités, mais en maintenant l’interdiction absolue du culte et de la messe. Comme je connais la procédure administrative, j’avais préparé, pour le moment où sortirait le décret officiel de déconfinement, un recours dit de « référé-liberté », accessible à tout citoyen. Je l’ai fait à titre personnel « en dispense de ministère d’avocat ». J’ai appris alors qu’il y avait d’autres requêtes visant au même objet, notamment de l’association « Civitas », que préside M. Escada, et du Parti Chrétien-démocrate de M. Jean-Frédéric Poisson. J’avais envoyé aussi mon texte à mon ancien collègue du Parlement Européen et toujours grand ami Bernard Antony, et à Maître Jérôme Triomphe. Bernard a décidé d’attaquer aussi au nom de l’AGRIF, représentée par Me Bruno Le Griel, excellent avocat aux Conseils (c’est-à-dire : au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation). Jérôme Triomphe, toujours combatif, avec l’aide de Maître Claire Le Bret-Desache, avocate aux Conseils, a représenté plusieurs membres éminents du clergé et congrégations, dont les Fraternités Saint-Pierre et Saint-Vincent Ferrier, l’Institut du Christ-Roi, etc. Les « écritures » de ces grands professionnels seront d’ailleurs beaucoup plus fouillées et complètes que les miennes. Ce sera aussi le cas de celles, remarquables, de Maître Hugues de Lacoste-Lareymondie, avocat à Bordeaux, et de Maître David Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la fraternité Saint Pie X.

Il y a donc eu plusieurs acteurs, dans cette procédure ? Agissaient-ils en concertation ?
En effet, il y a d’abord eu 5, puis 9, puis finalement 12 requêtes – la plupart collectives, donc beaucoup plus de requérants, et cela moins de 48 heures après la parution du décret ! Certains se connaissaient et échangeaient leurs opinions, comme je viens de vous en donner un exemple, mais d’autres non. Tout cela, au fond, était spontané. Il y avait notamment un groupe de fidèles du Sud-ouest, et un autre de Metz, qui, entre autres moyens, invoquait le Concordat, toujours en vigueur en Alsace et en Moselle ! C’est en quelque sorte une insurrection (pacifique) des fidèles…

— Malgré la défense du Ministre de l’Intérieur, représenté par la jurisconsulte du Ministère Mme Léglise (cela ne s’invente pas), concluant « au rejet de la requête », celle-là a bien été entendue. Vous y attendiez- vous ?

Il faut se méfier des impressions d’audience. Cependant, les avocats (et moi- même) étions assez confiants. D’une part, l’urgence, condition de succès d’un référé, n’avait pas été contestée sérieusement. D’autre part, nos « moyens » (c’est- à-dire nos arguments ) étaient vraiment sérieux. Un indice m’avait mis en confiance : je crois que le Conseil d’Etat avait lui-même prévenu et convié la presse à l’audience. En cette matière de défense des libertés fondamentales, je ne pense pas qu’on l’aurait fait pour une décision de rejet.

— Que répondez-vous à l’argument selon lequel les mosquées salafistes étant fermées, les églises devaient le demeurer aussi ?
Mais toutes les mosquées salafistes ne sont pas fermées, tant s’en faut ! Votre intéressante question me rappelle l’argumentation du Ministre. Pour montrer qu’il avait le droit d’interdire le culte, il se référait notamment, dans son mémoire en défense, à un précédent arrêt du Conseil d’Etat rejetant un recours dirigé contre la fermeture d’une mosquée, la mosquée de la « Cité des Indes » (à Sartrouville, pas à Bombay !). Sauf que…j’ai vu plus précisément que, selon cet arrêt, pour légitimer la fermeture d’une mosquée, il fallait cumulativement, non seulement qu’elle retentisse d’appels à la haine, mais en outre d’incitations au terrorisme. C’était le cas en l’espèce. Et en plus, le Conseil d’Etat avait pris soin de préciser que la liberté des cultes était maintenue, car les fidèles de la mosquée fermée pouvaient se rendre dans une autre, toute voisine. Dans notre affaire en revanche, cette faculté était refusée aux catholiques, qui pourtant ne prêchaient ni la haine ni le terrorisme… A contrario, cet arrêt allait donc plutôt dans notre sens !

