Emmanuel Macron, chef des Armées de par notre constitution, n’était certes pas tenu d’organiser un débat préalable avec le Parlement pour frapper militairement samedi la Syrie (conjointement avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni), mais cette opération militaire peut-elle se justifier, son bien fondé est-il recevable pour tous ceux qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez? Bruno Gollnisch, à l’instar des autres dirigeants du FN, ne le pense pas.
M. Macron a tenté de justifier la légalité internationale de cette agression… en critiquant au passage les interventions militaires faites dans le passé par les neoconservateurs. «C’est la communauté internationale qui est intervenue » le 14 avril a-t-il affirmé sans rire malgré l’absence de mandat de l’ONU, arguant de la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU. Celle-ci avait été adoptée le 21 septembre 2013 , après une attaque chimique qui s’était déroulée un mois auparavant, attribuée (apparemment faussement) aux forces fidèles à la République arabe syrienne. A l’unanimité de ses 15 membres, le Conseil de sécurité , au terme d’une décision qui figurait en annexe de ladite résolution, expliquait que la Syrie était notamment tenue d’achever l’élimination de « tous les équipements et matières liés aux armes chimiques » au cours du premier semestre 2014. Les membres du Conseil, commentant la décision, avaient prévenu qu’en cas de non-respect par Damas de ses obligations, des mesures pourraient être prises en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Son article 42 prévoit que le Conseil de sécurité « peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.»
Ce 14 avril,Washington, Paris et Londres ont expliqué que leurs frappes étaient des mesures de représailles après l’attaque chimique au chlore imputée à l’armée syrienne dans la ville de Douma (Ghouta orientale). Hier soir, le chef de l’Etat a précisé que la France n’a « pas déclaré la guerre au régime de Bachar el-Assad » mais qu’il avait « obtenu des preuves – il n’a donné aucun détail sur la réalité de celles-ci, NDLR- que des armes chimiques (avaient) été utilisées » par le gouvernement syrien. » En conséquence de quoi « trois sites de production d’armes chimiques – désaffectés depuis longtemps, NDLR- ont été visés par ces attaques (…). Les capacités de production d’armes chimiques ont été atteintes et détruites. Il n’y a eu aucune victime selon les dires des Syriens et des Russes. »
La porte des discussions est cependant toujours ouverte a précisé la président de la république, le dialogue n’est pas rompu avec le Kremlin pour préparer «une transition durable en Syrie, en accord avec Vladimir Poutine. » « Pour construire une solution durable, il nous faut parler avec l’Iran, la Russie et la Turquie», a-t-il ajouté, se félicitant au passage d’avoir « séparé les Russes des Turcs sur cette question » des frappes qui ont été approuvés par le président turc Recep Tayyip Erdogan, lequel se souvient parfois que son pays est toujours membre de l’Otan et candidat à l’adhésion à l’Union européenne…
Le chef de l’Etat a aussi martelé que la Russie était « complice » de Damas du fait qu’elle aurait « construit méthodiquement l’incapacité de la communauté internationale par la voie diplomatique à empêcher l’utilisation des armes chimiques ». Accusation relevée comme c’était à prévoir par le site RT qui souligne que si Emmanuel Macron « a encore accusé Moscou d’avoir impuissanté la communauté internationale», il est pourtant établi que « le projet de résolution russe affirmant un plein soutien à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), organisme neutre de l’ONU, dans l’enquête sur le terrain, a été rejeté le 10 avril par le Conseil de sécurité. »
Moscou n’a pas manqué de souligner que ces frappes ont eu lieu quelques heures seulement avant que les inspecteurs de l’OIAC ne commencent leur travail sur le terrain. OIAC que l’ONU fait intervenir dans les cas de suspicion d’utilisation d’armes chimiques et dont les inspecteurs sont arrivés seulement hier à Douma. Mais l’OAIC était déjà en Syrie! Et sur son site a été publié en mars 2018 le résultat de son enquête qui précise notamment que sur un des lieux attaqués le 14 avril, « il n’a pas été relevé dans les échantillons prélevés la présence de produits chimiques ni observé d’activités contradictoires avec des obligations (d’arrêt de fabrication d’armes chimiques). »
Que dire des explications de M. Macron sinon qu’elles s’illustrent par un grand accommodement avec la vérité? Hier, non sans orgueil, il plastronnait en affirmant: «Il y a 10 jours, le président Trump disait que les Etats-Unis ont vocation à se désengager de la Syrie. Nous avons convaincu Donald Trump que c’était important de rester sur le terrain de la Syrie et nous avons réussi à la convaincre de limiter l’intervention aux armes chimiques. » Or est-il rapporté ce matin, la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, a infligé un camouflet au président français: « la mission américaine n’a pas changé: le président a été clair sur le fait qu’il veut que les forces américaines rentrent à la maison le plus vite possible. »
Xavier Moreau, directeur de Stratpol, notait le 14 avril sur l’antenne de RT que les frappes menées par la coalition occidentale, de type One time shot, signaient en fait «le début et la fin de l’intervention occidentale contre l’armée de Bachar el-Assad et ses alliés russes et iraniens, dixit le général James Mattis », secrétaire à la Défense des Etats-Unis. « C’est surtout le signe de la victoire définitive de Bachar el-Assad et de ses alliés.»
« On ne sait rien des cibles visées. Si la coalition savait qu’il y avait un programme chimique clandestin syrien pourquoi l’apprend-t-on seulement aujourd’hui ? Et les sites qu’ils ont bombardé quand ont-ils été identifiés? Dans la nuit ? On est dans le grotesque, le ridicule, cela rappelle l’opération menée seule par Trump qui a consisté à envoyer une cinquantaine de missiles tomahawk.» M. Moreau évoque ici l’action menée en avril 2017 contre une base aérienne de l’armée syrienne à Chayrat. Une attaque annoncée comme les représailles yankees au bombardement aérien chimique imputé, là aussi sans aucune preuve aux forces gouvernementales dans la localité de Khan Cheikhoun, non encore libérée à l’époque de l’emprise des milices islamistes. Une nouvelle fois, la preuve d’une attaque chimique de l’armée syrienne dans la ville de Douma n’est pas apportée par la France disait encore Xavier Moreau et M. Macron a été bien incapable d’en dire plus hier soir . Nos services secrets en auraient la preuve?
«Mais quels services secrets ? La direction du renseignement militaire ? La DGSE ? Là, en plus, on apprend que ce sont des renseignements issus des réseaux sociaux. Bien sûr que ce ne sont pas des services de renseignement. Ni la DGSE, ni la DRM (la Direction du renseignement militaire) ne se commettraient dans des choses pareilles (…). Ce qui a précipité la frappe, cela a été la révélation par Russia Today de la manipulation de la vidéo des Casques blancs -islamistes opposants à Bachar téléguidés par les services de renseignements britanniques, NDLR- , avec le témoignage des deux personnes qui ont participé malgré elles à cette vidéo. » Ce qui fait indique-t-il, qu’il fallait agir ( rapidement militairement le 14 avril) avant que ledit témoignage ne circule ce qui aurait embarrassé Emmanuel Macron alors qu’il allait être interrogé le lendemain par MM Bourdin et Plenel.
Laissons le mot de la fin à Michel Raimbaud, ex ambassadeur de France au Soudan et en Mauritanie, spécialiste reconnu du Levant:
« Si elles avaient une mémoire collective, les opinions se souviendraient du sort de l’Irak, de la Somalie, de la Libye…peut-être de l’ex-Yougoslavie, voire du Yémen où destructions et massacres se poursuivent sous l’égide de l’ami stratégique imprévu qu’est le jeune Mohammed Ben Salmane, étreint avec effusion par notre ministre des affaires étrangères lorsqu’il débarque tel le Messie. Elles reverraient Colin Powell brandissant ses fioles venimeuses et chimiques pour justifier une invasion de l’Irak et son démantèlement (…). Macron (…) ose qualifier cette nouvelle attaque illégitime, arrogante et dépravée de devoir moral . Devons- nous nous habituer à voir par les nuits sans lune nos dirigeants se tortiller sur leur fauteuil, le doigt sur le bouton et le petit doigt sur la couture du pantalon (…) pour lancer leurs engins meurtriers sur la Syrie qui ne les a jamais agressés ? Quelle sinistre comédie ! Comme si 400 000 morts, 13 ou 14 millions de réfugiés, exilés ou déplacés, un pays ravagé, ne suffisaient pas à combler le sens moral de ces hautes consciences. Après sept ans de mensonges éhontés, de destructions systématiques, de méfaits innommables, peut-on vraiment dire que le respect de l’autre est une valeur de l’Occident » ?