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Dans l’enfer des parrainages

Comme à chaque élection présidentielle, la question des parrainages sans lesquels nul ne peut être candidat, revient sur le devant de la scène.

À l’heure où j’écris, trois candidats, et non des moindres, éprouvent des difficultés importantes pour les réunir : Marine Le Pen, Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon.

© Vanessa Meyer / MAXPPP

Démocratie ?

En ce qui concerne les deux premiers, cette difficulté est une triste conséquence de la compétition qui les oppose. En ce qui concerne le troisième, Mélenchon, dont j’ai toujours combattu les idées, j’estime cependant, selon la formule consacrée, qu’il doit avoir la possibilité de les défendre.

Cynisme

On aboutit à cette situation paradoxale : ces trois candidats, qui représentent ensemble quelque chose comme 45 % du corps électoral, risquent de ne pouvoir participer à la compétition, cependant que Madame Hidalgo, qui pèse moins de 4 % des voix, est assurée d’en avoir six ou sept fois plus qu’il ne serait nécessaire.

Mentionnons au passage qu’avec un cynisme extraordinaire, cette dernière trouve cette situation tout à fait normale, et considère que ceux qui n’ont pas assez de signatures « ne les méritent pas ». Elle ne voit donc aucun inconvénient à ce qu’ils soient exclus, et avec eux les dizaines de millions de Français qui adhèrent à leurs opinions, de cette consultation. Jamais le cynisme et l’arrogance de l’establishment ne s’était fait entendre de façon aussi claire.

Expérience

Je connais bien la question des parrainages ; j’ai eu l’occasion de m’y appliquer lors de plusieurs élections présidentielles, à la fois comme responsable régional puis secrétaire général du Front National, et surtout comme directeur de la campagne de 2002, qui vit Jean-Marie Le Pen arriver en finale, alors qu’il fut à deux doigts de ne pouvoir se présenter.

Mensonges médiatiques

Dans les médias, à l’époque, un certain nombre d’imbéciles ou de salauds (les deux qualités ne s’excluant pas nécessairement et pouvant parfaitement se combiner) prétendaient que nous mentions pour nous faire plaindre, mais qu’en fait, Jean-Marie Le Pen, qui était déjà arrivé en troisième position aux deux précédentes élections présidentielles de 1988 et 1995, avait bien naturellement à sa disposition le nombre de signature requis. Je viens de réentendre ce discours récemment, ironisant sur la « victimisation » des candidats qui « rament » pour obtenir leurs soutiens, dans la bouche d’une journaliste, Mme Soazig Quéméner pour ne pas la citer.

Je puis cependant porter témoignage, de ce qu’à aucun moment nous n’avons exagéré la situation. Au contraire !

Désastre imminent

En 2001, Jean-Marie Le Pen avait chargé Mme Martine Lehideux de superviser la collecte des signatures, qui était évidemment une activité prioritaire de nos fédérations locales. En dépit de ses efforts et de ceux de nos militants, il apparut, environ deux mois avant l’élection que la situation était grave. Carl Lang et moi-même, respectivement secrétaire général et délégué général, n’avons alors dissimulé qu’une seule chose à l’époque : l’étendue du désastre ! Nous pensions que si nous la révélions, il s’en suivrait le découragement des militants, et que nous n’obtiendrions jamais le chiffre requis. Carl reprit les choses en main avec méthode et détermination. Il manquait à peu près 250 signatures. Il décida que nous diviserions pour l’opinion ce chiffre par deux, et que chaque fois que nous rentrerions deux parrainages, nous en annoncerions un de gagné, de façon à nous rapprocher progressivement de la réalité.

