L’Union Européenne contre les Nations
Mesdames, Messieurs,
Je me propose de vous exposer dans un premier temps en quoi l’Europe agit contre les nations. Ou plus exactement l’Union Européenne car on assimile à tort – et c’est un des pièges sémantiques dans lesquels nous tombons nous-mêmes trop facilement – l’Europe à l’Union Européenne. Cela n’est pas la même chose.
Dans un deuxième temps je montrerai, si j’ose dire, l’Europe contre l’Europe, parce que selon moi l’Union Européenne agit contre les traditions, le patrimoine, l’héritage de l’Europe.
Et puis, dans un dernier moment, je m’efforcerai de vous dire ce qui, à mon avis, serait souhaitable, acceptable, possible. Parce que la voix déjà insignifiante en elle-même d’un parlementaire d’opposition le serait encore plus si, en se bornant à critiquer ce qui existe, il ne s’efforçait pas d’esquisser au moins ce qui lui paraît devoir être fait.
Alors, tout d’abord si vous voulez bien, l’Union Européenne contre les nations.
Je préfère ce titre à celui qui m’a été très légitimement proposé « l’Europe contre les nations », parce que, quand vous entendez parler de l’Europe, la première des choses qu’il faut évidemment poser, c’est : « qu’est-ce que l’Europe ? », de quelle Europe parlez-vous ? Et en l’occurrence il s’agit d’une Europe bien particulière, certainement la construction la plus importante, la plus prégnante, la plus aboutie à l’heure actuelle, mais qui n’est, comme le rappelait mon collègue Jean-Claude Martinez dans un livre paru il y déjà plus de 10 ans, qui n’est que l’une des dix neuf formes existantes de coopération européenne. Il avait fait l’inventaire des organisations publiques, des organisations gouvernementales européennes ou intereuropéennes, et il en avait dénombré dix-neuf, l’Union Européenne dont nous parlons n’étant que l’une de celles-ci. A titre d’exemple, il y a une organisation internationale européenne qui s’appelle le Conseil de l’Europe, dont font partie par exemple l’Ukraine, la Russie Blanche, la Russie elle-même. Et ce qui prête d’autant plus à la confusion, c’est qu’il y a un Conseil Europén qui est l’un des organes de l’Union Européenne : celui qui réunit les ministres, éventuellement les chefs d’Etat ou de gouvernement. Donc il ne faut pas confondre les deux. La confusion augmente lorsque l’on sait que le Conseil de l’Europe dispose lui-même d’une assemblée parlementaire, mais qui – contrairement au Parlement européen – n’est pas élu au suffrage universel direct, est composée seulement par délégation des parlements nationaux respectifs, mais qui tient également ses séances à Strasbourg. D’ailleurs autrefois, le Parlement européen tenait ses séances dans les mêmes locaux que ceux de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Donc le Conseil de l’Europe a abouti à une convention, la fameuse Convention Européenne des Droits de l’homme qu’il faut soigneusement distinguer de la Charte qui nous est proposée à l’heure actuelle dans le cadre du système de l’Union Européenne, et cette Convention Européenne des Droits de l’Homme a mis sur pied une Cour particulière qui s’appelle la Cour Européenne des Droits de l’Homme, mais qui n’a rien à voir avec le système de l’Union Européenne. Le système de l’Union Européenne dispose lui-même d’une cour de justice qui est la Cour de Justice dite autrefois des Communautés Européennes et qui siège, elle, à Luxembourg.
Donc, encore une fois, il y a des multiple coopérations possibles en Europe. Cela peut être un sujet d’inquiétude, cela peut aussi être un sujet de réconfort. Quand les gens vous disent « mais on ne peut pas refuser l’Europe », évidemment, nous n’avons pas pensé nier le fait que la France soit une nation européenne, que ce soit par la géographie, par l’histoire, par sa composition ethnique, sa culture etc. J’y reviendrai dans un instant. Mais cela n’empêche pas, quand on prétend vous embarquer de force dans un bateau « Europe », de demander de quelle Europe il s’agit. Je parlerai donc de l’Union Européenne.
L’Union Européenne, comme vous le savez – je me permettrai de vous rafraîchir cependant les idées à quelques-uns d’entre vous – est le résultat, au départ, de la fusion de trois organisations internationales très similaires qui sont ce qu’on appelait les Communautés Européennes, dont la première a été, de façon très significative, à l’instigation de Jean Monnet et surtout de Robert Schuman, la Communauté Européenne Du Charbon Et De L’Acier. Pourquoi ? Robert Schuman était lui-même un Mosellan, c’était une personnalité d’ailleurs tout à fait respectable. Il agit dans l’immédiat après-guerre de ce désastre qu’avaient été les deux guerres mondiales, qu’on peut considérer comme autant de guerres civiles européennes. Il était lui-même originaire de la Moselle, c’est-à-dire de la partie de la Lorraine qui avait été annexée par l’Allemagne en 1870, rendue à la France en 1919, re-annexée de force par l’Allemagne en 1940, récupérée par la France en 1944… Et évidemment il faisait partie des esprits qui pensaient qu’il fallait que ça s’arrête un jour. Et, selon lui, la meilleure façon que cela s’arrête, c’était peut-être de mettre en commun ces deux éléments qui avaient été à la fois les enjeux et les moyens des guerres mondiales, à savoir le charbon et l’acier. L’Allemagne avait, en annexant la Moselle, confisqué les mines de Lorraine etc. ; la France, lorsqu’elle avait vaincu l’Allemagne après la première guerre mondiale, s’était attribuée un gage pour assurer le paiement déficient des réparations dues par l’Allemagne en occupant la Ruhr. On pensait que le charbon et l’acier avaient été l’enjeu, en partie, de ces conflits entre la France et l’Allemagne, et ils en avaient été aussi les moyens, puisque ce que ce qui faisait la force des armées à l’époque c’était l’acier. Songez à Krupp, la « grosse Bertha » comme on qualifiait le plus imposant des canons sortis de ses usines. Eh bien, c’est en forgeant l’acier qu’on fabriquait les canons, qu’on fabriquait les cuirasses des navires. Aujourd’hui, ce ne sont plus les cuirasses qui font la force des navires, c’est – je pense – la puissance de leur détection électronique ou quelque chose comme cela, mais en 1950, on était encore imbu de cette idée de mettre en commun le charbon et l’acier pour éviter le retour des conflits mondiaux.
Dans la foulée, ajoutons y la Communauté Européenne De L’Energie Atomique, énergie nouvelle à l’époque, et surtout la Communauté Economique Européenne, ce qu’on a appelé le Marché Commun. Celui-ci se constitue à six : l’Italie, la France, l’Allemagne, et puis ce qu’on appelait le Benelux, c’est-à-dire la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg. C’est une partie, par conséquent, de l’Europe occidentale. C’est un peu l’empire Carolingien. En cette période, le monde est partagé entre l’affrontement de deux blocs, et les deux super-puissances se présentent toutes deux comme des ensembles sinon supranationaux au moins fédéraux. Ce fédéralisme est largement une fiction, à l’époque pour la Russie, mais les fictions deviendront des réalités. Dès lors que le poing de fer du Parti Communiste se desserrera, on verra les Républiques ex-soviétiques reprendre leur liberté. Par conséquent : pourquoi ne pas créer les Etats-Unis d’Europe ? Le rêve également de l’économiste mondialiste et très influencé par les Etats-Unis qu’était Jean Monnet.
