La trentième édition de cette soirée s’est faite en présence de 700 invités parmi lesquels de très nombreux habitués des lieux et dirigeants de l’UMPS comme François Hollande, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Alain Juppé, une douzaine de ministres socialistes en exercice… Occasion de délivrer « un message d’espoir » a-t-il été précisé, le Crif a également décerné trois prix : au Malien Lassana Bathily naturalisé après avoir aidé des juifs à se cacher lors de la prise d’otages du supermarché casher à Paris, au film d’Alexandre Arcady sur le calvaire horrible d’Ilan Halimi et enfin au documentaire Les héritiers sur l’enseignement de la «shoah » dans une classe d’un lycée pluriel…
Devant ce lobby communautaire, François Hollande, invité d’honneur, a tenu le discours habituel sur « les juifs (qui) sont chez eux en France, ce sont les antisémites qui n’ont pas leur place dans la République », dénonçant «l’antisémitisme » qui « comme une lèpre revient toujours quand les civilisations croient s’en être débarrassé ». «L’antisémitisme a des racines anciennes qui plongent dans toute l’histoire de l’extrême droite française qui ne s’en est pas affranchie » a-t-il déclaré tout en évoquant une nouveau surgeon de celui-ci, qui se nourrit « de la haine d’Israël », déplorant parallèlement la montée en puissance « des actes anti musulmans».
Le président de la République a annoncé que le Premier ministre allait exposer dans les jours prochains un plan pour lutter contre l’antisémitisme, qu’un «projet de loi sur le renseignement était en cours d’élaboration, ainsi qu’un fichier commun (PNR) pour « contrôler les passagers aériens qui se rendent dans des zones dangereuses ». Mais sans remettre en cause l’espace Schengen : « Pour lutter contre le terrorisme, il ne faut pas moins d’Europe, il en faut plus… ».
Comme le président du Crif, Roger Cukierman notamment l’avait exigé, François Hollande a appelé de ses vœux un « meilleur contrôle d’internet », et a estimé que « l’antisémitisme », le « racisme » et « l’homophobie » devraient relever du droit pénal commun et non plus comme c’est encore le cas aujourd’hui du droit de la presse.
Un raout précédé par une double polémique engendrée par les propos de M. Cukierman lors de son passage au micro de Jean-Pierre Elkabach sur Europe 1 le matin même. Dans le climat actuel de violences et d’inquiétudes qui pèse particulièrement sur les Français de confession juive, le patron du Crif a rappelé que « toutes les violences aujourd’hui, et il faut dire les choses, sont commises par des jeunes musulmans. Bien sûr, c’est une toute petite minorité de la communauté, et les musulmans en sont les premières victimes… ».
Toutes les violences non, car la mouvance d’extrême gauche en porte sa part, mais il est certain que les violences antisémites sont bien cantonnées dans un segment bien identifié de la population, qu’il y a bien évidemment de grands points communs dans les parcours d’un Mérah, d’un Nemmouche, d’un Coulibaly, d’un el-Hussein, des frères Kouachi… Les propos du président du Crif ont provoqué la colère des représentants du culte musulman qui ont décidé de boycotter le dîner. Ce fut le cas du président de l’Union des mosquées de France, Mohammed Mossaoui, du Conseil français du culte musulman (CFCM) présidé par Dalil Boubakeur qui, via un communiqué, a précisé qu’il ne pouvait « accepter que la composante musulmane de France soit aujourd’hui l’objet d’attaques aussi graves qu’infondées».
Si ce boycott enterre encore un peu plus l’esprit du 11 janvier –il est vrai que nos compatriotes ou résidents musulmans étaient très massivement absents des manifestations-, l’imam de Drancy, le très controversé Hassen Chalghoumi était lui présent hier au dîner du Crif. Un imam certes, que ne fait pas vraiment l’unanimité dans sa communauté. Le site musulman oumma.com rappelait d’ailleurs incidemment que « la réception officielle, organisée par les francs-maçons du Grand Orient de France pour accueillir l’imam Chalghoumi, a provoqué des remous à l’intérieur de l’obédience ».
« Décrit comme un imam autoproclamé, et qui n’a rien de la culture générale et religieuse nécessaire à l’emploi, Chalghoumi est qualifié par ses adversaires d’imam d’Israël . Le fait que le G.O se soit prêté à une opération visant à crédibiliser ce religieux qui croyait que Charlie , celui de l’hebdo, était un homme, a provoqué un vif mécontentement auprès de certains frères qui accusent les responsables de l’Ordre d’obéir aux ordres du CRIF ».
Autre reproche fait à Roger Cukierman à l’occasion de cet entretien, sa sortie (faussement) aimable sur Marine consistant à la mettre en porte-à-faux avec le Mouvement qu’elle préside. Dans ce même entretien sur Europe 1, il affirme ainsi « qu’on est tous conscient dans le monde juif que derrière Marine Le Pen, qui est irréprochable personnellement, il y a tous les négationnistes, tous les vichystes, tous les pétainistes ». « Le Front National est un parti pour lequel je ne voterai jamais, mais c’est un parti qui aujourd’hui ne commet pas de violence ».
Cette distinction assez maligne a cependant fait vivement réagir l’avocat de la mémoire Serge Klarsfeld : « Mme Le Pen n’a pas rompu avec son père. Elle dirige le Front National qui porte le passif des prises de position antisémites du père qui est président d’honneur du Front National ».
Recadré, M. Cukierman a donc précisé quelques heures plus tard que « Madame Le Pen n’est pas fréquentable parce qu’elle ne s’est pas désolidarisée des propos de son père ». « Je ne voterai jamais pour le FN ». « Nous n’inviterons pas (le FN) au dîner du Crif ». «La phrase de Roger Cukierman était mal formulée, j’ai fait les observations qu’il fallait. Il a révisé sa position » a approuvé M. Klarsfeld…
Certes, le président du Crif n’en est pas à sa première formulation maladroite. Sans subir à l’époque les foudres de Serge Klarsfeld, il avait déclaré en 2002 au quotidien israélien Haaretz, au lendemain de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, que «le score de Le Pen sert à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien, parce que son score est un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles »…
Roger Cukierman défend ce qu’il estime être les intérêts de la structure qu’il préside et de l’Etat d’Israël, et c’est évidemment son droit le plus strict. Formation politique cohérente, Marine ou encore Bruno Gollnisch l’ont déjà précisé, le FN quand bien même serait-il invité, ne se rendrait pas au dîner du Crif au nom du refus du communautarisme. Or, le Crif en représente un exemple archétypal. Avec un succès aussi remarquable que sidérant puisque c’est l’ensemble de la classe politicienne –à l’exception notable d’un François Bayrou, d’un Jean-Luc Mélenchon – qui se presse aux manifestations d’un Crif, lequel représente à peu prés un sixième des 600 000 ou des 700 000 juifs de France, soit environ 0,6% de la population française…
Dans l’Obs, le sociologue Samuel Ghiles-Meilhac, spécialiste du Proche-Orient et de la communauté juive française, faisait part à ce sujet d’un trouble de plus en plus répandu, que l’on est en tout cas en droit de partager : «Je suis gêné par l’attitude des pouvoirs publics, qui n’expliquent pas clairement pourquoi ils se rendent à ce dîner (du Crif, NDLR). Cet événement a une dimension compliquée à concilier avec les discours de janvier sur le pays uni, qui rejette tous les communautarismes ». C’est le moins que l’on puisse dire.