— Sait-on quel est l’argument qui a pesé le plus dans la décision du Conseil d’Etat ?
Le Ministre excipait de ce qu’il avait le droit de restreindre exceptionnellement les libertés dans l’intérêt de la santé publique. Mais personne ne contestait cela.

Ce qui était en cause, c’était une interdiction à la fois générale dans l’espace, absolue dans ses conséquences, et indéfinie dans le temps. Le moyen de droit selon lequel une telle interdiction n’était ni nécessaire ni proportionnée était très fort.

En outre, la comparaison avec les autres activités « libérées » induisait une forme de mépris discriminatoire à l’égard de la religion. Comme l’écrivit Me Gaschignard : « On ne comprend pas en quoi il est plus urgent de permettre à des centaines de clients d’arpenter simultanément les allées des Galeries Lafayette ou du centre commercial Parly II, à la quête d’un blue jean ou d’un canapé (qui pourrait au demeurant être acquis sur un site internet) que de permettre à des fidèles de se rassembler, au moins une fois par semaine, pour célébrer leur culte ».

— Le Premier ministre a-t-il l’obligation de suivre les directives du Conseil d’État ?

Oui, absolument. Cet arrêt s’impose à l’ensemble des autorités publiques, selon la formule finale consacrée « La République mande et ordonne aux (ministres, préfets, etc. ) (…) de pourvoir à l’exécution de la présente décision ».
Précisons cependant qu’un référé est une procédure d’urgence, théoriquement limitée à la possibilité d’obtenir des mesures conservatoires. Toutefois, cela revient de facto à une annulation de l’interdiction des cultes, car, exceptionnellement le Conseil d’Etat a ici la possibilité d’adresser des injonctions aux autorités. En l’occurrence, il a enjoint au gouvernement de prendre de nouvelles dispositions permettant l’exercice effectif du culte. Et celui-ci est tenu de le faire.

— Doit-on attendre un effet immédiat, ou du moins « dans un délai de huit jours », de l’arrêt du Conseil d’Etat ? Quand pourra-t-on enfin assister à la messe ? Il faudra encore patienter et voir ce que seront donc ces nouvelles dispositions, certainement assorties de précautions, ce qui, en soi, n’est pas illégitime. Il reviendra alors, j’espère le plus vite possible, aux évêques (qui ont déjà fait des propositions) dans leurs diocèses, et aux curés dans leurs paroisses, de prendre les mesures nécessaires. Je pense que la Pentecôte devrait être célébrée dans beaucoup d’églises.

— Les directives permettent donc à tous les lieux de culte de rouvrir, pas seulement aux églises catholiques ? Les « mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires» pourront-elles être observées partout ? Il se trouve que tous les requérants étaient catholiques, laïcs ou clercs. C’est naturel, car la messe est pour les catholiques beaucoup plus qu’une simple réunion de prière, ce qu’il a été nécessaire d’expliquer au ministre de l’Intérieur, dont les connaissances dans ce domaine étaient assez limitées…(Une requête a expressément souligné que le Ministre de l’intérieur, chargé des Cultes, donnait à voir une administration inculte)! Cependant, l’arrêt vaut naturellement pour tous, car les principes étatiques de laïcité et de neutralité de la puissance publique s’opposent à ce qu’il soit fait des distinctions selon les religions. Le critère est donc bien la possibilité ou non de se conformer aux mesures de précautions, telles qu’elles sont imposées dans les commerces, les médiathèques, les « petits musées », etc. Ce sera parfois un peu compliqué, mais pas insurmontable…

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