L’exigence d’une meilleure justice fiscale serait aussi au cœur des préoccupations de la Commission européenne, et expliquerait notamment la directive européenne sur le droit d’auteur qui propose, rapporte le site Ozap, « de taxer les clics sur les liens hypertextes » de Google News. « Un impôt qui pénaliserait fortement l’agrégateur de contenu qui est très utilisé en Europe par le grand public. » Le journal britannique The Guardian publiait dimanche la réplique de « Richard Gingras, vice-président de Google rattaché aux médias, qui menace de fermer l’agrégateur Google News si l’Union européenne (passe aux actes). »
UE rapportait l’Afp, qui a fait état en mars de son souhait d’ « instaurer une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires généré par les services numériques des entreprises (dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasse 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’Union européenne excèdent 50 millions d’euros ». Le républicain constructif ministre de l’Économie Bruno Le Maire défendait pour sa part devant le Parlement européen, à Strasbourg le 23 octobre la «priorité absolue» que devrait être une taxation des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) voire des Gafam s’y on ajoute à cette liste Microsoft. «Nous aurons d’autant plus vite une solution à l‘OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) que l’Europe aura été capable (…) de créer cette taxe sur le numérique » expliquait M. Le Maire : « Comment peut-on accepter que des millions de consommateurs européens donnent gratuitement leurs données sans qu’il y ait au passage une taxe «Soit l’UE est libre, soit elle est vassale. Moi je crois en une Europe libre, souveraine».… ce qui n’est pas la définition qui vient à l’esprit pour désigner l’actuelle construction bruxelloise !
Bruno Le Maire s’était donné comme but l’adoption du texte taxant les Gafa (qui pourrait ramener dans les caisses de l’UE cinq milliards d’euros par an selon certains calculs) au « plus tard début 2019. » Mais c’était sans compter sur l’obstruction de Berlin qui a jugé que ladite taxation ne serait pas «efficace», le patronat Outre-Rhin ayant fait part de ses inquiétudes en jugeant que cette taxe «pénaliserait» les entreprises allemandes. Le projet de loi a finalement été repoussé à 2020 et il n’est pas inutile de rappeler plus largement, a fortiori à la lumière de la mobilisation citoyenne actuelle , que près de 530 milliards d’euros, en l’espèce 40% des bénéfices engrangés par les multinationales, sont exfiltrés chaque année vers des paradis fiscaux.
Une situation qui ne peut qu’exacerber le ras-le-bol du contribuable lambda, qui lui n’échappe à rien, déjà pressuré, voire racketté par l’Etat, l’UE, souvent pour engraisser les parasites d’en haut et d’en bas ou le vivre-ensemble. Nous le notions déjà lors du mouvement des bonnets rouges , une fronde fiscale traduit aussi plus profondément une remise en cause de la légitimité du Système en place. Dans sa remarquable Histoire de France, Jacques Bainville notait que « La question des impôts, lorsque l’imposition doit être très lourde, est redoutable parce quelle provoque des résistances et favorise la démagogie: c’est le cas qui s’est présenté à plus d’un moment de notre Histoire. »
Mais aujourd’hui la question de la récupération démagogique est dépassée depuis longtemps car plus personne ne nie le caractère proprement insupportable de l’accumulation des impôts, directs et indirects, des taxes diverses et variées qui accablent la très grande majorité des Français. L’ex collégue de Bruno Le Maire et député LR de l’Indre Nicolas Forissier, membre de la commission des Finances de l’Assemblée, l’admettait dans une tribune publiée le 30 octobre dans Le Figaro: « La France est championne des prélèvements obligatoires, sans que l’on en tire un avantage (…). En 2018 (les dépenses publiques) ont augmenté de 20,8 milliards d’euros et en 2019, ce sera près de 24 milliards de plus. C’est 16 milliards de dépenses de plus que François Hollande durant ses deux premières années. Le programme Action publique 2022, qui devait prévoir une diminution des dépenses, a purement et simplement été abandonné. Nous sommes les champions des impôts parce que nous sommes les champions de la dépense publique. Et les seules économies prévues, l’État les fait faire aux autres, les collectivités locales en particulier. »
Fiscalisme confiscatoire dont les victimes privilégiées sont aussi les familles, rappelle oppportunément Jean-Pierre Maugendre sur le site de Renaissance catholique, citant les propos de Christophe Castaner. Le nouveau ministre de l’Intérieur déclarait ainsi le 14 septembre dernier : « L’outil privilégié pour corriger les inégalités de naissance (est) l’impôt sur les successions.» Ainsi constate M. Maugendre, «le but de l’impôt sur les successions n’est plus de contribuer à financer les services publics dont la formulation est en elle-même explicite de leur finalité, du moins en principe là encore, mais de réduire les inégalités de naissance. Il y là, clairement, un détournement d’objectif en fonction de présupposés idéologiques largement contestables (…). Le taux de l’impôt sur les successions en France est le plus élevé d’Europe (jusqu’à 45%) avec le montant d’abattement le plus faible (100 000 €). Il est une atteinte violente au droit de propriété et l’incarnation législative du refus de la transmission qui est une des caractéristiques majeures de la société française post moderne. Les Français sont, à ce jour, doublement déshérités. D’une part au sens immatériel dans lequel l’observait François-Xavier Bellamy dans son ouvrage éponyme, d’autre part au sens très matériel de ne pouvoir transmettre à leurs enfants, leurs héritiers, le fruit de leur vie de labeur et de sacrifice. Ce volontarisme s’avère à la fois injuste et inefficace. Injuste car il est conforme à la justice, qui est de rendre à chacun ce qui lui est dû, de pouvoir faire bénéficier ses enfants du capital intellectuel, culturel, religieux, artistique mais aussi financier et patrimonial accumulé tout au long d’une vie. Inefficace car une des conséquences majeures de cette impossibilité de transmettre est l’auto limitation dans leurs initiatives d’un certain nombre de créateurs de richesses qui s’exilent à l’étranger, en particulier aux USA et en Suisse, afin d’échapper à une fiscalité patrimoniale et successorale confiscatoire (…) ».
« Peu à peu s’incarnent chaque jour plus profondément dans les lois les principes qui font de la société politique non plus un ensemble de familles unies par la poursuite collective d’un bien commun partagé mais la simple juxtaposition d’individus (…) L’implosion démographique de nos sociétés submergées par des civilisations dans lesquelles l’individu, voire la personne, n’est que la partie, parfois bien négligeable, d’une communauté structurée et structurante devrait nous inciter à remettre en cause quelques unes des vaches sacrées à l’origine de notre décadence. Ce n’est pas, malheureusement, le chemin que semble nous indiquer notre classe politique.».
On peut être d’accord ou non, en tout ou partie avec les développements, les analyses du texte de M. Maugendre mais il pose des questions essentielles, et nous rappelle que la problématique de l’impôt touche au cœur même de la définition de notre modèle de société.