Semaine sainte, ultime semaine

Cette réalité, elle était cependant dramatique. On me pardonnera d’évoquer les dates liturgiques, plus présentes à mon esprit que celles de l’année civile : le dernier délai pour présenter les parrainages au Conseil Constitutionnel était le mardi de Pâques, le lundi étant férié. Le jeudi saint, au lieu d’aller à l’office comme c’était mon intention. J’avais demandé à rencontrer l’ancien préfet Jean-Charles Marchiani, l’homme des missions spéciales de la République ( au Proche-Orient, en Serbie,) que je côtoyais comme collègue au parlement européen où il avait été élu sur la liste de Charles Pasqua, dont il était le plus proche collaborateur. Nous votions très souvent de la même façon ; nous avions pris pension dans le même hôtel alsacien lors des sessions de Strasbourg, et nous avions sympathisé. Il me reçut chez lui aimablement. Notre dialogue, que je reconstitue de mémoire, mais fidèlement, fut le suivant :

Sollicitation

« Merci de me recevoir. Je viens vous voir pour la raison suivante. Nous sommes entre responsables politiques concurrents, parfois même adversaires, mais cependant d’accord sur de nombreux points.

Je suis venu vous demander si vous aviez vos parrainages pour la candidature de M. Pasqua. Si vous les avez, je suppose qu’il sera candidat ; je termine mon whisky et ne vous importune pas plus. Si vous êtes sur le point de les avoir, je suppose que vous allez faire le forcing au cours de ce week-end pascal. et je n’insiste pas davantage. En revanche, si vous en êtes très éloigné et que la partie est perdue pour vous pour vous, je vous demande de nous en donner quelques-uns, car il nous en manque encore. De telle façon qu’au moins la défense de la souveraineté française, à laquelle je vous sais comme Pasqua très attaché, soit représentée au cours de cette élection. »

J-C M–« Je voudrais vous répondre, mais je ne sais pas exactement combien nous en avons. »

–« Vous plaisantez ?  Si ma démarche n’a pas votre agrément, ne vous croyez pas obligé de trouver de telles excuses. Nous ne serons pas brouillés pour autant… »

J-C M–« Non, non ! Je vous assure. Il y a des maires qui nous disent qu’ils signent pour nous, mais nous ne savons pas s’ils envoient vraiment le formulaire adéquat au Conseil constitutionnel. »

–« Ah bon ! Mais nous, justement, pour éviter cela, dès qu’un maire nous donne son accord, nous lui demandons de le signer, et nous gardons par devers nous les formulaires, que nous apporterons directement au Conseil constitutionnel. De toute façon, celui-ci, s’il ne vous donne pas les noms de ceux qui vous ont parrainé, vous donne au jour le jour le nombre de parrainage »

–« Vous me l’apprenez ! Je vais immédiatement en parler à Charles ! Quant à tenter de les arracher au finish, ces jours-ci, je crains que cela ne soit pour nos chose impossible. Nous fonctionnons en pratique avec deux groupes de collaborateurs : les uns sont les membres du cabinet de Charles comme Président du Conseil général des Hauts-de-Seine ; les autres : nos assistants parlementaires au groupe européen. Les premiers ont pris leurs dispositions pour leurs congés du week-end de Pâques ; les seconds sont déjà en vacances ce soir, car le parlement à Bruxelles adopte les congés belges, et le Vendredi saint est jour férié en Belgique. »

Échec

J’étais stupéfait par ce que révélait cet entretien de la fragilité, pour ne pas dire de l’amateurisme, d’une formation politique présidée par un ancien Ministre de l’Intérieur, assisté d’un préfet qui avait été l’homme des « missions spéciales » de la République. C’est que l’un et l’autre, une fois dépourvus de l’appui de l’appareil d’État qui leur était acquis tant qu’ils étaient en position officielle, avaient peu d’expérience du militantisme politique, et de la pauvreté de moyens.

Est-il besoin de dire pour conclure que, bien que Charles Pasqua ait renoncé à sa candidature, je n’ai récupéré aucune signature de ce côté-là.

Sursaut

En revanche, pendant ce temps, notre siège de Saint-Cloud, le « paquebot » était constamment occupé par une centaine de personnes, aussi bien nos permanents que des bénévoles venus leur prêter main forte. On téléphonait à tous les maires de France. Et Jean-Marie Le Pen en personne décrochait son téléphone. Dès que nous avions une amorce, nous envoyions nos responsables locaux, qui traversaient tout le département pour aller à la rencontre du maire en question. Ensuite, nos militants traversaient le pays, à pied, à cheval en voiture, en train (le plus souvent en train) pour apporter ne serait-ce qu’une signature. Elles arrivèrent jusqu’au mardi même. Le résultat de cet effort prodigieux fut que nous pûmes dépasser de peu le nombre minimal requis de 500. Mais que d’angoisses et que d’efforts ! 