Cette Europe à la base d’une triple communauté va progressivement se renforcer et s’agrandir. S’agrandir par des adhésions successives, qui vont porter le chiffre des états membres aujourd’hui à 27, ce qui est évidemment considérable. Mais ceci se fait par étapes. Un des obstacles essentiels a été l’adhésion de la Grande Bretagne qui voulait – si vous me permettez cette expression familière – le beurre et l’argent du beurre. C’est-à-dire qu’elle voulait bien de la préférence européenne quand elle lui était appliquée, mais elle voulait aussi continuer à exercer sa préférence envers les pays du Commonwealth qui étaient son fournisseur de viande de mouton, de beurre, que sais-je encore. La Grande-Bretage s’est donc heurtée à l’hostilité du général de Gaulle lequel, il faut bien le dire, ne portait pas les Anglo-Saxons (ou les Anglo-Américains) dans son cœur. Ce problème n’a été résolu d’ailleurs que sous la présidence de Georges Pompidou.
Par conséquent toute une série d’extensions successives – à la Grande Bretagne, à l’Irlande, au Danemark, la Norvège ayant signé – mais non pas ratifié ayant préféré rester en dehors du Club – puis à la péninsule ibérique Espagne, Portugal, Grèce, et, après la chute du mur, aux pays qu’on appelle les PECO, les pays de l’Europe centrale et orientale, les deux derniers adhérents étant la Bulgarie et la Roumanie. Mais d’autres sont sur la liste, comme vous le savez : la Croatie, ce qui paraît légitime, la Turquie, ce qui fait problème, nous y reviendrons, Malte, Chypre etc. font partie déjà de l’Union Européenne.
A ces extensions de l’Union Européenne ont correspondu un renforcement considérable de son champ d’activité et de ses compétences, et une évolution du statut d’organisation internationale en état pratiquement confédéral, puis fédéral, et selon moi, état pratiquement unitaire. Ceci par toute une série de traités dont je n’ai pas le temps de vous retracer les détails : l’un des principaux a été l’Acte Unique de 1986, puis le fameux Traité de Maastricht de 1992, où l’on a vraiment franchi un saut qualitatif et où l’on est passé du Marché Commun au Marché Unique. C’est-à-dire qu’il ne suffit plus entre nous d’ouvrir nos frontières à nos produits respectifs, il faut harmoniser nos politiques, il faut unifier notre monnaie, il faut étendre notre activité à des domaines comme le domaine judiciaire, comme la politique étrangère, la politique de sécurité etc. Et puis, après le Traité de Maastricht, dont on nous avait chanté les louanges, et dont on nous a dit, à peine l’encre était-elle sèche, comme pour les précédents, qu’il était insuffisant, le Traité d’Amsterdam pour lequel il a aussi été nécessaire de réviser la Constitution Française. Mais qu’on a fait passer par la voie parlementaire, échaudé que l’on était par la très faible marge par laquelle le peuple français avait, lors du référendum, ratifié le Traité de Maastricht. Une marge infime d’ailleurs, résultant sans doute d’un effet de compassion consécutif à l’annonce par le président Mitterrand de son cancer, qui pourtant le taraudait depuis longtemps.
Après le Traité d’Amsterdam, le Traité de Nice, sous les auspices de monsieur Chirac, qui est le Traité actuellement en vigueur. Là aussi, on nous vantait ses louanges, l’on nous dit aujourd’hui que l’Europe est dans une situation de blocage, et que si l’on ne continue pas d’aller de l’avant, ce sera terrible. Qu’il faut absolument, par conséquent, avancer, avancer, c’est-à-dire sans cesse remettre en cause les règles du jeu pour toujours augmenter les compétences de l’Union Européenne.
En effet, comment cette Europe agit-elle contre les nations ? Car a priori on pourrait se dire que les nations européennes vivent en paix, qu’elles coopèrent entre elles, qu’elles établissent entre elles, somme toute, une zone de libre échange destinée à fournir leurs produits à un marché plus important que le marché national. Qu’une saine concurrence s’établisse entre les entreprises au moins privées. Qu’y a-t-il, après tout, de contraire à l’intérêt national ?
Alors, de quelle façon par conséquent l’Union Européenne, dans l’évolution qui est la sienne, agit-elle concrètement à l’encontre des nations ? Eh bien, c’est un certain nombre de procédés que je n’aurai pas le temps de vous narrer par le menu, mais je distinguerai trois grandes tendances essentielles :
La première c’est l’extension indéfinie des compétences de l’Union.
La deuxième, c’est la suppression des garanties dont dispose chaque état au départ.
Et la troisième, qui n’est pas la moins grave, c’est l’insertion délibérée de l’Union dans le mondialisme, qui est quelque chose de tout à fait différent de la simple prise de conscience de ce que mon collègue Martinez appelle la planétisation d’un certain nombre de problèmes.
Le premier point c’est l’extension indéfinie des compétences. J’en donnerai un seul exemple très clair. La semaine dernière, j’étais à Strasbourg pour la session plénière mensuelle du Parlement européen qui dure une petite semaine, en réalité 4 jours. En 4 jours à Strasbourg, il se vote plus de textes qu’en 6 mois à l’Assemblée Nationale française. Si vous avez l’occasion de venir à Strasbourg, vous serez très correctement reçu je m’empresse de le dire, si vous voulez bien nous prévenir un petit peu à l’avance, nous nous ferons un plaisir de vous faire accéder aux tribunes. Si vous êtes présents en tribune après 11 heures du matin, vous verrez l’hémicycle, généralement vide au 4/5e, se remplir pour une séance de votes. Et là vous assisterez à un étrange ballet, où vous verrez en 1 heure des centaines de votes, quelque fois de l’ordre du millier de votes, par des gens qui successivement, en fonction des amendements de textes, lèvent le bras, appuient sur des boutons, se lèvent, se rassoient etc., sans que vous sachiez très bien ce qu’ils votent – eux-mêmes d’ailleurs ne le savent pas toujours. Mais du moins ont-ils dû s’organiser, d’où l’importance d’un groupe parlementaire pour préparer des feuilles de vote qui vont leur dire, pour chaque rapport, paragraphe par paragraphe, ligne par ligne, quelques fois mot par mot, dans les amendements s’ils doivent voter : pour ou contre, ou s’ils doivent s’abstenir. Il y a là une situation évidemment malsaine. Déjà, sous la Révolution Française, devant l’inflation des textes législatifs, Joseph de Maistre signalait que là où il y avait autant de législation, c’est qu’il y avait plus de législateurs, et c’est parfaitement exact s’agissant du Parlement européen. Non seulement il voit ses compétences augmenter, qui sont les compétences de l’Union, mais il cherche également à les augmenter au-delà de ce que lui permet le Traité. Par exemple tous les jeudis après-midi de session, il joue à l’Organisation des Nations Unies : il se préoccupe de la condition des droits de la femme au Guatemala, de la situation du système judiciaire à Bornéo ou à Bali, des droits des journalistes en Ukraine ou en Russie Blanche etc., et il vote à ce sujet quantité de résolutions, sans compter les résolutions contre les maladies, contre les catastrophes naturelles, etc… J’ai fait savoir une fois pour toutes que nous étions aussi opposés aux incendies qu’aux inondations d’ailleurs, que nous étions plutôt en faveur de la bonne santé et contre la maladie sous toutes ses formes.
Tout ceci pourrait avoir un intérêt si ces résolutions étaient suivies d’effet. Ce qui me surprend n’est pas qu’elles finissent par alimenter les corbeilles des chancelleries, c’est que malgré tout, un certain nombre de pays tiers y accordent une certaine importance. A plusieurs reprises j’ai reçu des diplomates étrangers de pays du Moyen Orient, et en particulier iraniens nous disant : « nous sommes un peu inquiets du vote de telle résolution du Parlement européen qui nous paraît décrire de façon injuste la situation dans notre pays. » Ce magistère s’exerce, mais il s’exerce surtout dans les mots et sur le papier.
