Sur le site Atlantico, Christophe Bouillaud, professeur de sciences politiques à l’IEP de Grenoble, souligne l’évidence quand il affirme qu’une des clés des prochaines échéances électorales résidera dans la capacité des formations politiques et des candidats à la présidentielle à séduire les « classes moyennes ». Un enjeu parfaitement compris par le président de l’UMP : « le faible taux de pénétration de Nicolas Sarkozy chez ces classes moyennes et populaires lui fait aujourd’hui défaut, et il est donc tactiquement logique de vouloir le récupérer ».
En effet, si « l’électorat du FN est plutôt populaire », « il a aussi des électeurs dans les classes moyennes et supérieures ». La grande masse des électeurs Frontistes note-t-il encore, n’est pas constituée de « citoyens désinsérés socialement, ce sont des citoyens ordinaires, moyens sur le plan socio-économique, pas des rejetés socialement ».
« Aux élections européennes, il y a eu indéniablement une certaine progression du FN, cette dynamique demeure dans les classes populaires mais aussi dans des bastions de classes moyennes et supérieures. (le sociologue) Joël Gombin a montré qu’il ne fallait pas surestimer le côté populaire de l’électorat frontiste, classe moyenne et classe supérieure sont aussi partiellement exaspérés (ou autre) et votent ainsi pour le parti d’extrême droite ».
Autres catégories soumises à examen par les observateurs de la vie politique , le vote selon l’appartenance ethnico-religieuse des électeurs. Dans un entretien avec Nicolas Gauthier, mis en ligne hier sur le site Boulevard Voltaire, Camel Bechikh président de l’association Fils de France, se revendiquant du patriotisme français et du souverainisme, donnait son sentiment sur le vote des musulmans. Rappelons qu’il fut invité en avril 2013 par Louis Aliot au colloque « Islam et République », organisé par son club de réflexion Idée Nation.
«Les enfants et petits-enfants d’immigrés dit-il, encore nombreux dans les quartiers pauvres, subissent frontalement le désastre d’une immigration toujours massive, malgré les conditions économiques limitant l’emploi, le logement, la performance inclusive qu’était l’école (…). Le vote FN des Français de confession musulmane est bel et bien une réalité dont il faut se féliciter, car il est un indice objectif de la pluralité des opinions politiques pour ceux qui perçoivent encore ces Français comme un bloc à part et monolithique ».
M. Bechikh affirme encore qu’il y a des musulmans «heureux de rencontrer une France qui s’aime, une France fière de son histoire, de sa langue, de ses valeurs catholiques, trop souvent oubliées par la République. Valeurs plus à même à être respectées, défendues et rejointes à l’heure où la France se dénature par le mariage dit pour tous et maintenant, sournoisement, la GPA… Les heures sombres de notre histoire se déroulent sous nos yeux : perte de souveraineté, destruction des frontières, géographiques et morales ! Le temps presse, la France ne peut faire l’économie d’aucune bonne volonté, d’aucun citoyen, sans distinction d’origine, de religion, de classe sociale. En effet, comme l’écrivait Charles Maurras : Aucune origine n’est belle. La beauté véritable est au terme des choses. »
Didier Beauregard sur le site Polemia le 9 décembre, consacrait un article au vote communautaire, dans lequel il ne partageait pas totalement « l’optimisme » du président de Fils de France sur un basculement tangible vers un vote Front chez les musulmans de nationalité française.
Certes, «les conflits autour du mariage homo, s’ils n’ont pas mobilisé les masses musulmanes, ont tout de même mis en exergue les ruptures culturelles insurmontables entre la population musulmane et le pouvoir socialiste. Les brèches sont ouvertes, elles ne pourront que s’agrandir ». « Pour autant, de là à dire que l’électorat musulman est une terre de conquête pour la droite nationale, il y a un pas bien difficile à franchir ».
« Compte tenu des données disponibles, on peut raisonnablement penser que le vote musulman FN a franchi la barre des 5%, ce qui n’est pas négligeable mais ne pèse pas réellement sur les rapports de forces globaux. L’électorat musulman étant évalué à environ deux millions d’électeurs pour un corps électoral d’un peu plus de 44 millions de personnes, un point de progression représente donc à peu près 20.000 voix (…). Il est logique de penser qu’un ensemble d’éléments bien identifiés (mariage homo, théorie du genre, affaire Dieudonné, crise de Gaza, sans oublier l’échec social de la gauche…) pousse une fraction très minoritaire, mais grandissante, de l’électorat musulman vers un vote contestataire de droite, après l’avoir exprimé à gauche ».