Ainsi donc, le candidat arrivé en finale, celui qui réussit à battre le premier ministre sortant (Lionel Jospin) donné par tous les sondages comme vainqueur de cette élection, fut à deux doigts de ne pouvoir être candidat.

Et maintenant ? comme je l’ai écrit plus haut, 3 candidats, dont les électorats représentent approximativement la moitié du corps électoral, ne les ont pas encore et rencontrent des difficultés. 

Cette situation est anormale. Elle obère notre démocratie, qui n’a pas besoin de cela. Or, loin d’y porter remède, les gouvernements successifs se sont ingéniés à rendre les choses plus difficiles, afin d’assurer l’oligopole de ce que nous appelions fort justement la bande des quatre : PS-PC-RPR-UDF.

À l’origine…

Rappelons qu’à l’origine, De Gaulle, qui voyait dans la fonction de Président de la République une sorte de monarque électif, et qui voulait arracher l’élection aux tripatouillages des partis, avait fixé le nombre de parrainages à 100. : Députés sénateurs, maires, conseillers départementaux, (on disait alors conseillers généraux) auxquels devaient s’adjoindre plus tard les députés européens et les conseillers régionaux. Ainsi en fut-il disposé par la loi du 6 novembre 1962, instaurant pour la première fois l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. 

Premières manœuvres

C’est Giscard qui fit passer en 1976 ce nombre à 500, sous le prétexte d’éviter les candidatures fantaisistes, mais dans le but trop évident d’éviter une candidature de droite nationale. La manœuvre réussit, dans ce sens. Accompagnée de pressions diverses, elle empêcha en 1981 Jean-Marie Le Pen, qui avait été candidat en 1974, lors de l’élection provoquée par la mort de Georges Pompidou, de pouvoir se représenter. L’écœurement des électeurs nationaux et leur abstention subséquente contribua à l’élection de François Mitterrand. Brillant résultat !

…Et les suivantes

Depuis, la situation ne fait qu’empirer. Les noms de 500 parrains par candidat étaient publiés au Journal Officiel, après tirage au sort parmi les parrainages de candidats disposant de davantage de soutien. Cette publication avait lieu après coup, et tout ensemble ; par exemple, en 2002, il y avait seize candidats. En d’autres termes, huit mille noms furent en une seule fois publiés au J.O. De ce fait, les pressions, réelles, étaient tout de même limitées, beaucoup de noms étant noyés dans la masse. Une loi votée sous Hollande, qui savait ce qu’il faisait, oblige aujourd’hui à la publication au fur et à mesure de l’arrivée des parrainages, ce qui permet toutes les pressions et représailles au long de la procédure. Le formulaire de parrainage, nécessaire à sa validité, est devenu rigoureusement personnel, ce qui empêche les « démarcheurs » de pouvoir s’en procurer un auprès d’un maire ayant décidé de ne pas signer…pour le faire signer par un autre, qui l’aurait égaré. De surcroît, les candidats n’ont plus la possibilité de recueillir eux-mêmes le formulaire signé par le maire, qui doit l’adresser directement au conseil constitutionnel, ce qui empêche les candidats d’avoir un véritable contrôle sur les parrainages dont ils disposent, etc. 