En revanche, dans les domaines de compétence de l’Union Européenne, on va jusqu’à réglementer tous les aspects de la vie politique, économique, financière, culturelle, et jusqu’aux aspects les plus intimes de la vie de plus de 400 millions d’Européens. Et il y a là une dérive véritablement totalitaire. On ne s’en aperçoit que dans de rares occasions où ceci fait effectivement quelques manchettes dans les journaux. Par exemple, en France, l’insurrection des chasseurs, qui n’était pas nécessairement à soutenir dans toutes les positions qu’ils ont prises, a été connue par suite de la résistance qu’ils ont opérée à une directive européenne – dite « Directive oiseaux », qui prétendait décrire les conditions de la chasse et de la protection des espèces dans un espace qui, je vous le rappelle, va du sud du Portugal jusqu’en Laponie. Dans ce texte l’on décidait du point de savoir – je n’invente rien – si le choucas des clochers, la pie grièche, le corbeau freux doivent ou non être des espèces protégées et quelles doivent être les dates d’ouverture de la chasse etc. Il y a là évidemment quelque chose d’abusif. On a également beaucoup parlé des textes relatifs au chocolat, et qui permettait à nos concurrents de fabriquer du chocolat sans cacao, ou sans beurre, avec de la graisse animale etc. Une révolte est intervenue récemment à propos de la Vodka, les Polonais ont tenu à avoir une Vodka de qualité, et pas une Vodka à partir de n’importe quoi etc.
Ce sont des questions qui ont une certaine importance économique, mais lorsque l’Union Européenne se mêle de tout cela, corrélativement, la liberté des Etats membres de se déterminer se réduit comme une peau de chagrin. On ne le sait pas pour deux raisons essentielles. La première c’est que les Etats membres conservent les apparences du pouvoir. Par exemple, si vous allez à 15 heures à l’Assemblée Nationale, vous y verrez la Garde Républicaine en grande tenue, sabre au clair, les roulements de tambour. Vous verrez les huissiers à grosses chaînes d’argent qui précèdent le président de l’Assemblée lorsqu’il fait son entrée, de façon infiniment moins discrète que ne le faisait le Marquis de Lassay lorsqu’il venait rejoindre sa maîtresse, la Princesse de Bourbon, en empruntant le même chemin. Le président de l’Assemblée part de la même façon de l’hôtel de Lassay pour aller au palais Bourbon par le très beau couloir qui a été construit à cet effet, précédé des huissiers, et entre deux haies de Gardes Républicains, cependant que bat le tambour jusqu’au moment où il a regagné son siège que l’on appelle en argot parlementaire « le perchoir ». Vous avez là l’impression des attributs d’un Etat. De la même façon que lorsque vous voyez, le défilé du 14 juillet. Cette fois-ci, on nous a montré un certain nombre de détachements européens, mais finalement ces détachements européens étaient peu de chose par rapport aux échantillons de l’Armée Française qu’on a bien voulu continuer à faire défiler. Par conséquent, nous sommes portés à croire que nous avons encore un Etat, nous avons encore les moyens de notre indépendance.
Mais, et c’est le deuxième point, ce qu’ignore la plupart de nos concitoyens, c’est que l’activité de nos assemblées législatives est, pour une part que j’évaluerai personnellement sans crainte d’être démenti à plus des ¾ – c’est aussi pratiquement l’opinion du Conseil d’Etat français –essentiellement consacrée à la traduction des normes européennes dans le droit français. Il faut savoir en effet que la législation ou la réglementation européenne n’a, sauf cas relativement rare, pas d’application directe et immédiate. L’élément fondamental de la législation européenne, c’est ce qu’on appelle la directive. Ces directives sont extraordinairement détaillées. Ce ne sont pas des textes généraux, contrairement à ce qu’on veut faire croire. Elles sont précédées de quantités de « Considérant » extrêmement verbeux.
La Cour de justice des communautés européennes leur a reconnu une autorité pleine et immédiate, mais elles doivent être transcrites dans les droits des Etats membres. Et ceci pour un certain nombre de raisons techniques. J’en prendrai très brièvement deux. Il existe des Etats dans lesquels il y a un partage des compétences entre l’Etat central et les Etats fédérés. C’est le cas des Etats fédéraux comme en Allemagne où il y a partage des compétences entre l’Etat central et les Länder. Par conséquent, quand l’Union Européenne légifère sur un domaine déterminé, on ne sait pas toujours a priori si cette question relève, en Allemagne, des compétences de l’Etat central, ou de la compétence exclusive des Länder, ou d’une compétence mixte entre l’Etat central et les Länder. Il est naturel de laisser les Allemands se débrouiller avec cette situation. La directive est donc obligatoire dans les buts qu’elle se propose d’atteindre, mais on laisse en quelque sorte aux Etats membres le choix de la sauce à laquelle ils veulent bien être mangés.
Il en va de même en France. Vous avez des sphères particulières de compétence au terme des articles 34, 37, 38 de la Constitution française, entre ce qui relève du domaine de la loi et ce qui relève du domaine du règlement, c’est-à-dire essentiellement les décrets du Gouvernement, voire les arrêtés ministériels. On laissera par conséquent à la France le soin de répartir les normes qui ont été édictées dans le cadre de la directive, entre lois que l’Assemblée Nationale et le Sénat sont priés de voter en exécution de cette directive, et règlements qui peuvent être pris directement par les administrations ou par le Gouvernement dans leur sphère de compétence. Il résulte de cette situation une fantastique illusion, c’est que les Français, comme beaucoup d’autres, ont l’impression que ce sont toujours leurs propres organes constitutionnels qui sont à la source formelle des normes qui leur sont appliquées, alors que la plupart du temps ceux-ci ne font que traduire les normes européennes.
Ceci s’appuie sur une méconnaissance – qui n’est pas le fruit de l’ignorance mais de la perversion – du principe de subsidiarité. Il est extraordinaire de voir à quel point la subversion peut s’emparer des mots, et faire d’un principe de subsidiarité, dont on trouve de nombreuses références, notamment dans la doctrine sociale de l’Eglise, exactement l’antithèse de ce qu’il était au départ. Dans le principe de subsidiarité, tel que le définit la doctrine sociale de l’Eglise et un certain nombre d’encycliques pontificales, il est de bonne gouvernance, comme l’on dirait aujourd’hui, il est sain, juste et légitime que l’échelon supérieur abandonne à l’échelon inférieur tout ce que celui-ci peut faire. Par exemple le choix du mode d’éducation des enfants n’a pas à être fixé à priori par l’Etat, ce qui serait une conception totalitaire, il appartient avant tout et de droit naturel aux familles. Voilà un exemple du principe bien compris de subsidiarité. Le droit européen actuel « paye respect », comme diraient les Anglo-Saxons, par ce qu’ils appellent le service des lèvres – « lip service » -, au principe de subsidiarité dont le mot se trouve dans le Traité de Maastricht, dans le projet de traité constitutionnel, et dans les projets actuels. Mais ce concept est ici totalement subverti et inversé. On explique que l’Union Européenne ne s’occupera que de ce qu’elle peut mieux faire que les échelons subordonnés, sauf que à chaque fois, on nous explique que l’Union Européenne peut mieux agir que chacun des Etats membres dans son domaine, parce que toutes les questions, qu’elles soient économiques, fiscales, de politique intérieure ou de politique étrangère, requièrent une coopération, une « harmonisation » – c’est le grand mot -, l’harmonisation n’étant évidemment, en réalité, que le premier pas de l’unification des normes.
