Ce tableau est ici dressé par des personnes se réclamant de la gauche dite antilibérale. Serge Halimi (qui a pris part à l’élaboration de ce film-documentaire) est ainsi membre de l’équipe de rédaction du Monde diplomatique depuis 1992, et occupe depuis mars 2008 le poste de directeur de ce mensuel. Les réalisateurs du film soulignent pour leur part ce qu’ils doivent aussi à une structure comme Acrimed (acronyme d’« Action critique Médias ») qui se situe clairement dans la mouvance altermondialiste.
Les critiques et constats élaborés ici, n’en sont pas moins très souvent pertinents. Ils rejoignent, recoupent les analyses et études effectuées à l’autre bout de l’échiquier politique. Nous pensons ainsi aux écrits d’Emmanuel Ratier sur le club Le Siècle.
Au moins huit membres du gouvernement Ayrault sont passés par le Club Le Siècle qui comme le rappelait M. Ratier, regroupe « les principaux hommes politiques (de l’UMPS), patrons de journaux et présentateurs de télévision, grands hommes d’affaires et financiers. Ils représentent la quintessence du pouvoir oligarchique français, concentrant entre leurs mains l’essentiel du pouvoir et sans doute près de 90% du PIB français. »
Dans le film-documentaire qui nous occupe ici est mise en lumière la réalité disséquée par Serge Halimi dans son livre. D’abord l’emprise croissante des grands groupes financiers et industriels sur l’information. Les Bolloré, Bouyues, PPR, Dassault, Rothschild et autre Lagardère détiennent les principales chaines de télévision et de radio, les principaux magazines et journaux.
Ensuite, le développement d’un « journalisme de révérence » d’une « pensée de marché »,« la prédisposition des journalistes à accompagner les choix économiques et sociaux de la classe dominante », de la caste acquise au mondialisme dirions nous.
Bref, dans un univers médiatique dans lequel la publicité joue un rôle croissant, la généralisation d’un « univers de connivence », dissimulé derrière la multiplication des chaines et des canaux dits d’informations mais délivrant les mêmes messages formatés…
Sociologue au CNRS, François Denord souligne dans le film la proximité sociologique des « milieux journalistiques et politiques », le rôle de « journalistes vedettes » proches des politiciens par leur cursus : « même milieu, même formation des stars de l’info » qui ont fait « science po ou HEC.»
Rédacteur en chef sur France 3, Michel Naudy note pareillement que si le système « rejette tout ce qu’il ne peut pas récupérer » – « On ne reste jamais à l’antenne impunément »- c’est aussi parce que « le milieu politique et journalistique est un monde unique, un seul et même monde ». Ils partagent « les mêmes valeurs, le même mode de vie, les mêmes amitiés, fréquentent les mêmes hôtels passent les vacances dans les mêmes lieux. C’est une famille réellement. »
Un monde de la finance qui n’a pas investi dans les médias « pour qu’ils nuisent à leurs intérêts ».Au-delà du groupe Bouygues (TF1), Dassault (Le Figaro), Rothschild (Libération), est particulièrement mis en exergue comme exemple de cette dépendance des principaux médias français au pouvoir économique le cas Arnaud Lagardère.
Celui-ci possède non seulement Europe 1, mais huit chaînes de télévisions, une vingtaine de magazines (Paris-Match, Marie-Claire…), le réseau de distribution Relay et ses 1000 points de vente…
Cet intérêt des groupes industriels à investir et à posséder des médias répond à une double démarche : non seulement « faire des profits » mais aussi « disposer d’un levier politique évident ».
Or , « les intérêts des gens qui de fait détiennent ce pays les poussent a soutenir ceux qui défendent leurs intérêts financiers et idéologiques (…). Ces gens changent de cheval comme ils changent de chemise, et l’intérêt c’est qu’il y a des candidats à droite, mais aussi à gauche… » (M. Naudy).
