Le secrétaire d’État par intérim, le républicain John Sullivan, défend une approche de la question des droits de l’homme politiquement plus pragmatique, plus trumpiste en un mot. Il a ainsi précisé que « la Stratégie de sécurité nationale 2017 reconnaît qu’une gouvernance faible et corrompue est une menace pour la sécurité mondiale et pour les intérêts américains. Certains gouvernements sont incapables de maintenir la sécurité et de pourvoir aux besoins de base de leur peuple, quand d’autres n’y sont simplement pas favorables. »« Les États qui restreignent les libertés d’expression et de rassemblement pacifique, qui autorisent et commettent des violences contre des membres des minorités religieuses ethniques ou d’autres groupes minoritaires (…) sont moralement condamnables et discréditent nos intérêts. »
Une phrase un peu étrange (en quoi les intérêts de Washington seraient discrédités par une violation des droits de l’homme dans un Etat tiers ?) mais qui prend tout son sens quand M. Sullivan précise que « les gouvernements de Russie, de Chine, d’Iran et de Corée du Nord, par exemple (sic), violent quotidiennement les droits de l’homme. » Que les pays en question, amalgamés ci alors que leur réalité politique, leur mode de gouvernance sont très différents, soient sujets à des degrés divers à des problèmes de corruption et/ou de restriction des libertés individuelles, est une évidence qui n’est pas contestable.
Ce qui ne l’est pas non plus c’est que nous retrouvons ici les vieux Etats voyous (Rogue state) les membres de l‘axe du mal qui figurent sur toutes les listes noires de l’Etat profond américain depuis des décennies en ce qu’ils refusent de courber l’échine devant le nouvel ordre mondial. Ou parce qu’ils sont considérés du fait de leur existence même comme des adversaires géopolitiques…contrairement aux amis de l‘Oncle Sam qui, comme l‘Arabie saoudite peut ratonner sauvagement actuellement les yéménites chiites sans craindre une pluie de missiles tomahawk. Éternelle hypocrisie d’une morale droit-de-hommiste à la sauce quaker et à géométrie variable.
Des droits de l’homme à ceux des médias il n’y a qu’un pas et Reporters sans frontières (RSF) vient de sortir son Classement mondial de la liberté de la presse, dans 180 pays – la Norvège est en haut du classement, la Corée du Nord bonne dernière. «(Il) révèle un climat de haine de plus en plus marqué. L’hostilité des dirigeants politiques envers les médias n’est plus l’apanage des seuls pays autoritaires comme la Turquie (157e, -2) ou l’Egypte (161e), qui ont sombré dans la mediaphobie (…) De plus en plus de chefs d’Etat démocratiquement élus voient la presse non plus comme un fondement essentiel de la démocratie, mais comme un adversaire pour lequel ils affichent ouvertement leur aversion. Pays du Premier amendement, les Etats-Unis de Donald Trump figurent désormais à la 45e place du Classement, en recul de deux places. Le président adepte du media-bashing décomplexé, en qualifiant les reporters d’ennemis du peuple, use d’une formule utilisée autrefois par Joseph Staline. »
RSF indique que «c’est en Europe, la zone géographique où la liberté de la presse est la moins menacée dans le monde, que la dégradation de l’indice régional est la plus importante cette année. Sur les cinq plus fortes baisses du Classement 2018, quatre sont des pays européens : Malte (65e, -18), République tchèque (34e, -11), Serbie (76e, -10) et Slovaquie (27e, -10). La lente érosion du modèle européen se confirme. »
Un Classement qui montre également « l’influence grandissante des hommes forts et des contre-modèles. Après avoir étouffé les voix indépendantes à l’intérieur de ses frontières, la Russie (148e) de Vladimir Poutine étend son réseau de propagande à travers le monde grâce à ses médias comme RT et Sputnik, et la Chine (176e) de Xi Jinping exporte son modèle d’information verrouillée en Asie. »
CNN, la BBC, aljazeera ou France 24 ne seraient aucunement des réseaux de propagande plus ou moins appuyé et habile, des instruments de soft power pour les gouvernements des pays dont ils sont la voix et l’image à l’étranger? L’information ne serait absolument pas verrouillée en France ? 10 milliardaires ne posséderaient pas chez nous 90 % des quotidiens nationaux, des télévisions et radios de grande audience qui ont toujours tous fait ouvertement campagne contre l’opposition nationale ?
Le problème de la liberté de la presse en France est aussi celui de la liberté du journaliste vis-à-vis de son employeur qui tutoie les puissants, quand bien même beaucoup de titulaires de carte de presse sont formatés et relaient par conviction les idées dominantes. Bruno Gollnisch l’a dit dernièrement, la Russie comme la France par exemple sont toutes deux des démocraties imparfaites et il s’agirait de ne pas trop s’illusionner sur la réalité de la pleine liberté d’informer le bon peuple en France sur tous les sujets…
Le Monde qui évoque ce classement donne la parole à Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, co-auteur il y a quelques années du très intéressant Circus politicus. Nous ne doutons aucunement de sa sincérité quand il défendait « la souveraineté des électeurs» face à ceux « qui détiennent réellement le pouvoir, c’est-à-dire ceux qui sont à Bruxelles, dans des institutions dites indépendantes et qui ne relèvent pas de responsabilité politique. » Il estime aujourd’hui que « Les dirigeants politiques qui alimentent la détestation du journalisme portent une lourde responsabilité.» « A propos de l’Hexagone, RSF évoque les attaques régulières du président du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez, à droite, et celles du chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à gauche, alimentant un climat délétère ayant atteint son paroxysme pendant la campagne électorale de 2017 . Contester aujourd’hui la légitimité du journalisme, c’est jouer avec un feu politique extrêmement dangereux , prévient M. Deloire. »
La légitimité du journalisme qui est celle d’informer les citoyens n’est en aucun cas remise en cause par l’opposition nationale, c’est même une question centrale. C’est pourquoi nous estimons aussi que tronquer sur ordre, par idéologie ou autocensure, la réalité, la déformer voire la passer sous silence quand celle-ci ne va pas dans le sens de l’histoire, du vivre-ensemble ou de l’avènement à marche forcée des sociétés (largement) ouvertes, lesquelles sont contestées toujours plus avant par les peuples européens, c’est aussi jouer avec un feu politique extrêmement dangereux.