Pressions

La situation actuelle autorise toutes les pressions, y compris les plus illégales. Les choses sont faciles à comprendre. Il y a deux catégories de « parrains » potentiels : D’une part les « grands » : Parlementaires, élus régionaux ou départementaux, maires des grandes villes. Ceux-ci ont été généralement élus sur des listes politiques, et nul ne s’étonne ou ne s’indigne de ce qu’ils parrainent un candidat présenté ou soutenu par leur formation politique. Mais l’immense majorité, les « petits » parrains sont principalement des maires de communes rurales. C’est eux que prospectent les « outsiders » : candidats nouveaux, ou n’ayant pas l’appui d’une grande formation politique, ou dont la représentation parlementaire et élective est artificiellement mais gravement minorée par l’effet du mode de scrutin et des alliances hostiles (cas du Rassemblement National). Or, nombre de ces « petits » maires craignent, s’ils parrainent un candidat hostile au « système », de rencontrer l’animosité de l’intercommunalité, qui restreint de plus en plus leur liberté d’action. Ou de s’attirer les foudres du président du conseil départemental ou régional, dont les subventions sont utiles voire nécessaires à leur commune. 

Agressions

Ne parlons pas des agressions directes, rares, mais réelles, que permet la publication des parrainages. Tel signataire a vu sa maison taguée ; pour tel autre, c’est le village tout entier qui a été couvert de graffitis Situation dont bien sûr les administrés considèreront que le maire est en partie responsable…

Dissensions

Mais le problème essentiel réside le plus souvent dans le fait que ces « petits » maires, souvent élus sur leurs seules qualités humaines, sont entourés d’un conseil municipal, dont les membres, y compris leurs adjoints, sont de convictions politiques diverses, voire opposées : on ne se souciait guère de ce qu’Albertine, adjointe aux écoles, ancienne institutrice, soit de gauche, ni que Daniel, artisan, adjoint aux travaux, soit de droite. Tous participaient sans problème à l’effort commun. En parrainant un candidat, le maire craint de rompre l’unité de son conseil, de s’attirer des reproches du genre : « tu as engagé la commune sans nous avoir demandé notre avis ». Et ceci bien qu’il s’agisse d’une prérogative rigoureusement personnelle. Et que le parrainage ne signifie pas nécessairement adhésion aux convictions du candidat, mais seulement que celui-ci a sa place dans la compétition qui s’ouvre. 

Scandale

On aboutit donc à la situation actuelle. Elle est scandaleuse. J’entends quelques commentateurs, politologues ou juristes prétendus, louer ce système au nom de la « transparence ». Ils oublient que nous sommes dans un processus électoral, et que, de tous temps c’est le secret du vote qui garantit sa liberté. Dans toutes les assemblées électives, et même à l’Assemblée nationale ou au Sénat, où, légitimement, les votes législatifs des élus sont publics afin de pouvoir être appréciés de leurs électeurs, le scrutin est secret dès lors qu’il s’agit de questions de personnes : le président, les bureaux de chaque assemblée, etc. sont élus à scrutin secret.

Réforme

Une réforme est nécessaire et elle est urgente. Il faut tout d’abord rétablir le secret dont je viens de rappeler qu’il était de règle lorsqu’il s’agit, comme ici, de choix de personnes. On peut aussi envisager d’élargir le droit de parrainer aux conseillers municipaux, dont chacun, pris individuellement, n’engagerait que lui-même, et pas la commune tout entière. Une autre solution serait d’ouvrir la possibilité de se présenter aux candidats en faveur desquels existerait une pétition citoyenne, dont on pourrait chiffrer le nombre à 200.000 électeurs, par exemple. Ou encore, de permettre aux maires de parrainer deux candidats, afin que l’institution retrouve son véritable sens précédemment évoqué : non pas nécessairement celui d’une adhésion politique, mais simplement d’une reconnaissance de ce qu’un candidat représente un courant de l’opinion suffisamment important pour avoir le droit de participer à l’élection. 

Urgence

L’argument que la majorité actuelle et le gouvernement ont opposé à ces réformes de bon sens (comme à l’établissement de la proportionnelle aux élections législatives), selon lequel on ne pouvait changer la loi moins d’un an avant l’élection n’a aucune pertinence. Il ne résulte d’aucune disposition constitutionnelle. Et Mitterrand, à qui l’on faisait cette objection avant les élections législatives de 1986 avait impérieusement répondu à la journaliste qui l’interrogeait : « Et si c’était 15 jours avant, où serait le problème ? » Elle en était restée coite. 

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