La ficelle est un peu grosse mais cela devrait faire également plaisir à Bernard-Henry Lévy. A la demande de M. Fabius, une enquête préliminaire pour «crimes de guerre» a ainsi été ouverte par le parquet de Paris le 15 septembre visant le régime syrien. Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCHGCG) sont chargés de mener les investigations en s’attachant plus spécialement aux exactions présumées qui auraient été commises en Syrie entre 2011 et 2013 par le pouvoir laïque en place. «Face à ces crimes qui heurtent la conscience humaine, à cette bureaucratie de l’horreur, face à cette négation des valeurs d’humanité, il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité de ces assassins » a expliqué le ministre des Affaires étrangères.
Le «rapport César», du nom d’un ex-photographe de la police militaire syrienne qui a fui la Syrie en juillet 2013, et qui serait l’auteur de «milliers de photos insoutenables, authentifiées par de nombreux experts, montrent des cadavres torturés et morts de faim dans les prisons du régime», «témoigne de la cruauté systématique du régime de Bachar el-Assad » a estimé Laurent Fabius depuis l’Assemblée générale des Nations unies à New York.
Un Fabius moins émotif et moins disert sur les entorses aux droits de l’homme et autres cruautés commises par « nos alliés » Saoudiens ou Qataris, lui qui déclarait en outre à Marrakech en décembre 2012 : « le Front al nosra (branche syrienne d’al Qaïda, responsable de nombreux massacres de chrétiens, NDLR) fait du bon boulot contre (Bachar el) Assad en Syrie et donc c’est très difficile de les désavouer.»
«Assad est à l’origine du problème et il ne peut pas faire partie de la solution », « On ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau » affirmait de son côté François Hollande lundi devant l’assemblée des Nations-Unies. Mais cette position est-elle encore tenable ?
Il est à noter une inflexion assez sensible de la diplomatie américaine, actée par John Kerry il y a quelques heures, lors d’un entretien sur CNN: «Nous avons changé ça (l’exigence du départ d’Assad, NDLR). Au bout d’un certain temps nous nous sommes dits: Ça ne marche pas. Il est indispensable d’effectuer une transition ordonnée, contrôlée afin d’exclure les risques de revanchisme, de pertes, de vengeance». Si le président syrien quittait le poste dans la précipitation cela pourrait même provoquer «un vide, une implosion» a-t-il ajouté.
Lundi, Vladimir Poutine a proposé au Conseil de sécurité de l’ONU une résolution de soutien à une coalition politique et militaire contre le terrorisme incluant l’Iran et le régime syrien. Devant l’Assemblée générale, il a rappelé par ailleurs un certain nombre d’évidences, à commencer par le fait que le président Assad était à la tête d’un gouvernement légitime refusant logiquement toute ingérence: «J’ai le plus grand respect pour mes homologues américain et français mais ils ne sont pas des ressortissants syriens et ne doivent donc pas être impliqués dans le choix des dirigeants d’un autre pays (…). Nous devons reconnaître que personne d’autre que les forces armées du président (syrien) ne combat réellement l’Etat islamique.»
Dans l’entretien accordé au journaliste américain Charlie Rose pour les chaînes CBS et PBS en début de semaine, le président russe affirmait pareillement qu’«il n’y a qu’une seule armée régulière et légitime là-bas (en Syrie, NDLR), celle du président syrien Bachar el-Assad. D’après l’interprétation de certains de nos partenaires internationaux, c’est une opposition qui lutte contre lui. Mais en vérité, réellement, l’armée d’Assad se bat contre des organisations terroristes».
«Nous accordons un soutien au pouvoir légitime de la Syrie. De plus, je suis profondément convaincu qu’en agissant dans un autre sens, celui de la destruction du pouvoir légitime, nous pouvons provoquer une situation similaire à celle qu’on observe actuellement dans d’autres pays de la région, ou dans d’autres régions du monde, en Libye par exemple, où toutes les institutions étatiques se sont désintégrées (…). Vous dites sans cesse, avec une persévérance qui pourrait être mieux utilisée, que l’armée syrienne se bat contre son propre peuple. Mais regardez qui contrôle 60% du territoire syrien! Où est cette opposition modérée ? 60% du territoire syrien est contrôlé soit par Daesh, soit par d’autres organisations terroristes, telles que le Front al-Nosra ou d’autres encore, reconnues comme organisations terroristes par les Etats-Unis entre autres États, ainsi que par l’ONU.»
«Nous considérons que les questions d’ordre politique dans chaque pays doivent être abordées par les peuples de ces pays, avant tout. Mais nous sommes prêts à accorder un soutien au pouvoir officiel de la Syrie, tout comme à la partie saine de l’opposition, pour qu’ils puissent trouver un accord sur l’avenir politique de leur pays. C’est justement pour ça que nous avons organisé une série de rencontres pour les représentants de l’opposition et du gouvernement Assad. Nous avons participé à la conférence de Genève à ce propos. Nous sommes prêts à continuer à collaborer dans ce sens en poussant les deux parties, le pouvoir officiel et l’opposition, à trouver un accord, mais de façon pacifique.»
Un discours ferme mais de bon sens, désignant l’adversaire prioritaire, dénonçant les désastreuses menées atlantistes de ces dernières années dans cette partie du monde, pragmatique, respectueux du principe de souveraineté nationale… Force est de constater que ses analyses rejoignent celles de l’opposition nationale note Bruno Gollnisch. Aussi n’est-il pas étonnant que les propos de M. Poutine, peint de manière générale sous les couleurs les plus sombres par les « grands» médias dans notre pays, soient écoutés avec autrement plus de sympathie par les Français que ceux de M. Hollande.