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L’ennemi russe ?

J’évoquais la semaine dernière « l’ami américain ? ». C’est avec le même et important point d’interrogation que je souhaite aujourd’hui dire quelques mots de « l’ennemi russe ? ».
Les choses ont en effet beaucoup changé pour les hommes de ma génération, dont la jeunesse, et même la maturité, s’était déroulée dans un contexte de guerre froide et de menace communiste permanente, tant extérieure qu’intérieure.

Si les valeurs et les convictions qui guident l’action politique sont invariables, les situations changent, et les analyses honnêtes doivent en tenir compte, afin toujours de rechercher la vérité.

Où est la « déstabilisation » ?

Aujourd’hui, la Russie n’est plus une menace pour le monde occidental, mais elle est toujours traitée comme telle. Le président Macron, à la 56e conférence de Munich sur la sécurité, a cru devoir ce 15 février déclarer que la Russie va « continuer à essayer de déstabiliser » (sic) les démocraties occidentales via la manipulation des réseaux sociaux ou des opérations dans le cyberespace. Il n’en a guère donné d’exemples, ni dans le passé, ni dans le présent, et pour cause. Les commentateurs ont cité la diffusion, par un « artiste » russe, de la video obscène ayant contraint Benjamin Griveaux à renoncer à l’élection municipale à Paris. Sauf que… ce Piotr Pavlenski est un opposant d’extrême- gauche à Poutine, « réfugié politique » admis en France en 2017, et maintenu chez nous malgré une condamnation à trois ans de prison dont deux avec sursis pour avoir tenté d’incendier une façade de la Banque de France !

L’OTAN obsolète ?

Tout ceci pose le problème de notre diplomatie, et de nos alliances militaires, dont au premier rang : l’OTAN, Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, dont on a célébré le 70 ème anniversaire en avril 2019, puis le 3 décembre à Londres.

Le président Trump a insisté à plusieurs reprises pour que les Européens contribuent davantage aux dépenses de l’OTAN. M. Macron, lui, avait déclaré, le 7 novembre, dans The Economist, que : « l’OTAN était en état de mort cérébrale», s’attirant de vives critiques de Trump et du Président turc Erdogan. Le propos n’était pas sans intérêt ; malheureusement, les conclusions qu’il en tire sont exactement à l’inverse de ce qu’il faudrait faire : on parle d’une européanisation de la défense, concept extrêmement dangereux, car l’utilisation de l’armée, et spécialement de la dissuasion nucléaire, est trop étroitement liée aux intérêts vitaux de la Nation pour être déléguée à qui que ce soit.

Lorsque le général De Gaulle a décidé de retirer la France du dispositif militaire de l’OTAN, le jeune homme que j’étais critiquait cette décision. Je voulais alors rester dans l’OTAN ; je suis aujourd’hui sur la position inverse. Ce n’est pas être inconséquent : à l’époque, l’OTAN – dont l’objectif était de nous protéger du communisme international et du bloc soviétique, se justifiait pleinement : 6000 chars se tenaient à une nuit de route de nos frontières. La menace était réelle. Le communisme ne cessait de s’étendre par la violence : au Vietnam, au Cambodge, en Amérique latine, etc. Dans ces conditions, ce retrait du dispositif militaire affaiblissait dangereusement le camp occidental.

La Russie n’est plus l’Union soviétique.

Aujourd’hui, le pacte de Varsovie a été dissous. L’Union soviétique a éclaté. La Russie a rendu leur liberté, non seulement à tous les pays opprimés de l’Europe orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Bulgarie, etc.), mais aussi à ceux qui dépendaient de l’immense ancien empire russe : Républiques d’Asie centrale, du Caucase, pays baltes, etc. Certes, des problèmes subsistent. Notamment dans les portion de territoire où l’on a conservé plus d’affinités avec la Russie qu’avec les nouveaux Etats indépendants : Abkhazie en Géorgie, Crimée et Donbass en Ukraine, qui fut elle-même le berceau de la Russie… Mais faut-il pour autant qu’à l’instar de Napoléon III en 1853, dont ce fut la première grande erreur en politique étrangère, nous nous engagions en Crimée avec les anglo-saxons contre la Russie?