Le deuxième mécanisme par lequel l’Union travaille contre la souveraineté des Etats, c’est la suppression des garanties. Au départ, en effet, l’Union Européenne repose très largement sur un mode de décision qui fait une place assez large à l’unanimité. C’est qu’au départ la Communauté Européenne était une organisation de type intergouvernemental. Et c’est cette prépondérance de l’unanimité qui a permis par exemple l’efficacité, à la fin des années soixante, de la politique qu’avait adoptée le général de Gaulle, à une époque où il était précisément brouillé avec nos partenaires : la politique de la chaise vide. En refusant de siéger, pour protester contre une extension indue des décisions prises à la majorité, la France pouvait en effet bloquer le processus de décision dans la majeure partie des domaines. Cette politique de la chaise vide a débouché sur un compromis, le fameux Compromis de Luxembourg qui a permis, par conséquent, à un Etat, en l’occurrence la France, et qui pouvait le permettre à d’autres, de faire valoir leurs intérêts nationaux pour bloquer une décision devant être prise à la majorité. Cette intergouvernementalité, excusez le barbarisme, et cette pratique de l’unanimité qui est une reconnaissance du rôle de l’Etat, de l’existence de leurs intérêts propres, a disparu peu à peu, notamment en raison des élargissements successifs. Et l’on constate là que ceci, loin d’être un facteur de dissolution de l’Europe, a au contraire motivé ce que la langue de bois bruxelloise appelle l’approfondissement de la construction européenne. C’est-à-dire que par peur des blocages supposés dus à la multiplication des possibilités de veto, on a étendu les champs d’application de la majorité. Et il en est résulté une situation qui nous a fait quitter le domaine originel de l’organisation intergouvernementale, de l’organisation internationale classique pour dériver vers la création d’un « Super-Etat ».
A cet égard, vous avez longtemps entendu parler du conflit qui aurait opposé les tenants des identités nationales, partisans d’une Europe confédérale, à ceux qui étaient favorables à une plus grande intégration dans l’Europe, c’est-à-dire à un Etat fédéral. Je considère personnellement que ce débat est totalement dépassé. Nous allons vers un Etat unitaire dans lequel les Etats membres n’auront, par rapport à l’Etat européen, par rapport à ce que j’appellerais l’Eurocratie, pas plus de marge de manœuvre que n’en a aujourd’hui en France un Conseil Général d’un département par rapport à l’Etat central. Après tout, un Conseil Général d’un département peut décider de construire un collège ici plutôt qu’à tel endroit ; il peut décider de porter les travaux de réfection de telle route départementale d’abord sur tel point noir, plutôt que sur tel autre : il a une certaine latitude dans l’organisation de sa politique sociale, culturelle etc. Il a une certaine autonomie financière dans le montant qu’il va fixer des impôts locaux, comme d’ailleurs ont également cette autonomie les communes, les communautés de communes, les régions, mais il n’est jamais malgré tout qu’une collectivité territoriale d’un Etat, la France, avec laquelle il ne saurait entrer en conflit, auquel il est absolument subordonné, et dont les politiques s’imposent en tous points à lui. Et si évidemment un arrêté départemental ou préfectoral était en contradiction avec ne serait-ce qu’un décret ou, a fortiori, avec une loi, eh bien cet arrêté ne tarderait pas à être annulé par les juridictions administratives.
C’est très exactement ce qui se produit à l’heure actuelle, comme nous l’avons fait observer depuis longtemps, dans un très grand nombre de domaines. Déjà, il existe moins de différences entre les politiques de tel ou tel Etat européen et moins de latitude entre eux d’une part et l’Eurocratie, et le pouvoir central de l’autre, qu’il y en a aux Etats-Unis d’Amérique entre l’un des Etats fédérés comme le Wyoming ou le Kansas d’une part, et l’Etat central de Washington. Aux Etats-Unis d’Amérique vous avez des Etats qui ont la peine de mort et d’autres qui l’ont abrogée, il y a des Etats où la consommation d’alcool est restreinte en dessous de tel âge, et d’autres où elle est autorisée, des Etats où le jeu est permis, d’autres où il ne l’est pas, des Etats, la plupart, qui ont un système de droit naturellement anglo-saxon, dérivé du système de la Common Law, et un autre, la Louisiane, qui a conservé le Code Civil napoléonien. Bref, vous avez une certaine marge de manœuvre entre les divers Etats membres, fédérés par rapport à l’Etat central qui, dans bien des domaines et notamment dans un certain nombre de ceux que je viens de citer, n’existe pas dans l’Union européenne par rapport à Bruxelles.
Citoyenneté européenne
A cet égard, la suppression des garanties et l’extension des compétences s’accompagnent d’un instrument assez redoutable qui est celui de la citoyenneté européenne. On a décidé d’instaurer, il y a déjà longtemps, une citoyenneté européenne, dont il est bien évidemment prévu qu’elle se superpose puis qu’elle prenne la place des citoyenneté des Etats membres à terme. Vous savez que dans les ligues qui unissaient entre elles les cités grecques, c’était déjà un débat de savoir si elles devaient pratiquer entre elles la sympoliteia ou l’isopoliteia. Devaient-elles avoir une sympoliteia, une citoyenneté commune pour les citoyens, ou une isopoliteia, une citoyenneté identique ? Autrement dit, est-ce que le fait d’être membre de l’une d’elles devait simplement conférer les mêmes droits à un citoyen de l’une de ces cités se rendant sur le territoire d’une autre, ou bien est-ce qu’il y avait assimilation complète par création d’une citoyenneté unique ?
En l’occurrence nous nous orientons vers la citoyenneté de l’Union. La libre circulation des personnes était évidemment le premier droit, le plus ancien, reconnu par les traités aux citoyens des Etats membres. Mais le Traité de Maastricht a rattaché à ces droits anciens de nouveaux droits, découlant directement de l’existence d’une Europe supranationale, par exemple le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales. C’est très important, parce que si vous rapprochez cette mesure de l’éclatement par exemple de la France en six ou sept régions électorales que M. Sarkozy, lorsque qu’il était le ministre de l’Intérieur du gouvernement Raffarin, a fait passer avant les dernières élections européennes, eh bien votre serviteur par exemple n’est plus ce qu’il était auparavant. Il n’est plus un député français au Parlement européen, il n’est même plus un député qui représente l’espace français ; il est un député qui représente des individus, français ou non français, dans un espace qui englobe un certain espace territorial, et c’est tout. Il y a là une novation extrêmement importante et lourde de conséquences pour l’avenir. De la même façon les citoyens européens ont droit à la protection diplomatique et consulaire de tout Etat membre dans un pays tiers, ils ont un droit de pétition auprès du parlement européen etc.
Régionalisme
Au titre de la suppression des garanties des nations, il faut aussi compter l’utilisation du régionalisme. Et ceci pose également un problème à notre famille d’esprit qui n’a jamais été hostile, et qui était même à l’origine extrêmement favorable, à la défense, non seulement des identités nationales, mais également des identités provinciales, dans lesquelles nous voyions autant de particularismes culturels légitimes qui pouvaient s’épanouir en toute liberté dans la France de l’Ancien Régime. C’était un thème cher à Charles Maurras et à tous ceux qui, de près ou de loin, ont subi son influence, par réaction contre un jacobinisme révolutionnaire négateur de ces mêmes particularismes. Le problème, c’est qu’aujourd’hui ce régionalisme est utilisé par l’Union Européenne comme une arme contre les nations. Car le pouvoir central européen, ce que j’appelle, pour faire plus simple, l’Eurocratie, a parfaitement compris qu’il lui vaut mieux avoir comme interlocuteurs à peu près 100, 150, 200 collectivités territoriales en position de quémandeurs de crédits. Crédits qui ne sont jamais que la redistribution de ce qui a été antérieurement ponctionné sur leurs citoyens, dans le cadre de divers mécanismes fiscaux qu’il est prévu d’aggraver. Car une des questions à l’ordre du jour, c’est naturellement la création d’un impôt européen. En fait, cet impôt européen existe déjà ; d’ailleurs là aussi il semble que les gens doivent s’en rendre compte. Car les citoyens ignorent qu’il n’y a plus de droits de douane. On sait qu’il n’y en a plus entre les pays européens, ça c’est normal, c’était le Marché Commun. Mais ce que l’on ne sait pas, c’est qu’il n’y en a pas non plus sur le pourtour de l’Europe, dans la mesure où ceux qui subsistent, en voie de constante diminution, comme je le dirai dans un instant, sont perçus au profit exclusif de l’Union. De la même façon que l’Union perçoit un point de TVA et un certain nombre de redistributions qui viennent des Etats membres. Il est prévu un impôt européen direct, c’est une question qui est depuis très longtemps à l’ordre du jour et dont je ne doute pas qu’elle finisse par aboutir. Et l’Eurocratie va pouvoir dispenser sa manne, ce qu’elle a fait déjà, et ce qui est un des mécanismes classiques de séduction des nouveaux Etats membres.
