Dure journée pour les européistes que ce 12 décembre 2007, veille de la signature du Traité de Lisbonne, où se multiplièrent les incidents en séance plénière du Parlement européen, à Strasbourg. Banderoles, slogans réclamant un référendum partout en Europe… on entendit même l' »hymne » européen se faire siffler par des députés et une partie du public présent dans la tribune.
L’administration de l’Union ayant pris grand soin de ne pas ébruiter l’affaire, ce n’est qu’aujourd’hui, plus d’un mois après, que nous avons enfin accès (pour parties !) aux enregistrements vidéos de cette folle journée.
C’est dans ce contexte qu’était examiné le rapport sur la prétendue « Montée de l’extrémisme en Europe ». L’enregistrement vidéo de l’intervention de Bruno Gollnisch ne nous est parvenue que ce 15 janvier, pour « des raisons techniques » nous dit-on. Chacun comprendra le « bien-fondé » de ces raisons techniques.
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Le Traité de Lisbonne : note succinte
Lors du sommet de Lisbonne, en octobre 2007, le Conseil européen a adopté le texte du Traité modificateur, désormais appelé Traité de Lisbonne, tel qu’il ressortait des négociationstechniques à la date du 5 octobre. Les dernières questions politiques en suspens (exemptions, vote à la majorité qualifiée, etc…) ont été réglées via l’adoption de nouvelles déclarations et protocoles annexés aux traités. Les résultats de la négociation sont conformes au mandat donné par le Conseil européen de juin. La brièveté des débats, comme l’absence de dramatisation pourtant habituelle dans ce genre d’exercice, sont symptomatiques : le texte est celui qui avaitdéjà été négocié par la CIG 2004 et mis à part quelques détails, le consensus partagé par les gouvernements de droite comme de gauche en Europe, n’avait pas à être remis en cause.
Et c’est bien face à une véritable « Constitution bis » que nous sommes, comme l’avouent de nombreuses personnalités politiques européennes : « 90 % [de la Constitution] sont toujours là » (Bertie Ahern, premier Ministre de la République d’Irlande » ; « Seuls quelques changements cosmétiques ont été opérés et le document de base reste le même » (Vaclav Klaus, Président de la République Tchèque) ; « Nous n’avons pas abandonné un seul point de la Constitution… C’est sans aucun doute bien plus qu’un traité. C’est un projet de caractère fondateur, un traité pour une nouvelle Europe » (Jose Luis Zapatero, Premier Ministre espagnol) ; « Toute la Constitution est là ! Il n’y manque rien ! » (Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen UDF, ancien membre de la Convention Giscard, qui avait élaboré la Constitution européenne)…
Au lieu d’un texte complet et cohérent, la nouvelle Constitution se présente désormais sous la forme d’une série d’amendements aux traités actuels, qui ajoutent ou modifient plus de 350 articles, et auxquels il faut ajouter 12 protocoles et 65 déclarations annexes. Il y a désormais deux traités : le traité sur l’Union européenne (TUE, sur la base du traité de Maastricht) et le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE, sur la base du traité de Rome).Cette forme d’amendement rendent le texte illisible et incompréhensible, et c’est d’ailleurs le but recherché. Selon Giuliano d’Amato, ancien Président du Conseil italien et lui aussi membre de la convention Giscard, « il a été décidé que le document devait être illisible. S’il est illisible, c’est qu’il n’est pas constitutionnel ; c’était l’idée… Si vous parvenez à comprendre le texte au premier abord on risquerait des appels à référendum… ». On ne peut faire plus cynique et voilà qui sonne le glas de la légende du « mini » traité ou du traité « simplifié », comme les médias aux ordres et acquis à l’Eurocratie continuent d’appeler la Constitution bis, appellation qui sert à justifier que le peuple ne soit pas consulté à nouveau sur un texte qu’il a rejeté le 29 mai 2005.
En revanche, le fond reste bien le même. Comme la Constitution européenne, ce traité fera disparaître la Communauté européenne au profit d’une entité unique, l’Union européenne,dotée de la personnalité juridique, c’est-à-dire, avec ou sans symboles, d’un Etat, ayant des compétences dans l’ensemble des domaines d’intervention publique. Le Traité sur l’Union européenne reprend partiellement les Parties I et IV de la Constitution. Le titre du traité CE est modifié et devient « Traité sur le fonctionnement de l’UE ». Le TFUE reprend la totalité de la Partie III de la Constitution, ainsi que les articles des Parties I et IV qui n’ont pas trouvé leur place dans le TUE. Il est stipulé qu’aucun des deux traités ne prime l’autre, et que les déclarations et protocoles annexes ont même valeur contraignante.
