Cette pression exercée par le Système sur les déviants trouvent son pendant dans les syndicats pour traquer leurs encartés qui figureraient sur les listes municipales du FN.
Jean-Louis Malys, membre de la direction de la CFDT, a justifié la procédure d’exclusion pour cette raison lancée contre deux militants de son syndicat : l’un dans le Maine-et-Loire à Saumur où il est délégué syndical, l’autre en Ardèche, où il est élu d’un Comité d’entreprise. Cette chasse aux sorcières actuellement en cours est « la conséquence d’une incompatibilité», «ce qu’on ne peut pas accepter, c’est l’affichage, que quelqu’un puisse dire : je suis CFDT et je défends les idées du FN. Soit on respecte les valeurs de la CFDT, son histoire, sa mission syndicale qui est de refuser les discriminations. Soit on approuve les idées du FN et alors il n’y a plus de compatibilité possible », a expliqué M. Malys au micro d’Europe 1. Les fondamentaux frontistes de justice sociale et de solidarité nationale seraient donc incompatibles avec les « valeurs » de la CFDT…
Même son de cloche du secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, un des organisateurs fin janvier, en collaboration avec des structures du PS, d’un Grand meeting contre le FN à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
David Bannier, adhérent de la CGT depuis 2008, sapeur-pompier professionnel, candidat pour les municipales sur la liste FN à Fougères (Ille-et-Vilaine), a été officiellement radié mardi. Celui-ci a dénoncé le sectarisme et l’intolérance de la direction de la CGT laquelle dans un communiqué a affirmé sans rire que M. Bannier «s’est de lui-même mis en dehors de la CGT en l’instrumentalisant (sic), au profit d’un parti prônant des thèses contraires aux valeurs de la CGT.»
Dimanche sur France 3, Thierry Lepaon a vu dans les ralliements d’encartés CGT au FN des actes de «désespoir» aussi vain que de « s’immoler devant Pôle emploi» (!). L’honnêteté commanderait plus simplement de constater, affirme Bruno Gollnisch, que les syndiqués (ultra-minoritaires au sein du monde salarié en France) sont comme les autres Français attirés par le programme protectionniste au sens large, défendu par le Front National.
Cette adhésion au FN de syndicalistes en provenance de centrales cataloguées (avec raison) à l’extrême gauche (la CFDT est de longue date noyautée par les trotskistes, la CGT reste dans l’orbite du PC) confirme-t-elle la thèse déjà ancienne d’un gaucho-lepénisme ? Un concept qui a fait fortune dans les médias, forgé par le politologue Pascal Perrineau, selon lequel les électeurs des classes populaires qui votent Front sont d’anciens électeurs socialo-communistes.
Une analyse battue en brèche cependant par plusieurs politologues. Le site du magazine Les Inrocks se faisait ainsi l’écho le 27 février des travaux sur ce fameux gaucho-lepénisme. En l’espèce lors de la rencontre organisée sur ce thème deux jours auparavant sous le titre «Le FN, parti des ouvriers?», par un cercle de réflexions proche du PS, la Fondation Jean Jaurès. Plus précisément ce sont des chercheurs de l’Observatoire des radicalités politiques (Orap), créé et dirigé au sein de ladite fondation par Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite européenne, qui ont livré le fruit de leurs réflexions.
C’est cette même Fondation Jean Jaurès dont les travaux ont établi ce que les militants FN constataient sur le terrain, à savoir le phénomène de porosité, l’attractivité croissante du FN sur l’électorat UMP. Cette même structure, sondages à l’appui, indiquait en août 2011 que la présidente du FN bénéficiait d’une « empathie de points de vue de la part des catégories populaires, parce qu’elle serait la seule à satisfaire une triple demande de protection : protection des personnes physiques, protection économique des salariés, protection nationale face à la mondialisation.» Le vote FN révèle « une demande de protection » des milieux populaires.
«L’effet d’attraction produit par le discours de Marine Le Pen s’explique par un fond commun de représentations structuré par un sentiment général d’ insécurisation » . « La tension sociale est réelle, la révolte et la colère sont à leur comble parmi les ouvriers et le sentiment d’injustice gagne du terrain parmi la classe moyenne » notaient avec inquiétude les auteurs de cette enquête.
Catégories d’électeurs séduits par le FN qui ne votent pas traditionnellement à gauche soulignait le 25 février la spécialiste es FN Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS, rattachée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). « L’ouvriéro-lepénisme est un droito-lepénisme (…). Nous sommes en présence d’un monde ouvrier de droite qui est séduit par Marine Le Pen».