Nous l’avons vécu en particulier lors de l’adhésion irlandaise et du référendum qui l’a ratifiée. Partout en Irlande, il y avait des placards payés avec des fonds de propagande qui sont eux-mêmes d’ailleurs des fonds européens et disant : « est-ce que vous pouvez renoncer à tant de livres par minute ou par seconde qui se déversent sur notre pays ? ». Fonds européens qui ont fantastiquement contribué à son développement économique, comme cela a été le cas aussi en Espagne, au Portugal. En soi, d’ailleurs, je ne pense pas que la résorption des disparités régionales qui existe en Europe, soit une mauvaise chose, à la condition évidemment que cela ne serve pas simplement d’appât au moment de l’adhésion d’un nouvel Etat membre, et puis ensuite pour mieux l’attirer dans la souricière.
J’étais tout récemment au Portugal, j’avais de nombreuses discussions avec des membres éminents du Gouvernement. Je leur ai dit : « vous savez, la manne, maintenant c’est terminé, c’est pour la Roumanie et la Bulgarie. Evidemment, parce que vous en avez profité, mais maintenant vous allez devenir des contributeurs nets, vous allez payer pour le développement des autres ». Ce qui est évidemment moins agréable dans ce domaine que de recevoir.
Mais il n’y a pas que cet aspect matériel, il y a un aspect psychologique évident. Je me souviens déjà qu’à l’Assemblée Nationale, alors que j’étais avec Jean-Marie Le Pen et mon ami Michel de Rostolan à la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, Michel Debré, ancien Premier Ministre, protestait contre le fait que les régions françaises ouvrent de véritables représentations diplomatiques à Bruxelles. Cette protestation – comme toutes celles de Debré, c’est une spécialité – a été vaine. Et aujourd’hui, ce qui était en voie simplement de réalisation, est complètement réalisé. Si vous venez d’ailleurs à l’Assemblée européenne, vous y verrez un bâtiment ancien considérable, une espèce de château style néo-gothique datant du début du XXe siècle, qui a été entièrement restauré, qui est une fastueuse ambassade de Bavière. Après tout la Bavière se situe dans un cadre fédéral et a eu son autonomie et son indépendance etc., J’ai même reçu des invitations pour des réunions organisées par l’Ambassade – en toutes lettres – de l’Algarve, province portugaise. Ma région, la région Rhône-Alpes, participe comme toutes les régions de France à diverses opérations de jumelage. Par exemple les « 4 moteurs pour l’Europe », c’est-à-dire à une coopération privilégiée avec la région de Lombardie, l’Etat de Würtemberg et la Catalogne. Eh bien, dans les protocoles qui ont été signés en matière de culture et d’éducation, j’ai vu que le protocole était signé par le Vice-président du Conseil Régional chargé des lycées, celui-ci signait « ministre de l’éducation de la région Rhône-Alpes ».
L’eurocratie préfère les régions aux nations
Cela peut nous faire sourire, mais ça traduit évidemment une volonté d’émancipation par rapport au pouvoir central, et la possibilité de céder à un pouvoir d’attraction trans-national qui est voulu, et qui est voulu au plus haut niveau. Les exemples sont extrêmement nombreux, je pourrais vous en donner tout à l’heure, si vous le souhaitez. L’Eurocratie a très bien compris, encore une fois, qu’il vaut mieux avoir ces collectivités locales en situation de quémandeurs de subventions – ces subventions qui sont largement accordées dans le cadre des programmes territoriaux de l’Union – plutôt que des Etats nations, si modestes soient-ils par leur taille, leur superficie ou leur population, car ils peuvent parfois opposer des résistances sévères. Songez à la résistance que le Danemark a opposée au Traité de Maastricht, à lui tout seul, un pays de 5 millions d’habitants, à tel enseigne qu’il a été nécessaire de réaménager tout ce Traité de Maastricht, rien que pour le Danemark. Le Danemark a dit, « je veux bien du Traité, mais je ne veux pas de la politique d’immigration commune. Et puis je ne veux pas de la politique étrangère commune. Et puis je ne veux pas de la politique monétaire commune. » On leur a dit : « très bien, on vous arrange tout ça, mais surtout taisez-vous ! » L’important, c’est que ça passe pour les autres. L’Irlande pareil en certaines circonstances, le Portugal sur l’avortement vient seulement de capituler, la Pologne est un gros morceau, c’est un peu plus difficile à digérer. Ne doutez pas un seul instant qu’ils souhaitent cependant y parvenir.
Par conséquent suppression, en règle générale, sous l’effet des mécanismes de prises de décision à la majorité, de la citoyenneté de l’Union, de l’utilisation du régionalisme, suppression de toutes les garanties dont disposaient les Etats membres. Et tout ceci est de nature aussi à relativiser l’admiration qu’un certain nombre de tiers portent à l’Union Européenne.
Japon
Je fais partie depuis 20 ans – ce qui est assez naturel compte tenu sinon de mes compétences au moins de mes sympathies – de la Délégation chargée des relations avec le Japon. Le Japon est un pays où la langue de bois fonctionne au moins aussi bien que chez nous, et comme en plus ils croient qu’il est poli d’abonder dans ce sens, évidemment ils sont tous très européistes. Ils le sont d’ailleurs d’autant plus qu’il est beaucoup plus facile de pénétrer un marché unifié que de pénétrer 27 marchés qui auraient leur propre réglementation. Contrairement à ce que l’on nous serine sur l’Europe qui serait nécessaire à notre protection, qui nous donnerait un pouvoir de négociation plus fort etc., et autres fariboles, nos partenaires politiques, mais malgré tout adversaires et concurrents sur le plan commercial, sont extrêmement heureux des progrès de l’Union Européenne. Parce qu’ils trouvent beaucoup plus facile de pénétrer un gros ventre mou que des états dont les intérêts seraient différents et qu’il seraient plus difficile d’attaquer séparément. Alors, j’ai participé, j’étais invité dix fois au Parlement japonais par les députés et sénateurs japonais qui se spécialisent dans les relations avec l’Union Européenne. Ce n’est pas du tourisme parlementaire, c’est un travail assez sérieux. Bien sûr, tous ces Japonais nous disent à quel point ils trouvent admirable l’Union Européenne, admirable que la France et l’Allemagne se soient réconciliées après la guerre – je ferais les discours à leur place.