Cela étant posé, et comme preuve de la permanence d ’un vote basé sur des critères ethnico-religieux, l’auteur de l’article cite l’enquête de terrain « menée de manière approfondie, bureau de vote par bureau vote, par la Fondation Jean-Jaurès et l’Ifop, à Perpignan (à l’occasion des dernières élections municipales ou Louis Aliot menait la liste FN, NDLR), pour saisir au plus près la typologie du vote FN en fonction de la géographie urbaine. Le constat de l’étude est clair : il fait ressortir, dans le sud méditerranéen, l’existence d’un vote à forte composante communautaire, qui ne va pas dans le sens d’une lepénisation du vote musulman (…) ».
« Face à l’effondrement du Parti socialiste, les électeurs musulmans, pour faire obstacle au FN, auraient, dès le 1er tour, massivement voté pour la droite classique. Le réflexe communautaire percevrait donc toujours le parti de Marine Le Pen comme une menace (…).A contrario, le vote FN progresse fortement dans les zones d’habitation populaires ou bourgeoises qui jouxtent les zones d’habitats sociaux où se concentre l’essentiel des populations issues de l’immigration. C’est ce que les sociologues appellent l’effet lisière (…) ».
Bref, le vote FN serait « un vote communautaire blanc , qui souligne, a contrario, que la motivation identitaire l’emporte chez les électeurs du Front National sur les considérations socio-économiques. Selon un récent sondage Ifop, 88% des électeurs du Front national votent d’abord en raison des enjeux migratoires et sécuritaires, et les sujets économiques arrivent loin derrière ». Et M. Beauregard va même jusqu’à en conclure que « dans cette logique, il est fort probable que Marine Le Pen rencontrerait le même écho dans les classes populaires, sans promettre pour autant le Smic à 1500 euros ou le retour de la retraite à 60 ans ».
Aussi, si « la classe ouvrière vote si majoritairement pour le FN, c’est d’abord parce qu’elle a été la première à subir dans son quotidien les effets de déstructuration sociale et culturelle de l’immigration de masse. Pour avoir refusé d’admettre cette vérité, le parti de Mélenchon a été réduit comme peau de chagrin ». Vérité trop aveuglante si l’on en juge par le débat initié par le PC pour contrer le vote FN et que nous évoquions au début de cet article.
Pour autant, Didier Beauregard note aussi, comme l’évoquait Nicolas Gauthier dans son entretien avec Camel Bechikh, que « le politologue Gilles Kepel, dans son dernier ouvrage (Passion française), affirme que chez les musulmans «le tabou du FN a sauté . Il est effectivement toujours surprenant et déroutant de voir, lors de reportages télévisés, de jeunes musulmans, ou moins jeunes, au look typé banlieue , interrogés dans leurs quartiers, affirmer haut et fort qu’ils votent pour le Front National, sous le regard indifférent ou complice de leur entourage (…). Peut-être qu’une partie significative de ce groupe se trouve en rupture avec ses attaches communautaires et religieuses et ne peut plus être traité en tant que vote musulman ».
Si la question reste posée, l’auteur estime qu’ «un discours de fermeté du FN face aux dérives de l’islam en France ne ferait probablement pas fuir l’électorat musulman acquis ou tenté par le vote FN. Après tout, les lubies sociétales de la gauche, radicalement opposées aux principes de l’islam, n’ont pas empêché les musulmans de voter massivement pour la gauche ; du moins jusqu’à récemment. Ces derniers ont clairement privilégié le soutien à un système clientéliste de redistribution qui leur profitait, au détriment des grands principes de la religion ».
«Les musulmans, beaucoup d’entre eux certainement, veulent aussi de la sécurité dans leurs quartiers et une bonne éducation scolaire pour leurs enfants. C’est une base de compromis opérationnelle pour aborder l’électorat musulman, tout en restant ferme sur les principes fondamentaux de l’identité française ».
Bruno Gollnisch a déjà donné son éclairage sur toutes ces questions, souvent passionnelles, il aura l’occasion certainement d’y revenir à l’occasion des années décisives, des déterminantes échéances qui approchent à grand pas.