Toutes les innovations institutionnelles de la Constitution ont donc été reprises : la présidence fixe du Conseil, la diminution de la taille de la Commission, le Ministre des Affaires étrangères (même s’il change de nom), le nouveau calcul de la majorité qualifiée (même si son application est différée), l’augmentation des pouvoirs du PE (extension du champ d’application de la codécision, prise en compte du résultat des élections européennes pour la désignation du Président de la Commission), etc… Toutes les nouvelles compétences attribuées à l’Europe de Bruxelles par la Constitution sont également reprises (énergie, aide humanitaire, sécurité civile…) et la nouvelle procédure budgétaire, en faisant disparaître le caractère obligatoire des dépenses agricoles, permettra de rééquilibrer les activités politiques et législatives de Bruxelles de manière plus conforme à celles du gouvernement d’un véritable Etat. Ces politiques restent également fondées sur les principes de l’ultra-mondialisme et de la concurrence, pour les domaines économiques et sociaux, et de l’atlantisme et de l’immigrationnisme pur jus, pour le reste.
Certaines différences par rapport à la Constitution peuvent cependant être soulignées.Les principales sont les suivantes :
- Suppression des symboles de l’UE : elle est purement cosmétique. En effet, le drapeau, l’hymne, la « fête nationale » (9 mai) et la monnaie (euro) préexistaient à leur officialisation et ils continueront à être d’usage. Quant à la devise (« Unis dans la diversité »), il faut faire confiance aux institutions, pour la faire entrer dans les mœurs. D’ores et déjà, le Parlement européen a décidé de la faire figurer sur tous ses documents officiels et seize Etats membres ont tenu à faire figurer dans une déclaration annexe aux traités leur attachement aux dits symboles.
- Suppression de certaines appellations (Constitution, ministre européen des affaires étrangères, loi et loi-cadre, etc….) au profit d’une terminologie plus neutre : « haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » et « procédure législative ordinaire » (codécision sur initiative de la Commission), assortie des termes habituels de « règlement », « directive », « décision ». Ces changements sont purement sémantiques. Les attributions du premier et le contenu des seconds sont rigoureusement identiques à ce qui était prévu par la Constitution.
- Suppression de la Charte des Droits fondamentaux (Partie II de la Constitution), au profit d’une publication du texte au Journal Officiel et d’une mention de son caractère aussi juridiquement contraignant que les traités (art. 6 du TUE), le tout assorti d’un protocole définissant les exemptions britanniques et polonaises (non application de la Charte surleur territoire, primauté du droit national). La Charte a fait l’objet d’une proclamation solennelle par les Présidents du Parlement européen, de la Commission et du Conseil en décembre à Strasbourg, afin de marquer malgré tout son caractère « constitutionnel ».
- Suppression de la mention d’une « concurrence libre et non faussée » dans les objectifs de l’Union et ajout d’un protocole sur les services d’intérêt économique général qui n’apporte rien de plus, à première vue, que les textes actuels sur le sujet, surtout en l’absence de toute modification des articles définissant les règles de concurrence. Mais le protocole n°6 précise en outre que « la concurrence libre et non faussée » est partie intégrante du marché intérieur, qui, lui, est un objectif express de l’UE : la concurrence devient donc un sous-objectif implicite, dont la mise en œuvre peut utiliser tous les moyens disponibles dans les traités, y compris l’article 308 permettant à l’UE d’agir hors compétence déléguée. Cette suppression, présentée comme une concession majeure aux inquiétudes exprimées lors des référendums français et néerlandais, est donc, elle aussi, de la poudre aux yeux.
- Le calcul de la majorité qualifiée reste inchangé jusqu’au 1er novembre 2014 (concession à la Pologne) et un protocole décrit un mécanisme type « compromis de Ioannina » pour la définition d’une minorité de blocage jusqu’au 1er novembre 2014, ensuite jusqu’au 31 mars 2017 puis à partir de cette date. Il n’en reste pas moins que ces dispositions ne sont que transitoires et que le principe de la double majorité (55 % des Etats représentant 65 % de la population) est acté. Notons au passage que les tenants de la Constitution employaient l’argument de la « paralysie » prévisible d’une Europe à 27 membres qui continuerait à fonctionner avec les modes de décisions actuels. Ils viennent eux-mêmes d’apporter la preuve de leur mensonge en prolongeant l’utilisation de ces modes de décision de … 10 ans !
- La composition du Parlement européen : pour éviter de rouvrir la boîte de Pandore des représentations nationales tout en donnant satisfaction à l’Italie (qui voulait la prise en compte de l’importante communauté italienne vivant à l’étranger), le Conseil a décidé que le PE serait désormais composé au maximum de 750 députés plus le président, ce qui a fait réagir vigoureusement M. Pöttering, qui se demande quel serait alors son statut exact. Une déclaration stipule que le siège supplémentaire est octroyé à l’Italie, qui disposera donc à partir de 2009 de 73 députés, comme le Royaume-Uni.
