Battisti avait été incarcéré en 2007 au Brésil à la prison de haute sécurité de Papuna après son arrestation à Rio de Janeiro, mais avait été libéré en 2011 après que la demande d’extradition formulée par la justice italienne ait été rejetée par la Cour suprême du Brésil. Il avait été condamné dans son pays par contumace en 1993 à la réclusion à perpétuité pour quatre meurtres et complicité de meurtres. « Il avait cessé toute activité terroriste depuis la fin des années 70, et avait fui la France en août 2004 pour échapper à la décision de l’extrader vers son pays pour y être jugé (…). » C’est au nom de la fameuse Doctrine Mitterrand, laquelle n’a jamais eu aucune valeur juridique, soit l’engagement pris en 1985 de ne pas extrader les anciens militants italiens d’extrême gauche ayant rompu avec la violence, que cet homme trouva un sanctuaire en France.
Loin d’être le pur idéaliste décrit par ses soutiens français, il y a quelques années – Fred Vargas, l’ensemble de l’extrême gauche, François Bayrou ou encore Dominique Strauss Kahn s’étaient prononcés pour sa non extradition vers son pays-, Cesare Battisti devait aussi répondre de son implication dans de sordides affaires de droit commun qui n’ont pas grand chose à voir avec « le combat politique » ou les « manipulations » dont les PAC auraient été l’objet. Il lui est reproché notamment ce que Matteo Salvini rappelait il y a deux jours à la télévision italienne , à savoir le meurtre d’un joaillier, dont il avait également blessé le fils, devenu paraplégique, l’assassinat d’un gardien de prison et d’un membre des services de renseignements italiens. Il est aussi accusé d’avoir fait partie du commando qui fit irruption au siège du Mouvement Social Italien (MSI) de Mestre en février 1979, attaque au cours de laquelle fut tué un militant de ce mouvement, Lino Sabbadin. Il fut aussi inculpé d’ « association de malfaiteurs », de « recel » et pour avoir participé à une soixantaine de braquages.
Le ministre de l’Intérieur italien est pleinement dans son rôle, affirme Bruno Gollnisch, en se félicitant de ce que Battisti puisse enfin répondre de ses crimes. Il y a d’ailleurs un consensus quasi unanime de la classe politique italienne sur son cas. La Justice doit passer. Mais au-delà de l’affaire Battisti, son arrestation ne doit pas occulter le jeu très trouble qui fut celui de certaines officines, de certains services dans le terrorisme des années de plomb, si l’on n’oublie pas cette évidence, à savoir que derrière le terrorisme on retrouve bien souvent la manipulation, la main des services secrets.
Nous voyons aussi depuis l’arrestation de Battisti les commentateurs et autres spécialistes marqués à gauche, ce fut encore le cas hier soir sur France Inter, nous dire que l’extrême droite fut aussi coupablement sanglante que l’extrême-gauche lors des années de plomb. Certes, des militants d’extrême droite, souvent très jeunes, basculèrent eux aussi dans la clandestinité, la surenchère violente. Mais c’est un fait établi, que rappelait Jean-Gilles Malliarakis dans son ouvrage, recueil d’articles et de témoignages évoquant le cas de l’éditeur d’extrême droite Giorgio Freda, «aucun des groupes terroriste dits d’extrême droite n’ont pu être concrètement impliqué dans les grandes affaires. » Pourtant, l’on a voulu sans aucune preuve mettre sur le compte de l’extrême droite l’attentat ignoble de la gare de Bologne (1980) qui fit plus de 80 morts, « sur la foi d’un coup de téléphone anonyme que prétendait avoir reçu… un journal communiste. » Giorgio Freda, cas emblématique, fut lui impliqué dans le massacre de la Piazza Fontana à Milan en 1969 qui fit 17 morts et 88 blessés. Après 16 ans d’enquête et plusieurs procès fleuve, il fut acquitté mais son incarcération après son interpellation au Costa Rica en 1979 fut maintenue pour délit d’opinion, sous le chef d‘association subversive. Il fut alors condamné à 15 ans de prison.
« Le terrorisme rouge dans ces années était lui une réalité. Les Brigades Rouges ont joué un rôle considérable, ne serait-ce que par l’assassinat d’’un dirigeant de la Démocratie-Chrétienne comme Aldo Moro, dans l’évolution politique italienne. Il y aurait du reste beaucoup à dire sur l’utilité finalement stabilisatrice et non déstabilisatrice de ce terrorisme pour le régime italien d’alors. La démocratie italienne est née de l’antifascisme, il fallait que Mussolini soit pendu à des crocs de boucher. Il fallait dans les années 70-80 un ordre noir, une menace fasciste, un ennemi commun, non pour unifier les forces dites démocratiques, mais pour redorer dans l’opinion le blason du régime. »
Gabriele Adinolfi, Roberto Fiore, deux militants de la droite radicale réfugiés alors à Londres pour éviter les persécutions politico-judiciaires (très violentes , elles se soldèrent aussi parfois par la liquidation physique de militants extrémistes, de gauche comme de droite, au mépris de l’état de droit, des règles qui régissent normalement un régime démocratique) expliquaient en 1985 que « la classe politique italienne au pouvoir a joué longtemps avec le terrorisme. Elle pensait pouvoir l’utiliser pour régler ses propres luttes intestines. Elle l’a protégé et alimenté jusqu’au moment où, avec l’apparition des Brigades Rouges, il est devenu trop fort et incontrôlable (…). Tout le système répressif a été conçu et mis en œuvre pour exaspérer le plus possible les opposants radicaux et provoquer ainsi chez quelques uns d’entre eux une réaction violente…»
Ils notaient encore qu’à l’époque « la stratégie du massacre ou de la tension (était) directement mise en œuvre par les appareils du pouvoir » dans une Italie se signalant alors par « l’extrême fragmentation du pouvoir, lequel (se composait) de différentes centrales plus ou moins occultes et en concurrence perpétuelle.» « Les commanditaires et les exécutants des massacres sont des hommes de pouvoir appartenant selon les cas aux services secrets italiens ou à ceux de services secrets étrangers, aux structures parallèles (…) , à des loges maçonniques comme la Loge P2… ».
Dans un entretien accordé à la même période au quotidien La repubblica, le député socialiste italien Formica voyait lui aussi la main d’officines étrangères dans les attentats qui ont ensanglanté son pays. Il avançait comme explication une volonté de maintenir l’Italie sous contrôle. Plusieurs journaux italiens (L‘Européo, Panorama) avaient tiré comme conclusion de ses propos que les services secrets italiens étaient contrôlés par la CIA, que la Loge P2 était une émanation des services secrets italiens sur inspiration directe des services secrets américains.
Cet épisode politique italien, dans le contexte de l’époque, celui de la guerre froide, est bon à garder en mémoire en cette période de tensions, de fronde populaire. Comparaison n’est pas raison, mais il n’est pas inutile de comprendre ce qu’un Système a priori démocratique, un régime aux abois (et ses alliés) est capable de mettre en œuvre pour se maintenir à flot.