A tout cela, je réponds généralement : « si vous trouvez cela tellement admirable, pourquoi vous n’en faites pas autant ? Pourquoi pas l’Union de l’Extrême Orient ? Vous pourriez faire cela, par exemple ? Ce serait un moyen intelligent de résoudre les tensions, d’oublier les querelles du passé comme nous l’avons fait nous-mêmes. Voilà ce que je suggère : vous allez faire une union avec la Corée, au moins la Corée du sud, avec la Chine, avec Taiwan, avec les pays de ce qu’on appelle l’ASEAN, c’est-à-dire le Cambodge, le Vietnam etc., l’Indonésie aussi, et les Philippines. Et dans cette Union, évidemment, il y aurait un parlement. Bon, n’exagérons pas, le parlement sera à Séoul, la banque d’émission à Djakarta, et on pourrait concevoir par exemple que la Cour de Justice soit à Kyoto, si cela vous convient. Alors sachez que vous aurez à peu près 11 % des droits de vote. La Corée en aura 7, l’Indonésie 13, la Chine 40, le Cambodge 3 ou 4, etc. Et vous y enverrez des députés. Et puis alors, le Yen va disparaître au profit d’une monnaie unique, c’est l’Union qui s’occupera des règles d’entrée et de séjour des étrangers sur votre territoire. D’ailleurs ne nous arrêtons pas en si bon chemin, il y aura la liberté de circulation et d’établissement chez vous, pour tous les ressortissants de l’Union, ainsi vous pouvez aussi passer vos vacances aux Philippines ou au Cambodge sans devoir demander des visas, pas de problème. Qu’est-ce que vous en dites ? » Et alors là, évidemment, ils s’exclament : « Non, non, chez nous, ce serait difficile ». Voilà. Comme on dit en japonais : « Tonari no ringo ga akaku mieru », ce qui veut dire « La pomme du voisin paraît toujours rouge. »
Mépris du peuple
Un aspect de cette construction européenne, c’est évidemment le mépris du peuple. Je ne dis pas le fait que ce ne soit pas démocratique, parce que je suis en fait un modéré en politique. Je suis un démocrate modéré, un républicain modéré, par conséquent je ne trouve pas nécessaire d’entreprendre une croisade démocratique. Mais quand même, un tel mépris du peuple ! Le processus actuel, suite au rejet par le peuple français et le peuple néerlandais du projet de Constitution, nous fournit un exemple absolument emblématique, incroyable. Vous connaissez ce projet de Constitution, qui était effectivement un aboutissement logique : Giscard d’Estaing a présidé une Convention qui a très sérieusement travaillé et qui a tiré les conclusions logiques de l’évolution que je vous décris, qui est une évolution vers un Super-Etat européen. Eh bien, naturellement, à un Etat il faut une Constitution. Et patatras, la France et les Pays-Bas ont voté contre ! Les autres ont voté pour, certes, sauf que ce sont leurs élites politiques qui ont voté pour, c’est-à-dire les parlements. Mais si on les avait consultés directement, aussi bien les Allemands, que les Britanniques, je pense que le processus de refus ne se serait pas arrêté là. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? C’est très simple, Mme Merkel non seulement l’a dit, mais elle l’a écrit dans une lettre que j’ai, qui devrait mettre les gens dans la rue. Un de mes collègues britanniques, qui n’est pas membre de mon groupe d’ailleurs, l’a traitée de menteuse, ce qui a donné tout un pataquès. On a dit « c’est abominable, c’est affreux, il a osé traiter Mme Merkel de menteuse. » Et le président du groupe socialiste, Monsieur Schulz qui est allemand lui aussi, a pris la défense de Mme Merkel en disant que c’était comme s’il traitait un de ses collègues d’imbécile. J’ai dit : « non, non, ce n’est pas pareil, si vous traitez quelqu’un d’imbécile, cela ne renferme l’imputation d’aucun fait, c’est une injure et cela doit être prohibé. Mais le fait de traiter Mme Merkel de menteuse fait référence à un fait bien précis, et à ce titre ce serait une diffamation si cela n’était pas vrai. » Dans le cas de la diffamation, contrairement à l’injure, on a droit à la preuve de la véracité des faits allégués : ce que l’on appelle l’exceptio veritatis. Eh bien, elle est là, cette preuve. Parce que Mme Merkel a dit : « on va reprendre la Constitution, mais nous allons.. » – elle a dit cela en anglais pour être mieux comprise des chefs d’Etat et de gouvernement – « Keep the substance, change the wording ! » Gardons la substance, changeons les mots ! Et l’on a dit, dans un document, quels mots on allait abandonner, en précisant bien qu’on conservait intégralement la substance de ce qui existe dans la Constitution Européenne.
Changement de noms
D’abord, on ne va plus utiliser le mot Constitution, car le mot Constitution avait heurté, c’est évidemment ce mot de Constitution qui a fait prendre conscience aux Européens que c’est bien un Super-Etat qui est en marche. Parce qu’une Constitution, comme l’apprennent tous les élèves de 1ère année de Faculté de droit, c’est la charte fondamentale d’un Etat. C’est le texte qui définit les pouvoirs publics dans un Etat et organise les relations entre eux. Alors on y va, on abandonne le mot Constitution.
Ensuite, on abandonne la référence aux symboles. Mais ils sont toujours là : le drapeau, l’hymne européen, comme on a d’ailleurs pu l’entendre lors du défilé du 14 juillet.
Et puis la Charte des droits, sur lesquels je vais revenir dans un instant, fait également problème. Ah, c’est dégoûtant quand même, ces Britanniques qui ne veulent pas de la Charte des droits, et les Polonais non plus, n’en veulent pas. Oui, parce que la Charte des droits, c’est une obligation de faire un certain nombre de choses, notamment au nom du droit des femmes à disposer de leur corps, de pratiquer l’avortement etc. Cela n’est pas dit comme cela, mais les Polonais ont très bien compris que c’est à cela que ça conduisait implicitement. Alors la Charte des droits, on ne va plus la mentionner dans le corps du Traité, mais elle va être publiée au Journal Officiel, et on va juste dire en deux lignes qu’elle est obligatoire. Mais ça ne change pas grand’ chose en ce qui concerne la substance.
Il était prévu un ministre des Affaires Etrangères et de la Sécurité de l’Union. Eh bien, on ne va plus l’appeler Ministre, on va l’appeler – et dans le document qui m’a été généreusement remis en tant que président d’un groupe parlementaire c’est écrit – on va l’appeler « XXX ». C’est-à-dire qu’on a laissé – c’est gentil ! – les chefs d’Etat et de gouvernement décider de la façon dont ils allaient l’appeler. C’est le seul point sur lequel portait la décision. Effectivement ils ont finalement décidé de l’appeler Haut Représentant de la Politique Extérieure et de Sécurité de l’Union.
La répartition des dispositions institutionnelles du Traité va se faire non plus sous la forme d’un texte unique, mais dans les traités existants. C’est la raison pour laquelle le premier ministre luxembourgeois qui est très européiste mais qui est un honnête homme, M. Junker, a dit : « mais c’est monstrueux d’appeler ça un Traité simplifié, c’est un traité complexifié ! » Parce qu’on en répartit les dispositions sous forme de révisions des traités existants dont la lecture est déjà absolument impossible à toute personne normalement constituée, et difficile même pour les professionnels du droit international et européen. Le chef de l’Etat actuel, monsieur Sarkozy, nous dit que c’est un Traité simplifié et nous dit : « j’abandonne la Constitution, je propose un Traité simplifié ». C’est se moquer du monde ! Parce que la partie qui est abandonnée, c’est la partie de définition des politiques, mais on peut y revenir à n’importe quel moment. Ce qui était le corps de ce qu’on a appelé la Constitution Européenne, c’est la partie institutionnelle ! Et c’est cette partie-là que l’on va retrouver dans l’Union Européenne.
