Certes, il y a encore du travail pour rééduquer les Français affirme le footballeur (de grand talent) Karim Benzema dans le numéro en date d’aujourd’hui du quotidien sportif espagnol Marca. Commentant son non sélection dans le 11 tricolore pour l’Euro 2016, il explique que Didier Deschamps aurait cédé à « une partie raciste de la France »,citant à l’appui de sa thèse les succès électoraux du Front National, un « parti extrémiste. » Au vu de la composition ethnique de l’équipe de France, au sein de laquelle les gaulois sont ultra-minoritaires, M. Benzema veut croire que ce sont surtout les maghrébins qui sont visés, ostracisés à travers lui. Le grand sociologue-comique Jamel Debbouze a ajouté sa pierre à la dénonciation de ce complot, dans un entretien accordé lundi à France Football: « Sportivement, comment fait-on pour se priver de joueurs extraordinaires comme (Karim Benzema et Hatem Ben Arfa)? Ces gamins représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues. N’avoir aucun de nos représentants en équipe de France (…) On leur en voudra toujours d’être ce qu’ils sont. Karim Benzema, et par extension Hatem Ben Arfa, payent la situation sociale de la France d’aujourd’hui. »
Rappelons que cet air là fut déjà entendu en 2010 après l’annonce par Raymond Domenech de la non-sélection de Karim Benzema et de Samir Nasri dans l’équipe de France. Et puis nous le rappelions il y a peu, ce sont les démêlés judiciaires, l’attitude caricaturale, stéréotypée de M. Benzema qui hérissent les Français et ont conduit le sélectionneur à l’écarter pour tenter de privilégier la cohésion du groupe et le soutien des supporters. Interrogé sur RMC, en novembre 2013, Karim Benzema, d’origine algérienne mais de nationalité française, avait expliqué qu’on ne « le forcera pas à chanter La Marseillaise« . Peu après dans la presse espagnole il confiait : « J’aime bien l’équipe de France. L’Algérie c’est mon pays, la France c’est juste pour le côté sportif. » Vivre, c’est choisir Karim…
Le refus du paradis socialiste et pluriel était pour le coup le plus grand dénominateur commun de celles et ceux qui participaient en fin de semaine dernière aux journées organisées, sous l’égide du magazine Valeurs Actuelles, par le maire de Béziers Robert Ménard dans sa ville. Il entendait réunir à cette occasion les différentes droites, « les vraies droites, les droites qui ont des convictions, les droites qui aiment charnellement ce pays » pour discuter programme, idées, orientations, tout en lançant au même moment sa propre association baptisée Oz ta droite. Zemmour, de Villiers, Dupont-Aignan ont finalement décliné l’invitation, tout comme les figures de LR. A contrario avaient fait le déplacement Charles Beigbeder, Alain de Benoist, Philippe Bilger, Béatrice Bourges, Renaud Camus, Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, Jean-Yves Le Gallou, Jean-Frédéric Poisson (président du Parti Chrétien Démocrate, PCD, affilié à LR ), Karim Ouchikh (Siel)…
Louis Aliot et Marion Maréchal Le Pen, également présents ne se sont pas éternisés. La benjamine des députés de l’Assemblée nationale a tenu à affirmer qu’ « il y a une erreur politique majeure et historique de Robert Ménard de partir dans des mouvements dont on sait qu’ils sont voués à l’échec électoral. L’idée c’est: On veut vos voix et pas vos gueules. Il faut que ces gens-là se rendent compte que le FN est incontournable. Il y a un certain nombre de personnes qui sont dans des réflexes politiques sectaires ». Marion a pointé « un blocage sociologique » de cette droite, à qui il « déplaît que les idées auxquelles ils croient soient défendues exclusivement par le FN ».
Les avis sur les journées de Béziers sont assez divers; certains y ont vu un verbiage stérile, des critiques sans intérêts, voire une opération téléguidée par Patrick Buisson, pour faire imploser le FN et/ou à des fins de rabibochage personnel avec Nicolas Sarkozy en l’aidant de nouveau à draguer (dans les deux sens du terme) un électorat droitier pour 2017; d’autres des débats utiles, des contacts pour l’avenir, des confrontations enrichissantes… Journées qui nous invitent aussi en creux, peut être de manière plus intéressante, à nous interroger sur ce ce qu’est le FN, sur son positionnement.
