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La Turquie reprend (aussi) sa « marche à l’ouest »

Le changement de cap stratégique de la Turquie au Proche-Orient s’est dessiné fortement ces derniers mois, avec une prise de distance très sensible avec «l’allié» israélien depuis l’offensive militaire de l’Etat hébreu sur Gaza en janvier 2009, et un net rapprochement avec l’Iran et la Syrie. Un « glissement» qui s’est matérialisé pleinement depuis le raid du 31 mai dernier des commandos de Tsahal contre « la flottille humanitaire » naviguant vers Gaza qui a entraîné la mort de citoyens turcs –voir nos articles des 30 mars, 1er juin, 3 juin et 5 juillet.

Mardi dernier le chef de la diplomatie ottomane, Ahmet Davutoglu, affirmait qu’ « il ne peut pas y avoir de processus (de négociations avec l’Iran) sans (la Turquie) ». Une réponse immédiate précise l’Afp à «une information distillée par Washington selon laquelle l’Etat turc aurait cédé à une demande du secrétaire d’Etat américain Hillary Clinton, de ne plus s’occuper de la question du programme nucléaire de l’Iran, que les Occidentaux accusent de vouloir se doter de l’arme atomique ».

Les nouvelles ambitions turques se manifestent également de manière toute aussi éclatante sur le sol européen et précisément dans les Balkans, même si cette offensive là est nettement moins médiatisée que les vives tensions entre Tel-Aviv et Ankara.

Dans son dernier numéro, Daoudal Hebdo souligne que cet «authentique retour de l’empire ottoman vers l’Est » – Les Arabes sont l’œil droite et la main droite des Turcs déclarait le Premier ministre Recep Tayip Erdogan le 10 juin dernier- va de pair avec un « retour de l’empire ottoman vers l’ouest ». Et l’hebdomadaire de citer un article publié le 9 juillet dans le Wall Street Journal », contenant « des informations passées inaperçues chez nous mais pourtant capitales ».

Le conflit du Kosovo avait déjà révélé les menées turques dans l’ancienne Yougoslavie, rendues possibles par la guerre d’agression des partenaires atlantistes d’Ankara contre Belgrade. A la fin des années 90, l’ambassade d’Allemagne à Tirana (Albanie),  était devenue la base régionale des opérations anti-serbes, Allemagne que l’on voit mal se lancer dans ce travail de « sous-traitance » sans l’aval du big boss américain.

Les services secrets allemands, le BND et le MAD, avaient ainsi assuré la formation et l’armement de l’organisation terroriste indépendantiste kosovar UÇK, qui s’autofinança au départ par le trafic d’héroïne, et dont les entraînements ont été dispensés en Turquie, à Izmir. Le gouvernement turc poursuit aujourd’hui son effort d’implantation « dans les anciennes provinces occidentales de l’empire ottoman. En se servant bien sûr du fait que la Bosnie est majoritairement musulmane : la Bosnie qui faisait encore partie de l’empire ottoman il ya cent ans… ».

Le Wall Street Journal illustre son propos par la présence à Srebenica de M. Erdogan,  lors des commémorations le 11 juillet du quinzième anniversaire du « massacre de 8000 musulmans bosniaques par l’armée serbe ». Présence du Premier ministre turc qui montre « comment Ankara entre dans le vide laissé en Bosnie par l’échec des efforts conjoints des Etats-Unis et de l’Union européenne pour garantir un nouvel accord constitutionnel visant à assurer la stabilité dans un pays toujours divisé entre Musulmans, Serbes et Croates, selon des diplomates ».

Or, « les capitales occidentales accueillent favorablement l’implication croissante de la Turquie dans les Balkans, contrairement à son attitude au Proche-Orient (…) et les diplomates turcs citent leurs efforts de médiation dans les pays de l’ancienne Yougoslavie comme un exemple de la façon dont l’active politique étrangère de la Turquie fait de celle-ci un allié précieux pour l’Occident… ».

Ankara a ainsi bâti « ces derniers 18 mois », « une relation solide avec le gouvernement pro-occidental de la Serbie », et « a également joué un rôle clé dans la décision de l’Otan d’octroyer à la Bosnie une feuille de route officielle pour son entrée dans l’Otan ».

Et l’article de pointer encore que « la Turquie a été le quatrième plus grand investisseur en Bosnie en 2009 » alors que « 70 % des étudiants de l’université internationale de (la capitale) Sarajevo, construite par les Turcs, sont des Turcs, dont de nombreuses jeunes filles qui ne peuvent pas porter le voile sur les campus de Turquie, mais peuvent le faire en Bosnie… ».

Pour autant, « tout le monde n’est pas d’accord avec le rôle croissant de la Turquie dans une région qui fut sous domination ottomane pendant cinq siècles »,  et l’attitude du président serbe Tadic,  participant à « la médiation turque », est contestée par les patriotes qui l’accusent d’abandonner les Serbes de Bosnie.

Inquiétudes d’autant plus légitimes que M. Erdogan a une vision clairement conquérante et expansionniste de l’identité islamique de la Turquie, laquelle doit être dans son esprit clairement relayée par la diaspora et les peuples convertis vivant anciennement au sein de l’empire ottoman.

Lors de son déplacement à Paris en avril dernier –voir notre article en date du 8 avril-, M. Erdogan avait incité les Turcs de France à être « les diplomates de la Turquie », notamment à peser pour son entrée dans l’UE : « La France vous a donné le droit à la double nationalité: pourquoi vous ne la demandez pas ? Ne soyez pas réticents, ne soyez pas timides, utilisez le droit que la France vous donne. Prendre un passeport français ne vous fait pas perdre votre identité turque ».

Enfin, comme il l’avait déclaré à la communauté turque d’Allemagne, M. Erdogan avait insisté devant ses « troupes » réunis dans la salle du Zénith sur son refus farouche de toute « assimilation » : « personne ne peut vous demander d’être assimilés. Pour moi, le fait de demander l’assimilation est un crime contre l’humanité, personne ne peut vous dire: renonce à tes valeurs ».

Le problème résidant bien évidemment dans la cohabitation et la compatibilité de ces fameuses « valeurs » avec celles des non musulmans. Et à ce sujet les Serbes de Bosnie et du Kosovo, et plus généralement les anciens sujets de l’empire ottoman, voire les habitants de nos quartiers « pluriels », savent à quoi s’en tenir.

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