Le film s’arrête ainsi longuement sur le fameux club Le Siècle, « club privé dont les membres sont regroupés par cooptation », réunissant « le gratin du monde de la finance, de la politique se et du journalisme », « intellectuels, hauts fonctionnaires… ». En son sein, « rien de ce qui se dit à l’intérieur ne doit se répéter à l’extérieur. »
Pour Fréderic Lordon, économiste directeur de recherche au CNRS, entrer dans ce type de cercle pour un journaliste, un chroniqueur, se traduit « par des pertes de liberté de parole, des pertes de sens critique, des effets de normalisation, d’adaptation , d’ajustement, d’auto censure ». « Rapidement tu sais bien ce que tu peux dire et ce que tu ne peux plus dire , les questions, que tu as le droit de soulever et celles qu’il faudra mieux taire…».
Comme le résume François Denord, être membre du Siècle «c’est avoir montré qu’on est capable de s’intégrer dans la classe dominante française et une fois qu’on en est membre il faut bien respecter au minimum les intérêts de cette classe, ne pas aller contre ses intérêts politiques et économiques.»
Les nouveaux chien de garde s’arrête aussi avec bonheur sur « les experts », les invités récurrents des chaînes et des stations. Un cercle restreint, tous médias confondus, « ils sont une trentaine », eux aussi très souvent membres du Siècle, à l’instar d’Elie Cohen, d’Alain Minc, de Jacques Attali, de Nicolas Baverez, de Jean-Hervé Lorenzi, de Christian de Boissieu, Michel Godet (qui n’en fait pas partie) …
Jean Gadrey, professeur émérite d’économie membre de la commission Stiglitz s’interroge : « Pourquoi les grands médias font ils silence sur les collusions, les liaisons dangereues entre un certain nombre d économistes que l’on invitent systématiquement et les milieux d’affaires?».
« Les citoyens les auditeurs les téléspectateur regarderaient tout autrement un brillant économiste universitaire s’ils savaient que cet économiste est largement rétribué par les banques, les compagnies d’assurance et les sociétés privées comme administrateur c’est à dire au centre de la gestion de ses entreprises. »
« Leur fonction est de promouvoir la pensée unique économique, le démantèlement de l’Etat social selon les propres termes de Frédéric Lordon. « Ceux qui refusent de parler dans le cadre de la pensée unique économique sont éjectés. Bienvenue à ceux qui acceptent de grenouiller dans les limites du bac à sable, mais cela fait une pensée singulièrement atrophiée. »
D’ailleurs aucun de ces pseudos experts (notamment M. Cohen meilleur économiste de France selon M Minc) n’a vu venir la crise systémique qui a frappé la planète en 2008. A commencer par Alain Minc qui vantait au début de cette crise des subprimes la capacité du système à la réguler, balayant d’un revers de la main « les risques de dérapage » !
« La crise a pris à contre-pied tous ces experts qui pendant 20 ans ont expliqué que la déréglementation était le meilleur des systèmes »(Lordon). Pourtant ce sont toujours les mêmes qui sont invités sur les plateaux . Ce sont eux qui ont été invités à venir commenter cette crise, squattant la quasi-totalité des émissions. «Constance dans l’erreur constance dans l’indulgence, ils sont inoxydables » (Lordon).
Cette domination de la pensée unique néo-libérale est maintenant complète y compris à gauche, au Monde, sous l’impulsion alors du triumvirat Plenel-Minc-Colombani, comme à Libération sous celle de l’inénarrable Laurent Joffrin (Le Siècle bien sur), qui se sont ralliés aux thèses libre-échangistes et euromondialistes.
D’autant que la concurrence entre médias ne garantie pas l’indépendance des journalistes et de l’information. Sont cités ici les cas d ‘Alain Duhamel ou de Michel Field (membres du siècle), ex militant trotskiste que l’on a retrouvé au meeting de l’UMP pour le oui à la constitution européenne en 2005, « faisant acclamer Arnaud Lagardère, son employeur sur Europe 1 ».
Et ce documentaire bien ficelé de conclure : « trente ans de renoncement à légiférer pour garantir des médias plus indépendants. Trente ans de soutien à l’appropriation par des groupes industriels et financiers d’une bonne partie de la presse écrite des radios et des télévisons. Trente ans de renoncement à un service public de l’information indépendant et de qualité, à faire des médias une question politique essentielle ».
Un film qui permet de comprendre implicitement souligne Bruno Gollnisch (n’en déplaisent pour le coup aux auteurs de ce film), les raisons de l’ostracisme, des attitudes dédaigneuses, méprisantes, de la partialité de la caste médiatique à l’endroit du Front National et de son programme politique.