Mondialisme
Troisième et dernier point de la destruction des nations, c’est l’insertion de l’Union dans le mondialisme. C’est extrêmement important, parce qu’au départ la Communauté Economique Européenne, le Marché Commun, reposait certes sur l’abolition des frontières, sur la libre circulation des personnes et des marchés des capitaux, mais dans un ensemble régional. C’était un ensemble qui reposait sur la préférence européenne et sur la fixation délibérée de prix, notamment en matières agricoles, supérieurs aux cours mondiaux. L’idée c’est que, par exemple, nous allons acheter aux Allemands en préférence des produits industriels, que les Allemands vont nous acheter en préférence nos produits agricoles etc., Mais que nous allons, par une pratique de prix supérieurs aux cours mondiaux, et par conséquent de subventions à l’exportation etc… garantir aux agriculteurs par des prix supérieurs aux cours mondiaux. Par conséquent, il y avait une volonté, qui avait sa cohérence, de constituer un ensemble régional. Ce qui ne se conçoit que si, à la suppression des frontières internes de l’Union, correspond l’établissement ou le maintien de frontières raisonnables sur le contour de l’Union. Or, c’est cela qui disparaît. Par l’insertion sur le plan économique de l’Union Européenne dans le contexte de l’Organisation Mondiale du Commerce qui propose l’abaissement indéfini des droits de douane, auquel cas on peut se demander quelle est l’utilité d’un ensemble régional ? Et c’est ce qui détruit notre économie par pans entiers. La dernière victime a été toute l’industrie du textile. Mais ce n’est que la dernière en date, il y en aura encore. Pourquoi ? Parce que nous sommes livrés sans concurrence aux importations de pays qui, pratiquant un véritable dumping social, ne protégent leurs salariés ni par des droits aux pensions de retraite ni par des droits à pensions de maladie, de chômage, assurances, de quelque nature que ce soit, et pratiquent des salaires qui sont 20 – 30 – 50 fois inférieurs aux nôtres. Il est évident que, dans quantité de domaines, ces pays-là disposent d’un avantage considérable dans la conquête de marchés extérieurs. Soit conquête directe par leurs produits, soit de façon indirecte par le fait que les investisseurs, et notamment dans notre propre pays, préfèrent mettre la clef sous la porte ici pour aller dans ces pays afin de bénéficier du différentiel de la production et des salaires. Par conséquent une véritable implosion par pans entiers de l’économie européenne, de notre agriculture et de notre industrie. Les flux de capitaux auxquels nous sommes livrés, ce ne sont pas simplement des flux de capitaux à l’intérieur de l’Union Européenne, ce sont par exemple les fonds de pension américains qui sont très puissants pour une raison très simple, c’est que les pensions des retraités ne sont pas gérées là-bas par la puissance publique, ni par un système de sécurité sociale établi au plan national. Ces fonds de pension bénéficient par conséquent de capitaux considérables qui sont le produit de contributions théoriquement volontaires, mais pratiquement obligatoires pour celui qui veut assurer ses vieux jours. Ils n’ont comme objectif qu’une rentabilité économique immédiate, la plus grande possible, et se portent sur telle ou telle de nos grandes entreprises, quitte éventuellement à les délaisser le lendemain si un placement est plus profitable. Voire à la vendre par appartement si l’on peut espérer un retour plus rapide sur investissement.
Concernant les flux de personnes, c’est non seulement la circulation – ce qui était déjà révolutionnaire pour l’époque – mais le droit d’établissement ! Quelques années après la fin de la IIe Guerre Mondiale, il fallait quand même une certaine audace – pour accorder le droit à tous les Allemands qui souhaitaient venir s’établir en France de la faire, comme pour tous les Français qui souhaitaient s’établir en Allemagne, et pas simplement de faire un peu de tourisme sur le Rhin ou sur la Moselle, sans avoir à demander l’autorisation spéciale, sans avoir à demander des visas, sans autre justification que la qualité de citoyen français, de citoyen allemand, italien, espagnol, portugais, que sais-je. Et ceci n’est déjà pas sans poser un certain nombre de problèmes. Mais évidemment, là encore, les difficultés n’étaient surmontables que dans la mesure où l’Union disposait d’une frontière raisonnable à sa périphérie. Or, comme le dit très justement Jean-Marie Le Pen, la résistance d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible. A partir du moment où un seul des états membres laisse entrer, avec plus ou moins de laxisme, chez lui des personnes originaires de tel ou tel Etat tiers, ces personnes peuvent ensuite se répandre dans tous les territoires de l’Union. C’est ce qui se passe sous nos yeux : les ressortissants du Commonwealth, les Pakistanais, les Indiens, entrent de préférence en Grande Bretagne, les Ethiopiens ou les Somalis en Italie, les Maghrébins chez nous, les Turcs passent par l’Allemagne etc., et ce n’est évidemment pas près de s’arrêter. Or il faut savoir que cette immigration est magnifiée dans tous les discours, comme un phénomène quasiment d’ordre messianique, alors que sont régulièrement combattues toutes résistances qualifiées de racisme, de xénophobie, voire selon les cas d’antisémitisme, le temps me manque pour développer ces points-là.
L’Union contre l’Europe
Je voudrais aborder ma 2ème partie, je serai beaucoup plus bref, et ensuite la conclusion. L’Union Européenne agit – je crois vous l’avoir montré longuement – contre les nations. Mais elle n’agit pas seulement contre les nations, elle agit contre l’Europe. Lorsque l’on vous oppose l’argument « mais nous ne pouvons rester en dehors de l’Europe, mais nous sommes des Européens », vous pouvez répondre que oui, sans doute. Mais ce que nous visons en fait est un Etat super-européen : l’Union à l’encontre du vrai génie de l’Europe.
Car l’Europe est historiquement l’espace dans lequel sont apparues la liberté et l’égalité des nations. Cela ne s’est pas fait sans mal. Cela ne s’est pas fait pacifiquement, ça ne s’est pas fait sans épreuves, et ce n’est pas un résultat évident du génie européen. Par exemple la liberté et l’égalité des nations ne sont pas un héritage de la civilisation romaine, laquelle était plutôt impérialiste. La seule chose que les Romains nous aient léguée dans ce domaine, c’est l’expression « ius gentium », mais qui ne signifiait pas du tout, comme elle a fini par le signifier plus tard le « droit des gens », autrement dit le droit international, mais simplement le droit dont relevaient les populations qui avaient fait leur soumission à Rome, sans que leurs habitants eussent la qualité de citoyens romains. Par opposition au droit civil, qui ne signifiait pas d’ailleurs le droit privé, mais le droit dont bénéficiaient les citoyens romains. Par conséquent, Rome a été un empire, et ne connaissait pas la liberté des nations.
Égalité juridique
L’héritage hellénistique à cet égard est plus important. Mais il faudra les convulsions de la fin de la féodalité, la résistance du roi de France aux prétentions hégémoniques du St Empire Romain Germanique, les traités de Westphalie – de Münster et de Osnabrück – qui ont mis fin à la guerre de 30 ans, et le Traité d’Utrecht, pour aboutir à un système que justement ce Traité d’Utrecht qualifiait de « iustum potentiae equilibrium » (juste équilibre des puissances), et notamment cette idée de l’égalité des nations, ou au moins de leur indépendance. Même, par exemple, si le Portugal était un petit peu le vassal de l’Angleterre., il y avait théoriquement un Traité d’alliance, mais les Portugais pouvaient faire ce qu’ils voulaient chez eux. Même s’il y avait un concert européen, et si dans ce concert la Grande Bretagne, la Prusse, l’Autriche ou la France comptaient plus, sans aucun doute, que la principauté de Saxe-Cobourg et Gotha par exemple, malgré tout, il y avait cette égalité. Qui se traduit de multiples façons : l’égalité protocolaire entre les ambassadeurs dont l’unique préséance est fonction, aujourd’hui, de leur ancienneté, à part celui du Saint Siège qui, dans certains Etats catholiques, a toujours la priorité sur les autres. L’égal accès à la mer, l’égal accès aux territoires sans maître dont l’appropriation résultait de l’antériorité, de la découverte et ensuite d’une occupation continue. Et les conséquences juridiques de ce système, c’est la souveraineté des Etats qui est la traduction en termes savants de cet adage, selon lequel un charbonnier est maître chez lui. Il y avait le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat. Et c’est tout cela qui est battu en brèche aujourd’hui par l’Union Européenne. C’est en cela que l’Union, en créant ce Super-Etat, va à l’encontre du génie européen. Car cette liberté, cette égalité des nations, qui se sont aujourd’hui répandues sur la surface de l’univers, l’Europe, elle seule les a inventés.