Extension menaçante

Et ces problèmes justifient-ils que, contrairement aux engagements, au moins implicites, que Gorbatchev a eu le grand tort de ne pas faire coucher par écrit lorsqu’il accepta la réunification allemande et le retrait russe de l’Europe de l’est, l’on ne cesse d’étendre le champ de l’OTAN, ce que naturellement la Russie voit d’un mauvais œil ? Surtout quand les usages de l’alliance ont été manifestement abusifs. Je fais ici référence à la guerre contre la Serbie au Kosovo, et aussi au chaos que nous avons fait régner en 2011 en Libye, à l’initiative de Sarkozy et de Bernard Henri Lévy, outrepassant la résolution N° 1973 du Conseil de Sécutité de l’O.N.U., l’opération française « Harmattan » se combinant avec l’opération OTAN « Unified Protector ». Nous payons aujourd’hui le prix de cette politique désastreuse, puisque les côtes de ce pays, en proie depuis lors à la guerre civile, sont la base arrière du trafic de migrants venus de toute l’Afrique, et envoyés vers l’Europe sur des coquilles de noix par des passeurs sans aucun scrupule.

Dans ces conditions, notre actuelle intégration dans l’OTAN traduit surtout notre sujétion diplomatique et stratégique aux États-Unis d’Amérique. Il conviendrait donc de réduire les compétences de l’Organisation à l’échange d’informations, aux exercices utiles menés en commun selon des procédures harmonisées, à la lutte conjointe contre le terrorisme islamique, peut-être encore à la coopération en matière d’armement, dans une alliance strictement défensive ne sortant pas de son cadre géographique.

Renforcer nos liens

En revanche, il est nécessaire de renforcer nos liens avec la Russie, qui est en butte aujourd’hui à l’hostilité du cénacle euro-atlantique, et aux sanctions de l’Union européenne, non fondées et contre-productives.

Nous pourrions renouer avec une tradition nationale naturelle en termes de géopolitique, illustrée par l’alliance franco-russe scellée à la fin du XIXe siècle. Qu’il me soit permis au passage d’honorer ici la mémoire de mon arrière- grand-père Emile Flourens, ministre des Affaires Etrangères en 1886, qui en fut l’initiateur, et devint l’ami et le biographe du Tsar Alexandre III. Aujourd’hui, il ne s’agirait pas d’une alliance défensive contre l’Allemagne, mais de contribuer à faire en sorte que l’Europe réconciliée surmonte sa grande division, qui remonte au partage de Théodose au quatrième siècle de notre ère entre empires latin et grec, et à la séparation sous Photius du catholicisme de l’orthodoxie (1054). Cette ligne de partage, c’est très exactement le méridien de Sarajevo, ligne d’affrontement de 1914 (assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche ; déclenchement de la 1ère guerre mondiale) jusqu’à nos jours (guerre de Bosnie).

Les Russes d’aujourd’hui sont un peuple européen, en majorité chrétiens, souvent fervents, bien disposés à l’égard de la France, dont ils apprécient la culture, en butte comme nous aux incertitudes géopolitiques nées de la démographie : l’immense Sibérie, riche de potentialités, ne comporte que 20 millions d’habitants, face à un milliard et demi de Chinois. Et une partie de son territoire fut autrefois chinoise, notamment jusqu’au traité de Kiakhta (1727) et ceux qui suivirent.

De Gaulle parlait de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Jean-Marie Le Pen, lui, a souvent évoqué la nécessaire solidarité de « l’espace boréal », comportant une Europe qu’il étendait jusqu’à Vladivostock. Refaire l’unité de l’Occident, abroger les conséquences politiques de la division de l’Europe chrétienne, participer à profits partagés à la mise en valeur des richesses naturelles de ces immenses espaces ; c’est ce champ d’action nouveau qui devrait davantage retenir l’attention de nos responsables politiques.

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