Réponse à une « provocation » et à la violence manifestée à l’encontre des militaires israéliens pour les uns, attaque d’une ampleur disproportionnée contre les bateaux qui acheminaient des tonnes d’aide vers Gaza pour les autres, l’assaut lancé lundi par commandos de marine israéliens contre cette « flottille humanitaire internationale » a déclenché un énorme tollé. Le convoi en question, avec à son bord des centaines de passagers évoluant pour certains dans la mouvance islamiste radicale et appartenant à 38 nationalités différentes –Malaisiens, d’Indonésiens, du Marocains, Algériens, Pakistanais, Kosovars, Yémenites, Turcs, ressortissants britanniques, Français (sept) et scandinaves…- a payé un lourd tribut à cette intervention de l’armée de l’Etat hébreu. Au moins neuf morts et plusieurs dizaines de blessés ont été comptabilisés, principalement lors de l’assaut du cargo turc de cette flottille ; une ONG turque à Gaza a parlé d’une quinzaine de morts, la plupart Turcs. Certes, comme l’a rappelé mardi le vice-ministre de la Défense israélien Matan Vilnaï, l’Etat hébreu empêchant tout bateau « humanitaire international » ou pas, d’entrer dans les eaux de la bande de Gaza depuis le blocus imposé depuis 2007 par Israël, les organisateurs du convoi savaient à peu près à quoi s’attendre. Tsahal fait rarement ans le détail quoi qu’en dise M. Bernard Henry Lévy. Un drame qui met aussi en lumière, en le confirmant, le virage diplomatique pris par la Turquie des derniers mois…
Outre les pays arabo-musulmans, l’Iran, l’autorité palestinienne et le Hamas appelant carrément au « soulèvement », la communauté internationale a condamné unanimement la réaction israélienne, notamment le Vatican, l’Union Africaine , la Chine et la Russie. L’ONU par la voix de son secrétaire général Ban Ki-moon s’est dite « choquée » » et le Conseil de sécurité a appelé mardi, à l’instar du chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, « à lancer sans retard une enquête impartiale, crédible et transparente conforme aux critères internationaux ». Soutien sans faille de l’Etat hébreu, les diplomates des Etats-Unis ont « mouillé la chemise » ces dernières heures à l’ONU pour minorer la violence du texte rédigé par la Turquie et condamnant Israël. Contrairement aux vœux d’Ankara l’appel ne porte plus sur une sur une enquête « indépendante », l’ambassadeur américain adjoint, Alejandro Wolff exprimant la certitude « qu’Israël peut mener rapidement en interne une enquête crédible, impartiale et transparente » sur l’interception de cette flottille.
Réputé Très proche de l’Etat hébreu le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Pierre Lellouche a déclaré aujourd’hui sur LCI qu’ « il faut faire la lumière sur cette affaire. L’ONU demande une commission d’enquête internationale (…), les Européens pourraient en prendre la responsabilité ».
Aujourd’hui , une réunion spéciale de l’Otan est prévue à la demande d’Ankara, de même qu’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe. L’ambassadeur adjoint d’Israël à l’ONU, Daniel Carmon, a estimé pour sa part que « cette flottille n’avait rien d’une mission humanitaire » s’alignant sur les propos le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé que les bateaux avaient été « strictement contrôlés » à leur départ de Turquie et qu’ils ne contenaient rien d’autre que « de l’aide humanitaire et des volontaires civils ».
10000 personnes ont manifesté à Istanbul aux cris de « Mort à Israël! », 2000 à Amman, autant qu’à Rabat, plusieurs milliers de Palestiniens ont manifesté à travers la bande de Gaza, et quelques centaines de personnes à Bagdad. Les diasporas arabo-musulmanes et leurs amis ont également donné de la voix en Europe avec plusieurs centaines de manifestants à Bruxelles, Copenhague, Oslo, Genève, 6 000 manifestants à Stockholm, 1 200 à Paris, 1300 à Lille et Strasbourg. Les partis de gauche et d’extrême gauche français ont condamné l’intervention israélienne, l’UMP campant sur une position un peu en retrait. Le porte-parole de parti sarkozyste, Frédéric Lefèvre, a ainsi évoqué les « provocations » engendrées par ce convoi maritime. Le Crif a relevé pour sa part « la possibilité d’une véritable embuscade organisée par le Hamas, ce qui serait incompatible avec le caractère humanitaire du convoi ».
Nous l’évoquions en préambule, cette affaire confirme s’il était besoin le repositionnement géopolitique de la Turquie, jusqu’alors allié d’Israël, et qui est tout sauf anodin, de la part d’un pays membre de l’Otan et postulant officiellement, avec l’appui des Etats-Unis -appui réaffirmé par Barack Obama– à l’entrée dans l’UE. Mais la Turquie n’est pas la seule à frapper à la porte et nous rapportions il y a peu la déclaration du porte-parole de la diplomatie européenne, Javier Solana, qui affirmait encore le 21 octobre dernier qu’ « Israël est plus proche de l’Union européenne que ne l’est la Croatie (…) Israël, permettez-moi de le dire, est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions ». On imagine mal Israël, nouveau membre de l’OCDE, siégant pacifiquement avec cette Turquie là, au sein d’institutions « bruxelloises » qui n’auraient « d’européennes » que le nom…
La montée en puissance des critiques d’Ankara vis-à-vis de la Turquie -« Israël est la principale menace pour la paix régionale » déclarait encore M Erdogan lors de son passage à Paris en avril-, s’est encore accentuée depuis le début de cette semaine. Le ministère des Affaires étrangères turc a prévenu Israël des « conséquences irréparables » sur les relations bilatérales entre les deux pays après ce raid, soulignant « les pratiques inhumaines d’Israël ». Lundi devant l’Onu, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a affirmé qu’Israël « a perdu sa légitimité en tant que membre respecté de la communauté internationale » En déplacement au Chili, M. Erdogan a affirmé que la Turquie « ne restera pas inerte et silencieuse au sujet de cet acte de terrorisme d’Etat inhumain ». Les préparatifs pour trois manœuvres militaires conjointes avec Israël ont été annulés, annulation qui n’est pour surprendre alors que la Turquie préfère désormais renforcer sa coopération militaire avec la Syrie (voir notre article en date du 30 mars)…
Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour remarquer que cette attaque israélienne contre un convoi humanitaire, à l’organisation duquel la Turquie a pris une large part et qui a causé la mort de « martyrs » turcs, va « dans le bon sens » pour les dirigeants qui ont initié le changement de cap diplomatique d’Ankara…