- La Cour de Justice européenne : pour satisfaire la Pologne, le nombre d’avocats généraux à la Cour a été augmenté de 8 à 11, afin de doter la Pologne d’un avocat général permanent (comme l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni), le nombre d’avocats soumis au système de rotation passant de 3 à 5.
- 51 domaines supplémentaires, par rapport aux traités actuels, sont soumis à la procédure de codécision, dont la coopération judiciaire et policière, l’éducation, la politique économique… Notons au passage qu’il s’agit exactement du même nombre de domaines que dans la Constitution !
- La politique européenne de sécurité et de défense (2ème pilier des traités actuels) figure intégralement dans le nouveau TUE, telle que rédigée dans la Constitution. En revanche, latotalité de l’Espace de libertés, de sécurité et de justice (politique de coopération judiciaire et policière en matière civile et pénale, immigration, etc…) passe dans le TFUE, alors que la Constitution en mentionnait les principes dans sa première partie, pour en souligner le caractère particulier. C’est donc la sanction définitive de la « communautarisation » de ces politiques et une aggravation par rapport à la Constitution. A noter que la possibilité pour un Etat de s’opposer à une procédure législative en matière de coopération policière ou pénale a été réduite : en cas de blocage, la seule alternative est le renvoi du dossier devant le Conseil européen ou la coopération renforcée. En revanche, un seul Parlement national peut s’opposer à un acte dans le domaine du droit de la famille. A noter également une exemption générale dans ce domaine pour le Royaume-Uni qui peut choisir d’appliquer les textes au coup par coup, y compris ceux déjà adoptés.
- Protocole remarquable
Le contrôle du principe de subsidiarité par les Parlements nationaux est renforcé : le maintien d’une proposition de la Commission jugée non conforme au principe de subsidiarité par une majorité de Parlements doit être motivé ; en cas de maintien du texte, le Conseil peut également se prononcer sur le respect du principe de subsidiarité, et le cas échéant arrêter la procédure.Mais tout cela reste du domaine de la possibilité et non de l’automatisme, et les objectifs de l’UE sont tellement vastes qu’ils peuvent justifier toute violation du principe de subsidiarité. - Déclarations annexes « remarquables » :
- La déclaration 27 acte la primauté du droit européen primaire et dérivé sur les droits nationaux, tels que définie par la jurisprudence de la CJUE et stipule que le fait que cette primauté ne soit pas inscrite dans les traité ne modifie en rien son existence. Elle acte également un avis du Service juridique du Conseil [sic !] en ce sens.
- La déclaration 28 précise que toute compétence non attribuée à l’UE appartient aux Etats membres et qu’il est possible de réduire les compétences attribuées à l’Union via une modification des traités.
- Les déclarations 36 et 37 limitent les possibilités d’utilisation de l’article 308 et la portée des actes adoptés en application de celui-ci.
- Déclarations des Etats membres
Le Conseil a également pris acte des déclarations de nombreux Etats membres sur des sujets très divers (modification du traité Euratom, Gibraltar, la définition du terme ressortissant, l’orthographe du nom de la monnaie unique dans certaines langues, etc…).
La signature du traité de Lisbonne à eu lieu lors du Conseil européen du 13 décembre.
Le processus de ratification a commencé immédiatement après : le 17, le Parlement Hongrois, en une seule soirée, modifiait la Constitution nationale et ratifiait le Traité. En France, Nicolas Sarkozy prévoyait une ratification dès la fin de l’année 2007, afin qu’après avoir été à l’origine de la pseudo-crise institutionnelle de l’Europe (qui n’a pas cessé de prendre pourtant des décisions importantes) elle devienne l’exemple de son nouveau départ. Le calendrier parlementaire et l’obligation de modifier la Constitution française n’aura pas permis une telle précipitation, mais la rapidité sera pourtant de mise : dès le 15 janvier l’Assemblée examinera la réforme de la Constitution, et le 28, ce sera au tour du Sénat. Le 4 février, cette réforme constitutionnelle sera entérinée par la Congrès à Versailles. Le projet de loi de ratification sera examiné dans la foulée, les 6 et 7 février, par les deux assemblées, le dossier étant bouclé avant les « vacances » parlementaires dues aux élections, qui commenceront le 8. Tous les Etats membres devront avoir ratifié le texte d’ici la fin de l’année, puisqu’il est prévu que le traité entrera en vigueur le 1er janvier 2009. Le Haut représentant pour les affaires étrangères et le Président du Conseilseront nommés dès cette date.
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