Certes, ajouterons nous, l’attractivité du FN dépasse le simple cadre de la droite. Nous le voyons dans les fédérations frontistes avec des militants venant parfois du PS ou du PC, nous l’avons vu, exemple parmi d’autres, avec la cantonale partielle qui s’est déroulée dans l’Oise le 24 mars 2013. Joël Gomblin, membre de l’Observatoire des radicalités, avait évalué que 40 à 45 % des électeurs socialistes avaient voté Front national au second tour.
Mais Mme Mayer constate aussi qu’en 2012, « d’après l’enquête French Electoral Study » rapporte encore l’article des Inrocks, « seulement 9 % des ouvriers qui ont voté pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle se considèrent “de gauche”, alors que 49 % se considèrent “de droite”, et 29 % se situent au “centre”. »
Lors de la dernière présidentielle, explique la chercheuse, «ce ne sont pas les ouvriers précaires qui ont voté pour Marine Le Pen : eux ont préféré François Hollande dès le premier tour, quand ils ne se sont pas abstenus. En revanche les ouvriers non précaires ont voté à 36 % pour Marine Le Pen. Qui sont-ils ? Ceux qui ont peur de tomber : ils sont plus catholiques, ont un plus fort taux d’équipement des ménages, habitent davantage hors des grandes villes, ont un petit diplôme, un petit quelque chose qu’ils ont peur de perdre. »
« Les enjeux économiques sont encore au cœur de leurs préoccupations mais au moment de voter, ce sont les enjeux identitaires et culturels qui sont déterminants. L’immigration est en cela un enjeu de taille pour le FN, car il comporte à la fois une dimension économique – la préférence nationale pour l’emploi –, politique – le droit de vote des étrangers – et culturelle – c’est notre identité qui serait en cause. Le vote de classe n’est pas mort, il a été enterré vivant à cause de l’incapacité du politique à répondre aux problèmes économiques. »
Et le chercheur Florent Gougou de «(porter) encore un coup d’estoc à la thèse du gaucho-lepénisme : «depuis 1988 les ouvriers représentent 30 à 35 % de l’électorat FN, alors que le vote ouvrier en faveur du PCF à son apogée en 1967 et 1978 s’élevait à 50% ». « Ce ne sont pas les mêmes ouvriers qui hier votaient pour la gauche et aujourd’hui votent pour le FN, ce sont de nouvelles cohortes qui amènent ces changements-là : ils n’ont jamais eu des habitudes de vote à gauche. »
Dans La Revue socialiste (quatrième trimestre 2013), entièrement consacrée au FN, rapportait de son côté Le Figaro, Nonna Mayer note également que Marine fait «ses meilleurs scores chez les ouvriers, dont un tiers dit avoir voté pour elle». Jérôme Fourquet (Ifop) indique que «désormais, dans les classes populaires et moyennes blanches des espaces périurbains et des villes moyennes, c’est Marine Le Pen qui est en tête, la gauche conservant une influence dans les grandes métropoles et leurs banlieues, à forte population immigrée.»
Une phénomène qui n’a pas échappé aux stratèges du PS , notamment ceux du cercle de réflexions Terra Nova. Dans ses écrits visant à apporter une contribution stratégique aux campagnes menées par la rue de Solferino, Terra Nova affirmait dés la présidentielle de 2007, que «pour la première fois de l’histoire contemporaine, les ouvriers, qui ne votaient déjà plus à gauche au premier tour, ne votent plus à gauche au second tour». «La perte du vote ouvrier met la gauche dans une situation électorale critique.»
« La perte du vote ouvrier met la gauche dans une situation électorale critique. »
Ce qui implique pour le PS de se détourner des petits blancs pour surfer sur «l’expansion démographique» des Français issus de l’immigration non européenne. «C’est un fait politique important. La France de la diversité est aujourd’hui la composante la plus dynamique, tant électoralement que démographiquement, de la gauche en France.»
Au delà des calculs sordides et cyniques du PS pour se maintenir au pouvoir, Bruno Gollnisch remarque plus largement, c’est pourquoi il insiste souvent sur ce point, que c’est la capacité du FN à capter les voix des abstentionnistes qui est la clé de nos succès futurs.
Un enjeu bien perçu par un autre spécialiste de l’extrême droite et du Front National, le sociologue Sylvain Crépon. Il s’interrogeait en 2012: «Que fera cette France qui se sent reléguée, à tous les sens du terme ? Pour qui voteront ces quelque 40 % d’électeurs qui affirment aujourd’hui ne se reconnaître ni dans la gauche ni dans la droite ? Le vivier est stratégique : si elles ne sont pas reconquises, ces quelque 16 millions de voix peuvent se réfugier dans l’abstention ou le vote Front National ».