Il y a les maladresses de Jean-Luc Mélenchon, il y a aussi les approximations de Sylvain Rakotoarison, qui dirige un blogue de réflexions sur l’actualité plutôt confidentiel. Celui-ci a consacré un long article à l’ex Premier ministre et maire de Lyon Raymond Barre à l’occasion du dixième anniversaire de sa mort -M. Rakotoarison se dit lui même barriste– qui a été repris sur le site Agoravox nettement plus fréquenté par les internautes.
Sylvain Rakotoarison s’arrête assez longuement sur un épisode de la vie politique de Raymond Barre, en l’espèce « sa maladresse lors de sa réaction sur TF1 au terrible attentat antisémite de la rue Copernic le 3 octobre 1980 (il était alors Premier ministre) : Cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic . Il avait dû s’expliquer devant les députés le 8 octobre 1980 en réaffirmant que malgré la tournure de la phrase qui pouvait susciter l’ambiguïté, celle de considérer que les Juifs étaient coupables et n’étaient pas des Français, ses compatriotes juifs faisaient bien partie de l’ensemble de la nation et qu’il n’y avait pas opposition. Mais il n’avait pas voulu dire simplement qu’il avait été maladroit et qu’il le regrettait. »
«Ce reproche l’a rendu très amer pendant les décennies qui ont suivi cette malheureuse polémique. Juste avant de mourir, dans ses dernières déclarations publiques avant de tomber dans le coma, sur France Culture, interrogé par Raphaël Enthoven le jeudi 1er mars 2007 dans l’émission Le rendez-vous des politiques, il a franchi la ligne rouge en se lâchant, en évoquant le lobby juif capable de monter des opérations indignes contre lui » – « Je considère que le lobby juif – pas seulement en ce qui me concerne – est capable de monter des opérations indignes, et je tiens à le dire publiquement» avait affirmé plus précisément M. Barre, NDLR).
Et l’auteur de l’article d’en tirer la conclusion dont chacun pourra juger de la fine pertinence: «C’était hélas une triste illustration du fameux naufrage de la vieillesse dont parlait De Gaulle pour expliquer Pétain.» «Il a aussi choqué beaucoup de monde (dont moi), écrit-il encore, en parlant de son ancien collègue universitaire à Caen, Bruno Gollnisch (élu FN condamné pour propos négationnistes) qui était un conseiller municipal de Lyon qui se conduit correctement : Moi, je suis quelqu’un qui considère que les gens peuvent avoir leur opinion, c’est leur opinion. Et par ailleurs, quand je les ai vu fonctionner dans un climat particulier, je reconnais leurs qualités. (…) Certes, je blâmais les propos de M. Gollnisch, mais j’ai tellement entendu les propos de M. Gollnisch à Lyon que cela finissait par ne plus m’émouvoir. Quand on entend à longueur de journée tout ce qui se dit à droite et à gauche, à la fin, on n’y porte plus attention. Et j’ai dit en parlant de Gollnisch que je blâmais ce qu’il avait dit, mais que pour le reste, je l’avais connu et que c’était un homme bien. C’était un bon conseiller municipal et que ceux qui ne sont pas satisfaits de cela pensent ce qu’ils veulent.»
Dans les faits, Bruno Gollnisch et Raymond Barre avaient siégé ensemble à la Commission des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale de 1986 à 1988, au Conseil Régional Rhône-Alpes, au Conseil Municipal de Lyon durant six années comme au Conseil d’Administration de l’Opéra. Il avait d’ailleurs tenu à prendre la défense de l’ex Premier ministre de nouveau attaqué violemment par le Crif après son entretien sur France Culture : « Raymond Barre n’est certainement pas antisémite, sa vie personnelle en témoigne, pas davantage que je ne le suis. Certains groupes de pressions et associations s’ingénient à fabriquer des antisémites là où il n’y en a pas, il est regrettable que M. Barre soit réduit à une déclaration malheureuse faite il y a 25 ans ».
L’année suivante à l’occasion de l’hommage rendu à R. Barre avec l’inauguration d’un d’un place portant son nom à Lyon, l’élu frontiste avait salué la mémoire d’un homme qui a eu « le courage de dire cette estime à mon égard au moment où les chacals et les hyènes se déchaînaient dans une invraisemblable et absurde campagne de diabolisation (…). Honneur à celui qui a eu le courage, alors qu’il n’avait rien à y gagner, de ne pas hurler avec les loups, fût-ce contre un adversaire. L’Histoire lui donnera raison.»
Précisons aussi que Sylvain Rakotoarison, écartons a priori l’hypothèse du mensonge diffamatoire délibéré, maîtrise imparfaitement son sujet car Bruno Gollnisch au final n’a jamais été condamné pour propos négationnistes. Rappelons les faits: lors d’une conférence de presse tenue le 11 octobre 2004, l’universitaire et député frontiste réitère à la demande d’un journaliste son attachement à la liberté d’expression et de recherche, et rappelle la responsabilité des communistes soviétiques dans le massacre de Katyn. Il s’en suivra une sidérante cabale politico-médiatique et judiciaire. Elle entraînera le 3 mars 2005, au terme d’une campagne haineuse, sa suspension pour cinq ans de l’université de Lyon III. Blanchi par un non-lieu éclatant du juge d’instruction Chauvot, il aura le triste privilège d’être le seul justiciable de France poursuivi par deux voies différentes pour les mêmes faits sur ordre direct et revendiqué de Dominique Perben, alors Garde des Sceaux et … candidat à la Mairie de Lyon. Il faudra attendre 2009, pour qu’il soit totalement blanchi par les onze magistrats de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation des accusations portées contre lui.
C’est bien en vertu de l’application de l’inique, la scélérate, la stalinienne loi Gayssot dénoncée alors par de nombreuses personnalités insoupçonnables comme Annie Kriegel, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Ribérioux, Simone Veil, par des juristes, des universitaires et des figures politiques que Bruno Gollnisch fut persécuté. Une loi souligne-t-il qui en 1990, lors de son adoption, eu contre elle le vote de 256 députés d’opposition de droite, « parmi lesquels Jacques Chirac, Pierre Mazeau, Jean-Louis Debré, François Fillon, Dominique Perben, Jacques Toubon… lesquels une fois au pouvoir, au lieu de préparer son abrogation, en firent une application particulière à leur adversaire politique que je suis ! Incidemment, dans cette action, transparaît l’attitude constante de la droite parlementaire, dans ce domaine comme dans tous les autres : reniement de ses convictions, et trahison de ses électeurs. »
Vrai résistant de la première heure, co-fondateur de l‘UDF, journaliste, Alain Griotteray (1922-2008) mettait en garde ses lecteurs dans Le Figaro sur une évolution pernicieuse dont nous avons aujourd’hui la terrible confirmation: « L’autre loi Gayssot, immatérielle celle-là, présente l’intérêt supplémentaire d’être rétroactive : elle travaille à revisiter l’Histoire. Elle inspecte les écrits et les dires du temps jadis, se moque des anachronismes, et tranche du bien comme du mal. Au point d’instaurer une nouvelle morale bourgeoise, bien plus forte que la morale victorienne : les bons sentiments y règnent en maîtres, l’hypocrisie et la lâcheté aussi. »
Nouvelle morale bourgeoise dont est pétrie elle aussi la direction de La France Insoumise et sa vision désincarnée, hors-sol, abstraite de notre nation et de notre peuple ; là encore, au-delà des apparences et des coups de com, il ne suffit pas pour s’en affranchir de refuser de porter une cravate dans un hémicycle.