Nous serions aussi trop bêtes, trop partiaux, trop grossiers dans nos raisonnements pour comprendre l’avancée que constituerait le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, signé aujourd’hui par Emmanuel Macron et Angela Merkel, lesquels ont été accueillis par des huées . Il s’agit pour ses deux chef d’Etat et de gouvernement très affaiblis, démonétisés, contestés chez eux, de tenter de redonner un peu de lustre à la construction bruxelloise vacillante et brinquebalante en consolidant le moteur franco-allemand. Le symbole se veut éclatant, ledit traité se donne le nom de la ville qui fut la capitale de Charlemagne, à l’époque où nos deux pays étaient réunis au sein de l’empire carolingien, ainsi que la quasi totalité de l‘Italie et des actuels pays de la mitteleuropa…
La Croix explique à ses lecteurs que ce traité à été mis en place « pour triompher des populismes européens. » «Mais ce n’est pas, nous assure l’auteur de l’article, vers un fantasmatique projet de fusion qu’avancent Paris et Berlin. Les deux capitales veulent plutôt montrer la voie d’une intégration plus poussée des économies, d’une meilleure connaissance mutuelle des sociétés, d’une influence fortifiée sur la scène internationale, pour convaincre d’autres pays européens de les rejoindre dans cette démarche. Ils misent, bien sûr, sur la forte capacité d’entrainement que représente l’association des deux principales puissances économiques et politiques de l’Union européenne.»
La lecture dudit traité est pourtant assez stupéfiante en ce qu’elle indique comme volonté de pousser, n’en déplaisent aux enfumeurs de profession, la fusion de nos deux pays extrêmement loin. Beaucoup se sont arrêtés sur le cas emblématique de l’Alsace-Lorraine, puisque il est prévu que «les deux États dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées» (article 13), énonce que « les deux États sont attachés à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers » (article 15) et plus largement «rapprochent leurs systèmes éducatifs grâce au développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre.»
Mais ce n’est pas tout, loin s’en faut, puisque l’article 20 indique aussi que« les deux États approfondissent l’intégration de leurs économies afin d’instituer une zone économique franco-allemande dotée de règles communes. Le Conseil économique et financier franco-allemand favorise l’harmonisation bilatérale de leurs législations, notamment dans le domaine du droit des affaires». Le traité prévoit que la France et l’Allemagne « agissent en faveur d’une politique étrangère et de sécurité commune», pour une «convergence économique, fiscale et sociale » (article 1); « approfondissent leur coopération en matière de politique étrangère, de défense, de sécurité extérieure et intérieure » (article 3); «se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d’agression armée contre leurs territoires. Ils s’engagent à renforcer la capacité d’action de l’Europe et à investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique (…). Les deux États élaboreront une approche commune en matière d’exportation d’armements en ce qui concerne les projets conjoints» et « instituent le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (art 4) ».
L‘article 5 stipule encore que «les deux États étendent la coopération entre leurs ministères des affaires étrangères, y compris leurs missions diplomatiques et consulaires»; l‘article 6 prévoit la création d’une «unité commune en vue d’opérations de stabilisation dans des pays tiers»; l’article 8 précise que «l’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande »! Last but not least, il est enfin prévu par l‘article 23 qu’«Après l’entrée en vigueur du présent Traité, le Conseil des ministres franco-allemand adopte un programme pluriannuel de projets de coopération franco-allemande» tandis que l’article 24 indique qu’«Un membre du gouvernement d’un des deux États prend part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au conseil des ministres de l’autre État.»
Dans son article (qu’il faut lire) consacré à ce traité, Hervé Juvin conclut son propos par cette remarque: « Le plus étonnant est de voir un Président français servir l’agenda de ceux qui rêvent d’en finir avec la résistance française, l’indépendance française, l’esprit national, pour une fuite en avant à rebours de l’histoire, du sentiment collectif et de l’intérêt de la Nation. Et sans doute, les Allemands sauraient s’employer à réduire les Français à la soumission. Mais faut-il que celui qui a échoué sur tout ( Marcel Gauchet, Le Soir, 25 décembre 2018) fasse payer à ce prix ses échecs à la France ?».
Faut-il aussi que cette Europe bruxelloise trahisse les peuples dont elle affirme vouloir la prospérité? Est-ce par l’abaissement des Etats Nations que l’on sauvera l’Europe et les Européens? Nous l’avions écrit ici, après les terribles saignées des deux guerres mondiales, autant de guerres civiles européennes dont il faut le dire, la responsabilité incombe aussi (mais pas que) à l’ubris d’un nationalisme agressif, comment ne pas avoir de la sympathie en effet pour le rêve du mosellan Robert Schuman, homme respectable, visant à créer les conditions durables de la paix sur notre continent? Et ce, par la construction économique puis politique d’une Communauté ressuscitant peu ou prou l’empire carolingien, contours de la Communauté européenne qui avaient les faveurs d’un De Gaulle…
Mais la vision de l’Europe qui triomphe chez les oligarques c’est celle de l’autre père de l’Europe, Jean Monnet, économiste mondialiste très influencé par les Etats-Unis, qui ne cachait pas son souhait de créer les Etats-Unis d’Europe, marchepied d’une gouvernance mondiale. Un écho de cette philosophie là, petit clin d’oeil pour les initiés, est inscrit noir sur blanc dans le préambule de ce traité d’Aix la Chapelle. Nos deux libéraux-immigrationnistes patentés, M. Macron et Mme Merkel réaffirment «l’engagement de l’Union européenne en faveur d’un marché mondial ouvert, équitable et fondé sur des règles, dont l’accès repose sur la réciprocité et la non discrimination…»
Jean Marie Le Pen le disait il y a déjà plus de vingt ans : «et si encore ils détruisaient les nations occidentales pour construire une nation européenne, nous serions contre, bien sûr, mais enfin il y aurait une apparence de justification à leur visée … » On juge un arbre à ses fruits et la nature du sentiment européen de nos dirigeants à la politique qu’ils conduisent sous les auspices de Bruxlles. Bruno Gollnisch l’a souligné à de nombreuses reprises, les européistes encouragent la dilution-dissolution de l’Europe enracinée, charnelle, par l’appel permanent « au brassage universel » qui résultera de la «libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes». « Un véritable dogme religieux pour l’actuelle Union Européenne. »
Pour le camp progressiste dont Emmanuel Macron est le champion, il est réjouissant qu’une «civilisation » hors-sol, sans frontières, aboutissement extrême de tendances et de maux qui eurent précisément leur foyer d’origine en Europe, soit désormais commune non seulement aux Européens, mais aussi au monde occidental ou en voie d’occidentalisation. Ce nivellement général de fait, qui s’étend aux façons de vivre et aux goûts, associé à celui qu’entraînent la science, la technique, la mondialisation économique sert d’argument à ceux qui entendent dépasser l’Union européenne. La prochaine étape pour les idéologues supranationaux les plus extrémistes est bien celle d’un monde unifié, dans le cadre d’une organisation ou d’un Etat mondial. Associer le nom de Charlemagne à une des étapes de cette forfaiture, à ce projet contraire au génie européen, est bien dans l’esprit pervers de ce temps.