Le vote des Français à ce second tour des élections départementales a fait tomber des fiefs historiques, symboliques de la gauche, comme le département de François Hollande (Corrèze), Manuel Valls (Essonne), Laurent Fabius (Seine-Maritime), Arnaud Montebourg (Haute-Saône) ou encore Ségolène Royal (Deux-Sèvres)…
Sont également perdus par les socialistes, les vieux bastions du Nord et des Bouches-du-Rhône qui abritent (abritaient ?) les deux plus puissantes fédérations socialistes, ou encore la Creuse historiquement à gauche et les Cotes-d’Armor, dirigé par le PS depuis quarante ans, tandis que le Var et la Haute-Savoie ne compteront plus aucun élu de gauche dans la nouvelle mandature.
Un des deux derniers départements tenus par le PC, l’Allier, est lui aussi tombé dans l’escarcelle de la droite. A contrario, dans le Val-de-Marne, les communistes ont sauvé leur dernière citadelle départementale, en réussissant à mobiliser à grande échelle leurs clientèles les plus exotiques.
Outre certains apparatchiks de la rue de Solferino, il n’y a guère eu que Maurice Szafran, sur le site de Challenges, pour estimer aujourd’hui « que la virulence anti FN répétée de Manuel Valls n’a pas été sans efficacité » dans cette élection, « sonnant le tocsin aussi bien à gauche qu’à droite, remobilisant des électorats certes disparates mais profondément hostiles à l’extrême droite ». Tout en espérant (méthode Coué quand tu nous tiens !) que le FN a atteint « son plafond de verre »; toujours la même litanie…
Bruno Gollnisch le notait hier soir, notamment lors de son passage sur le plateau d’I télé, il aurait été assez miraculeux, au vu du mode de scrutin taillé sur mesure pour maintenir l’hégémonie de l’UMPS sur la vie politique, de la part belle que réserve cette élection aux poids des notables, aux petits arrangements entre amis, que le FN puisse gagner un département.
Pourtant a-t-il rappelé, ce second tour marque une nouvelle étape sur le chemin qui devra amener le FN au pouvoir, scrutin qui permet de rendre encore plus perceptible le vrai clivage politique de ce début de millénaire. Celui qui oppose d’un côté les partisans d’un mondialisme qui acte la disparition, l’effacement, le repli de la France, sa vassalisation, sa sortie de l’Histoire, l’ouverture sans frein à « la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux ». Et de l’autre ceux qui pensent que la France à un avenir, les défenseurs des identités et des souverainetés nationales, de la libre coopération entre Etats libres, de la régulation, d’un protectionnisme intelligent.
Les magouilles entre l’UMP et le PS, notamment les appels de l’UMP à voter PS ou du PS à voter UMP pour freiner l’ascension du FN, ont surtout permis de matérialiser cette entente de fond entre les deux principaux partis euromondialistes.
Ententes entre le parti de M. Sarkozy et celui de M. Cambadélis qui ont éclaté au grand jour puisque les élus UMP qui ont bravé la posture hypocrite du ni-ni en appelant à voter PS n’ont pas été sanctionnés. Ce fut d’ailleurs la règle dans la quasi-totalité des cantons où le FN étaient opposés aux socialo-communistes. Or, les candidats UMP qui auraient eu l’audace d’appeler à voter FN pour faire barrage à la gauche auraient été, eux, immédiatement exclus…
Un second tour qui rend également visible le mépris du suffrage populaire, quand celui-ci ne va dans le sens souhaité par «nos élites» qui président au fonctionnement de notre démocratie confisquée. Marine rappelait ce matin sur RTL cette distorsion entre le vote des Français et la couleur politique des assemblées d’élus. Le FN a pourtant progressé entre les deux tours –il fait notamment des scores impressionnants dans les mairies FN comme dans les deux cantons d’ Hénin-Beaumont et celui de Beaucaire qui ont été remportés par les nationaux -; il recueille ainsi en moyenne 40% des voix dans les 1107 cantons où il était en capacité de se maintenir, en remportant 31 (62 élus) dans 14 conseils départementaux.
Le FN , en tête dans de nombreux départements (ce fut le cas dans 43 d’entre eux au premier tour) se voit néanmoins privé du nombre d’élus correspondant à son poids politique. Exemples parmi d’autres, majoritaire en voix dans le Vaucluse, le FN n’obtient que 3 conseilleurs départementaux -2 pour la Ligue du Sud, 6 pour l’UMP-UDI-Modem, 6 pour la gauche. Dans le Pas-de-Calais avec 42% des suffrages, l’opposition nationale ne remporte que 6 cantons sur 39 ; avec 38% dans le Nord et 40% dans les Pyrénées orientales, le Front n’aura aucun élu dans ces deux départements !
Pour prendre la mesure de ce déni démocratique, il faut aussi avoir à l’esprit qu’avec 15,93% des voix, les binômes du PS, et ceux de l’Union de la gauche (9,14%) obtiendront des centaines de conseillers départementaux. Les binômes EELV (29 988 voix, soit 0,16 %) auront 40 élus ; les binômes du Front de Gauche (266 896 voix) qui ont recueilli 1,45% et ceux du PC (100 413 voix) 0,55%, engrangent 150 élus ! A comparer avec les 4 108 000 suffrages (22,36%) qui se sont portés ce dimanche sur les candidats frontistes, FN qui fait plus que quadrupler son nombre de voix obtenu aux second tour des élections cantonales de 2011 ( 915 504 voix, 11,57 %, deux élus)…
Alors oui, les faits sont têtus et Marine était en droit de souligner hier soir que «le fait historique (de ce second tour) est l’installation du Front National/Rassemblement Bleu Marine comme force politique puissante dans de nombreux territoires». «Ce niveau électoral exceptionnel est le socle des grandes victoires de demain».
Sur le site de L’Express, Eric Mettout le résumait à sa façon : « Marine Le Pen s’est placée pour la prochaine présidentielle, une course de fond qui passera par une autre victoire, aux régionales en fin d’année. La Ve République est faite pour deux partis majoritaires, la France en compte désormais trois ».