Spécialiste es FN, Valérie Igounet sur son blogue hébergé sur france tv info, rappelle pour sa part que la question n’est pas neuve. Elle revient sur le slogan « Ni droite, ni gauche: Français! » (ou « Ni droite ni Gauche, Front National! ») qui apparaît en 1995 lors de l’université d’été du Front National de la Jeunesse (FNJ), dirigé alors par Samuel Maréchal. « Ces quelques mots, empruntés au collaborationniste Jacques Doriot (on admirera ici la kolossale finesse du raccourci, historiquement et intellectuellement aberrant, de Mme Igounet, NDLR) sont censés s’adapter au contexte de 1995, celui du mouvement social de décembre (contre la politique d’un certain Alain Juppé, alors Premier ministre, NDLR) et contrer la vision politique de Bruno Mégret sur la recomposition des droites (…). À plusieurs reprises, l’actuelle présidente du FN a souligné une des différences fondamentales entre sa vision politique et celle de Bruno Mégret : si ce dernier désirait s’allier avec le RPR et multiplier les alliances, Marine Le Pen est partisane de la ligne Ni droite ni gauche (…). »
« Selon Robert Ménard (et toute une batterie de sondages et d’études, NDLR) une bonne partie de l’électorat des Républicains pense la même chose que l’électorat FN . Ce qui signifie que le FN doit s’allier avec d’autres pour l’emporter. En d’autres termes, Robert Ménard veut rallier les droites françaises ; une vision stratégique totalement opposée à celle exposée officiellement par le FN. Marine Le Pen refuse toute alliance avec la droite…. droite quelle entend faire exploser pour voir le FN s’imposer comme le parti principal. » Explosion qui signifierait satellisation, ralliement, alliance d’une partie de cette droite patriote, de conviction, des valeurs, au FN pour constituer un front commun antimondialiste, une majorité pour accéder au pouvoir. Ce que tenta déjà (et failli réussir) la stratégie mise en place par Bruno Gollnisch lors des régionales de 1998.
Sur le site atlantico, le haut-fonctionnaire caché sous le pseudonyme de Alexis Théas, croit très prosaïquement que « cette initiative des rencontres de Béziers correspond » surtout « à la montée d’Alain Juppé dans les sondages des primaires », qu’elle est « une réaction, assez marginale, à la perspective d’une victoire de la droite pro-bruxelloise aux présidentielles de 2017. » Ancien journaliste à L’Humanité et à TF1, le conseiller en communication Jean-Luc Mano affirme pour sa part dans le même article qu’au delà de la dédiabolisation du FN incarnée par Marine et Florian Philippot, « certains aiment au FN ce qu’il a de diabolique (sic), cette liberté de ton, d’action que cela lui confère. Dans le vote du Front National, certains le font parce que le Parti peut parler comme le diable, c’est pour cela qu’ils l’approuvent. Dès lors que ce discours évolue et finit, à leurs yeux, par s’affaisser, ils ne s’y retrouvent plus (…) Le fait est qu’au sein de la vie politique française a toujours existé une fonction tribunitienne. »
« Cette fonction-là, que le Front National est actuellement en train de perdre » croit-il savoir, « consiste à porter la parole des mécontents, à représenter ceux qui ne le sont pas, ou peu. C’était, pendant près d’un demi-siècle, l’apanage du Parti Communiste Français (…). A partir du décès clinique du Parti Communiste, la place a été libre et le Front National s’est emparé de cette fonction tribunitienne (…). Il va de soi que si ce parti, qui représente des gens différents, cherche l’apaisement, se banalise et essaye de ressembler aux autres partis, il ne pourra plus remplir cette fonction. Or, il s’avère aujourd’hui que les formes de protestations sont multiples et occupent plusieurs supports ; en témoignent des rassemblements comme Nuit Debout ou les conflits sociaux actuels. Ce n’est plus l’apanage d’un seul parti et si le FN venait à perdre complètement cette dimension, il ne serait plus qu’un parti politique classique de la Vè République. Des pans de la société ne se reconnaîtraient plus en lui. C’est sur cela que Robert Ménard essaye de jouer. Au fond, il essaye de récupérer ces gens qui ne se sentent pas représentés. »
M. Mano a encore du mal à intégrer une donnée toute simple à savoir que le FN ne s’est jamais contenté de cette fonction tribunitienne, qu’il se doit en effet d’incarner tant qu’il est dans l’opposition. Non, les dirigeants frontistes ont toujours souhaité porter les idées nationales au pouvoir, ce qui est la finalité de notre longue marche, et non pas seulement témoigner, même avec panache! Il conclut son propos par les « deux fractures » qu’il perçoit au sein de la droite française: « Nombreux sont ceux qui pensent qu’il y a, entre le FN et la droite républicaine, un continuum. Concrètement, l’extrême droite serait simplement plus à droite que la droite. C’est notamment le cas de (Laurent) Wauquiez ou de (Guillaume) Peltier. Pour les autres, comme (Jean-Christophe) Lagarde ou (Jean-Pierre) Raffarin, la rupture est réelle et le FN n’est pas simplement « plus à droite » mais fondamentalement et par nature très différent. Ce débat fait depuis longtemps l’objet d’un affrontement au sein de la droite républicaine. » Affrontement qui peut conduire à l’implosion d’un parti très hétérogène dont les principaux dirigeants ne se différencient de leurs homologues socialistes non par une différence de nature dans la politique menée, mais simplement de degrés comme le rappelle assez souvent Marine.
« La deuxième rupture est plus tactique » affirme Jean-Luc Mano : » dorénavant, tous à droite sont convaincus que l’ennemi n’est plus la gauche mais le Front National. Sur un plan strictement mathématique, c’est véridique : si des élections étaient organisées demain, la gauche serait certainement éliminée au premier tour et la droite perdrait beaucoup de sièges au deuxième tour en raison des triangulaires dues au FN. Toute la question est donc de savoir s’il faut affronter le voisin hostile, ou au contraire réaliser un bon mariage. » Là encore, c’est le rapport des forces, la hauteur de la vague nationale qui déferlera dans les urnes dés le premier tour de la présidentielle qui décidera de l’attitude des uns et des autres. Nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises.