Autre épine, et de taille, dans le pied du gouvernement, la fronde bretonne contre l’écotaxe dont devront s’acquitter sur les routes nationales les poids lourds -pour les punir de ne pas prendre l’autoroute? Jean-Marc Ayrault réunit aujourd’hui à Matignon certains élus bretons sur ce sujet et les ministres concernés, ceux de l’Agriculture, des Transports et de l’Agro-alimentaire. Mais cette taxe ne sera pas supprimée a averti Stéphane Le Foll qui espère en tirer 800 millions d’euros d’argent public, notamment pour améliorer le réseau routier; selon certains calculs elle devrait rapporter un milliard d’euros par an.
800 millions d’euros c’est d’ailleurs le montant du contrat passé sous Nicolas Sarkozy avec la société italienne Ecomouv, chargée d’installer les portiques sur les routes et de récupérer l’argent. Interrogé par l’AFP, le ministère des Transports a confirmé qu’il s’agit bien d’une clause du contrat conclu par trois ministres du gouvernement Fillon en octobre 2011.
Selon Le Figaro, citant « des éléments de synthèse alarmants envoyés par la sous-direction de l’information générale (SDIG) de Rennes au ministère de l’Intérieur », cette fronde bretonne « prend des allures de jacquerie généralisée« . « Chacun se prépare donc pour le grand jour, le 2 novembre prochain, avec une nouvelle manifestation à Quimper. Les bonnets rouges et leur symbolique antijacobine, en souvenir de la révolte des Bretons de 1675 contre une nouvelle taxe, sont attendus en nombre, la police craignant violences et débordements ». Outre « les syndicats traditionnels, comme la FNSEA« , « les organisations représentatives des secteurs du transport, du BTP et de l’agroalimentaire, la population commence à adhérer au mouvement, constatent les ex-RG. »
« La SDIG de Rennes a prévenu Paris que le mouvement pourrait faire tache d’huile dans des régions de France à forte identité, l’Alsace, le Pays basque et même la région niçoise, où quelques irréductibles s’interrogeraient sur la façon de passer à l’action. Ils auraient pris des contacts entre eux. »
Mais en Bretagne , « l’un des foyers les plus vivaces est la ville de Carhaix (…) Son maire, Christian Troadec (…), très apprécié par les anticapitalistes du NPA, et résolument impliqué dans le mouvement breton, cet électron libre de la gauche alternative appelle ouvertement les salariés de l’agroalimentaire, agriculteurs, marins, élus, syndicats, commerçants, artisans, transporteurs, toutes les populations touchées d’une manière ou d’une autre par la crise, (…) à se rassembler pour dire non au déclin de la Bretagne et par la même occasion à l’écotaxe ».
«Jusqu’alors, estiment les analystes du SDIG, les syndicats se sont toujours refusés à réunir agriculteurs et pêcheurs, tant le cocktail peut se révéler explosif. Or, s’inquiètent-ils, des représentants de deux corporations se sont entendus le week-end dernier pour agir de front. »
Pour délégitimer cette fronde, rien de tel que d’y voir la main des extrémistes et Le Figaro de nous expliquer encore que « la colère des Bretons contre l’écotaxe (…) serait attisée notamment par deux groupes identitaires, l’un d’extrême gauche, en marge du mouvement Breizhsistance, l’autre d’extrême droite, sous la bannière de Jeune Bretagne (…), rattaché à l’Adsav (le parti du Peuple breton), qui se fixe pour objectif «la création d’un État indépendant breton». Ses militants ont ouvert une page Facebook intitulée Révolte bretonne. Elle compte déjà 4000 sympathisants. »
Preuve que la bête immonde pointe déjà le bout de son museau, » le site Internet de Jeune Bretagne a laissé en évidence sur sa page d’accueil un appel à venir assister à la conférence en septembre dernier d’un ancien cacique du FN, Jean-Yves Le Gallou, à l’occasion de la publication de son (excellent, NDLR) livre sur La Tyrannie médiatique. » Horresco referens!
Il n’empêche que le FN qui certes défend aussi les enracinements régionaux, les particularismes locaux, les patries charnelles que sont nos provinces, a toujours rappelle Bruno Gollnisch, résolument dénoncé les mouvements indépendantistes qui font le jeu du mondialisme en tant qu’alliés de revers de ceux qui à Bruxelles comme ailleurs, veulent abattre les Etats nations.
« L’impulsion du mouvement (en Bretagne, NDLR) est locale. Le Front National observe, mais n’a pas prise en Bretagne, où il ne réalise jamais de gros scores», confie un officier de police cité par Le Figaro. Scores frontistes en deçà de la moyenne nationale car «le poids des valeurs démocrates chrétiennes dans la région» est encore important avance comme explication le politologue Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et à Sciences-Po Rennes, cité par 20 minutes.
Mais là aussi, et Marine Le Pen en déplacement samedi à Fougères (Ille-et-Vilaine) ne nous contredira pas, les choses changent rapidement. Lors de la présidentielle, elle avait obtenu 13,2 % des suffrages et en juin dernier le FN avait franchi la barre des 20% aux législatives dans certaines petites communes rurales, en Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan.
Géographe, auteur des Fractures Françaises, Christophe Guilluy rappelait dans la dernière édition du JDD que « le FN a globalement une marge de progression immense dans tout l’ouest. Et ce parti l’a bien compris. Les représentations de la France d’hier, tout comme la géographie électorale d’hier, sont en train de s’effacer. C’est la conséquence de la reconstruction sociale mais aussi économique des territoires. Aujourd’hui, il y a deux France, celle des métropoles, en phase avec la mondialisation, qui inclut les banlieues, et celle où se redéploient les nouvelles classes populaires. Des zones rurales, des petites villes, des petits villages, certaines zones périurbaines. Cela forme la France périphérique, où progresse le vote FN. Cette fracture touche à présent toutes les régions, y compris la Bretagne« .
Il relevait déjà dans son ouvrage cité plus haut que » les milieux populaires sont ceux qui ont été les plus exposés à la mondialisation et au multiculturalisme. Or on ne les a pas armés pour. » Cette « exposition » là épargne en effet de moins en moins la Bretagne et les Bretons.
» Ce qui vient de se produire en Bretagne est assez représentatif constate encore M Guilluy. Quand une entreprise du centre de la région vient à fermer, c’est le chômage total qui arrive. Dans cette France périphérique qui pèse 60% de la population, les mobilités sociale et résidentielle sont en train de s’effondrer. Compte tenu des logiques foncières et économiques, les gens sont coincés. Et c’est ce qui génère la radicalisation. »
Autant dire que samedi prochain les anciens, nouveaux et futurs électeurs frontistes, ouvriers, paysans, marins-pêcheurs,chefs d’entreprise, artisans, seront nombreux à manifester dans les rues de Quimper pour défendre le droit de vivre et de travailler au pays.