Les Etats-Unis ont parachuté dimanche en Syrie des dizaines de tonnes de munitions et d’armements à des rebelles dits « modérés » censés combattre à la fois les fanatiques islamistes et les troupes légalistes de Bachar el-Assad. Vendredi, le porte-parole du Pentagone, Peter Cook, a précisé que Washington fournirait désormais des équipements et des armes à des groupes sélectionnés de l’opposition syrienne. Or, c’est justement là que le bât blesse. Le site du journal libanais L’Orient-Le Jour y a consacré un long article, les Américains «ont commencé à entraîner, en mai dernier, des rebelles modérés, dans le cadre du programme Train and Equip Program, « avec l’objectif d’en former jusqu’à 5.400 par an. »
« Appelées les Nouvelles Forces syriennes (NFS) par le Centcom (US Central Command), ces recrues n’ont toutefois pas répondu aux attentes occidentales (…). Échec cuisant , embarrassant , fiasco … Autant de termes fréquemment utilisés pour qualifier le programme américain d’entraînement des rebelles syriens modérés, annoncé en 2014 et pour lequel un budget de plus de 500 millions de dollars était prévu. Sur les milliers de candidats promis, un peu plus d’une petite centaine de combattants – soit deux promotions de 54 et 70 personnes – ont répondu aux critères américains et réussi leur formation au cours du Train and Equip Program »… qui ont tous depuis fait défection, abandonné le matériel fourni aux égorgeurs islamistes, ou ont été tués.
«David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) à Paris et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques» explique, comme d’autres spécialistes, les raisons de cet échec : «la difficulté de ce programme, c’est tout simplement sa sélectivité. (…) Et c’est toujours le même problème qui n’est pas résolu, à savoir est-ce qu’il y a des interlocuteurs fiables sur le terrain et qui seraient susceptibles de constituer une alternative à la fois à Bachar el-Assad, et aux groupes djihadistes? Et pour l’instant la réponse est non, puisque (ce programme) est un fiasco total. On pourrait résumer le manque d’interlocuteur fiable par la formule suivante: « recherche rebelles modérés désespérément.»
La Russie elle, à l’instar de nombreux observateurs sérieux, estime que les modérés en Syrie se trouvent surtout dans le camp de soutiens au régime syrien actuel, que la priorité est de consolider le pouvoir en place en Syrie face au terrorisme djihadiste. Dans les faits et comme l’a dit Marine, « certains voient d’un mauvais œil cette intervention (de la Russie en Syrie, NDLR) parce que Vladimir Poutine fait ce que nous aurions dû faire il y a déjà un certain nombre d’années ».
Le Bulletin d’André Noël, le souligne, «les capitales occidentales et les gazettes s’étonnent de la force de feu sans précédent déployée par la Russie en Syrie et en recherchent la raison… Le coup de force russe laisse l’OTAN sans voix , titre Le Figaro. Réponse : parce que Poutine a déclaré la guerre à l’Etat islamique et qu’en conséquence, il lui fait …la guerre mais pas à moitié car la guerre, ou on la fait ou on ne la fait pas : pas de demi-mesure en la matière! L’étonnement de la coalition occidentale vient de ce qu’elle a aussi déclaré la guerre aux islamistes mais sans aller jusqu’au bout de cette logique guerrière (…).»
« Deux ans de bombardements ciblés n’ont pas empêché (les) troupes de tueurs (islamistes) de progresser et de conquérir de nouveaux territoires. La Russie, elle, est décidée à y mettre le paquet. On dit qu’elle frappe surtout les démocrates, opposants à Bachar El-Assad. Ce n’est pas prouvé mais, même si cela était, la conviction des Russes est que, si Assad tombe, ce ne seront pas les démocrates qui prendront le pouvoir mais les islamistes, les premiers faisant, de fait, le jeu de daech. L’objectif de remplacer un dictateur par un démocrate n’a jamais été atteint par les Occidentaux, ni en Libye, ni en Irak. Cela ne marcherait pas davantage en Syrie. »
Mais l’avènement de la démocratie en Syrie est-il vraiment l’objectif principal ? Comme l’a noté Bruno Gollnisch, des moyens financiers très importants et une colossale offensive médiatique ont été déployés depuis mars 2011 par le Nouvel ordre mondial, ses alliés européens et des pétromonarchies, pour faire chuter la Syrie.
Le propos a souvent été rapporté, il figure dans le livre The War against the Terror Masters (Guerre contre les maîtres de la terreur) paru en septembre 2002, de Michael Ledeen, un neocon appartenant à cette coterie soutenant alors Georges W. Bush : « D’abord nous devons en finir avec les régimes terroristes, à commencer par les trois grands : Iran, Irak et Syrie. Puis nous nous occuperons de l’Arabie saoudite. … Nous ne voulons de stabilité ni en Irak, ni en Syrie, ni au Liban, ni en Iran ou en Arabie saoudite. Nous voulons que les choses changent. La question n’est pas de savoir s’il faut déstabiliser mais comment le faire.»
Susciter le chaos, diviser pour régner sont des stratégies vieilles comme le monde. Comme Henry Kissinger avant lui, le géopoliticien Zbigniew Brzezinski a théorisé dés le début des années 90 un soutien à l’islamisme, de la Turquie à l’Afghanistan pour fragiliser la Russie et l’Europe, le morcellement des Etats du Proche et du Moyen-Orient remplacés par des mini-califats contrôlés par Washington.
Un plan qui rejoint les réflexions d’un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères israélien, Oded Yinon, telles qu’exprimées dés 1982 dans une publication parue dans le cadre de « l’Organisation sioniste mondiale » (World Zionist Organisation).
«Le Moyen-Orient affirmait M. Yinon, ne pourra pas survivre dans ses structures actuelles sans passer par des transformations révolutionnaires (…). Il s’agit ni plus ni moins de favoriser la dislocation des pays musulmans. » Il était ainsi prévu de partager l’Irak en trois blocs (chiite, sunnite et kurde) et de pulvériser l’Etat syrien en plusieurs entités. Dans la même veine signalons encore le rapport rédigé en 1996 par le Prince des ténèbres , Richard Perle, intitulé A clean break: a new strategy for securing the realm. Ce document, véritable catalogue de déstabilisation des pays musulmans fut présenté à Benjamin Netanyahu dans le cadre d’un think tank israélien : The Institute for advanced strategic and political issues.
Ce qui ne veut pas dire que cette stratégie là, pas plus que les cogitations de MM. Kissinger et Brzezinski, soient suivies à la lettre par le gouvernement actuel de l’Etat hébreu ou des Etats-Unis. Différentes options sont sur la table et l’on trouve notamment à Washington des partisans du maintien d’Assad. Mais au-delà des vicissitudes, des ajustements, des imprévus, la situation actuelle donne cependant la troublante impression d’un plan d’ensemble qui fait écho et donne corps aux propos précités. Et qui expliquerait (en partie) l’actuelle campagne de diabolisation dont la Russie est victime.