Vous ne trouvez pas cela dans la tradition musulmane, par exemple, il y a la tradition du Califat, c’est-à-dire du pouvoir à la fois spirituel et temporel du successeur des prophètes. Vous ne trouvez pas cela dans la conception chinoise qui est celle d’un empire éventuellement bienveillant vers les barbares qu’on laissera s’administrer sur le plan intérieur, mais quand même à la condition qu’ils fassent allégeance. Non, cette notion-là, c’est en Europe occidentale qu’elle est née. Et ce qui est très grave, c’est que non seulement on s’inscrit aujourd’hui à l’encontre de toute la tradition juridique de l’Europe, mais aussi on refuse de caractériser l’Europe, comme on refuse de caractériser les nations qui en font partie. On refuse de caractériser l’Europe sur le plan géographique, sur le plan ethnique, on refuse de parler de « peuples européens ». Il y a des peuples, pourtant, qui sont européens, et d’autres non. Je m’excuse mais les Celtes, les Latins, les Germains, les Slaves, les Baltes, les Caucasiens sont des Européens. Les Mongols, les Khmers, les Bantous et tant d’autres n’en sont pas, ce qui ne signifie pas quelque mépris à leur égard.
Il y a aussi l’identité culturelle de l’Europe, c’est le patrimoine gréco-latin, et c’est surtout évidemment l’apport de la civilisation chrétienne. Vous avez tous suivi le refus d’insérer la référence à cet héritage chrétien et à ces valeurs chrétiennes dans les textes que l’on nous propose aujourd’hui. Et puis il y a évidemment l’art roman, gothique, la Renaissance, le Baroque… qui représentent des aspects de la culture européenne. Or, ce refus est manifeste aujourd’hui. Comme l’avait dit un jour Jean Marie Le Pen, parce que nous étions un peu effrayés par ce que nous voyions : « et si encore ils détruisaient les nations occidentales pour construire une nation européenne, nous serions contre, bien sûr, mais enfin il y aurait une apparence de justification à leur visée. »
Rocard / Bolkestein
Mais tel n’est absolument pas le cas. Il y a un refus de reconnaître les vérités géographiques, charnelles, culturelles, spirituelles de l’Europe qui a été théorisé par exemple dans un récent livre d’entretiens extrêmement intéressants entre monsieur Michel Rocard, ancien Premier Ministre socialiste de France, avant sa récente attaque de santé, et le Commissaire européen Bolkestein, dans lequel le Commissaire Bolkestein n’est pas le pire. Rocard le dit très clairement. Il dit : « Selon moi, l’Union Européenne est un projet politique. Elle apporte la stabilité, la prospérité – ce que je conteste évidemment, mais enfin c’est son point de vue -, et par conséquent, dit-il, il n’y a aucune raison de la limiter aux peuples européens. Je voudrais l’étendre à des peuples du Moyen Orient, à Israël etc., et je ne serais vraiment tranquille que quand les pays d’au-delà de la Méditerranée en seront membres. » Voilà une déclaration qui a au moins le mérite de la franchise et de l’honnêteté ; c’est une conception purement idéologique de l’Europe. Cette conception est le fait d’un certain nombre de criminels conscients, comme monsieur Rocard, mais aussi de ceux qui ne sont que complices. D’autres sont lâches ou peureux, d’autres encore ignorants.
Refus par conséquent de tout ce qui fait le patrimoine européen, et des aberrations revendiquées, je vous passerai la résolution sur les transsexuels, la proclamation du droit à l’avortement, de l’obligation de fournir des services d’avortement au nom de la libre circulation des services, de l’adoption des enfants par les homosexuels etc. Dans ce contexte, les religions particulières, comme la vôtre, Mesdames et Messieurs, sont invitées à participer, à condition qu’elles veuillent bien contribuer à la nouvelle religion, c’est-à-dire la religion des Droits de l’Homme qui trouve son expression dans la charte dont je vous ai parlée. C’est une véritable dictature du relativisme, ce qui n’est pas une contradiction dans les faits.
Ariane Airbus CERN
Je dirais, pour terminer, dans ce contexte-là, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? J’ai du être convainquant car j’entends des cris de « oh oui ! ». Peut-être oui. Peut-être peut-on faire autre chose. Qu’est-ce qui mérite malgré tout d’être gardé, sous cette forme ou sous une autre ? Le débat doit être ouvert. On peut garder le principe de l’intangibilité des frontières, malgré tout, même si certaines frontières sont parfaitement injustes, mais enfin il faut garder le principe de l’intangibilité des frontières, sûres, reconnues, mutuellement garanties. L’arbitrage pacifique des différends, c’est évidemment un progrès par rapport aux affrontements intereuropéens. Les projets concrets de coopération scientifique, technique, culturelle. Ce qui marche le mieux d’ailleurs se développe en dehors du cadre de l’Union Européenne. On vous cite toujours la fusée Ariane, on vous cite toujours l’avion Airbus. Je pourrais ajouter aussi le Centre Européen de Recherche Nucléaire qui fait des recherches extraordinaires sur la structure de l’atome dans un tunnel souterrain de 40 m de diamètre où l’on propulse les particules les unes contre les autres à la vitesse de la lumière en passant dans des appareils de mesure du volume de la Tour Eiffel, entre la frontière suisse et la frontière française ; c’est une organisation internationale à part. Airbus, c’est un consortium, Ariane Espace aussi, et cela ne doit rien au système européen.
Il faut donc conserver ces projets concrets de coopération, les échanges d’étudiants également, le projet Galileo etc. – sur lesquels les citoyens européens peuvent mettre un visage, dont ils peuvent connaître les coûts et dont ils peuvent apprécier soit les inconvénients, soit les avantages. Il faut bien sûr restreindre cette Europe aux pays de langue et de culture européens, étendue peut-être aux pays du monde orthodoxe. Je suis de ceux qui pensent – je m’exprime devant un auditoire catholique et j’essaye moi-même d’être catholique, c’est très difficile comme chacun sait -, que nous souffrons des conséquences du partage de Théodose entre l’Empire Romain d’Orient et l’Empire Romain d’Occident. Ce qui a débouché, de façon très indirecte, sur le schisme de Photius. Le méridien de ce partage, c’est le méridien de Sarajevo, ça n’est pas un hasard. C’est de là qu’est partie la première Guerre Mondiale, du fait du nationalisme serbe. De là aussi sont partis les affrontement entre Serbes et Croates qui ont été le premier conflit intereuropéen après la chute du mur de Berlin.
Par conséquence, si cette Europe est une organisation suffisamment souple, si elle est fondée sur les valeurs européennes, si elle s’adresse aux peuples européens, je suis, dans ces conditions, mais dans ces conditions seulement, favorable à une Europe de Saint Jacques de Compostelle jusqu’à Vladivostok ! C’est ce à quoi s’attelle le groupe que j’ai l’honneur de présider « Identité, Tradition et Souveraineté » – un peu de publicité si vous permettez. Au demeurant la France a des moyens de se faire entendre. Mon collègue Martinez (que je cite pour le 3e fois) dit très justement que le monde a besoin de la France.
Au demeurant, la France a des atouts en dehors même du contexte européen, elle a son ancien empire, ce qu’elle a en partage d’ailleurs avec le Portugal et avec l’Espagne. Elle a la francophonie, elle a sa culture, elle a son empire maritime, elle a encore sa fonction de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU – une ONU qui évolue quand même plutôt bien depuis la fin de la guerre froide. Le monde a besoin de la France en ces temps de doute et de ténèbres. Ayons par conséquent, Mesdames et Messieurs, l’incroyable ambition, il faut le reconnaître, de nous mettre en situation de répondre à cette attente. – Merci de votre patience.