Membre de l’Alliance atlantique, la Turquie a pris apparemment ces derniers mois ses distances avec le « bloc occidental », notamment avec «l’allié» israélien depuis l’offensive militaire de l’Etat hébreu sur Gaza en janvier 2009. Et surtout depuis le raid du 31 mai dernier des commandos de Tsahal contre «la flottille humanitaire» naviguant vers Gaza qui a entraîné la mort de citoyens turcs –voir nos articles des 30 mars, 1er juin, 3 juin et 5 juillet. Parallèlement Ankara a entrepris de se rapprocher de l’Iran, de la Syrie… et pousse ses pions dans les Balkans. Pour autant cela n’a pas empêché la Turquie de jouer au bon élève lors de la réunion le 19 novembre à Lisbonne des 28 pays membres de l’Otan.
Le gouvernement des « islamo-conservateurs » du parti AKP s’est finalement rallié au projet de défense antimissile défendu par Washington. Tout juste Ankara a-t-il obtenu en échange de son accord que le système d’interception de missiles couvre l’ensemble de son espace territorial et que l’Otan ne désigne pas nommément certains États, dont l’Iran , comme des menaces.
Dans ce contexte, le quotidien La Tribune (édition du 10 novembre) rapportait que fin octobre début novembre, « l’UE et la Turquie ont mené des négociations secrètes visant à mettre en pratique le Protocole d’Ankara de 2005. L’objectif est de permettre à l’UE de débloquer chapitres liés à l’adhésion ». 18 de ces 35 chapitres thématiques de négociations sont en effet actuellement au point mort…
Négociations « aujourd’hui gelés pour cause de refus de la part d’Ankara d’admettre des bateaux et des avions en provenance de la République de Chypre dans ses ports et aéroports ». Mercredi c’était au tour du porte-parole du ministère des Affaires étrangères grec, Grigoris Delavekouras, d’indiquer qu’Athènes souhaitait « une procédure d’adhésion (de la Turquie) qui soit réelle et non virtuelle ». L’organisation « en juin ou cet automne » d’un sommet Turquie-UE permettrait, de « redonner de l’élan » au rapprochement, a-t-il estimé.
On l’aura compris, il ne fallait évidemment pas tabler sur une Turquie renonçant à son entrée dans l’UE du fait de son repositionnement géopolitique au Moyen-Orient. Dans le dernier numéro du Choc du Mois, F.L Balssa fait état du dernier livre de T.J, « La nouvelle puissance turque, l’adieu à Mustapha Kémal », qui analyse en profondeur les nouvelles orientations d’Ankara. Balssa relève à la suite de l’auteur qu’émerge dans ce pays « un islam des marchands », celui « d’une économie de marché contrôlée par une société civile reconfessionnalisée ». Une Turquie qui est « la pièce maîtresse de ce Grand Moyen Orient américain, terminal des réserves énergétiques eurasiennes ».
Or, « pour en contrôler l’accès, l’Amérique aimerait faire recouper les frontières de l’Otan avec celle de l’Union européenne. Rien de nouveau (…) à ceci près que l’AKP tient désormais tête à l’allié américain. Pour autant on se tromperait à croire que le divorce avec l’Occident est consommé. Erdogan et les néo-islamistes ont besoin des Etats-Unis pour museler l’armée. Pareillement, ils ont besoin de l’Union européenne pour détricoter la rigide construction kémaliste. La Turquie joue en réalité sur tous les fronts. Elle est en train de s’imposer comme le médiateur du monde musulman sans rompre avec les Etats-Unis, ni renoncer à intégrer l’UE ». Inch’Allah…
UE notait pour sa part Jean-Gilles Malliarakis dans son bulletin L’insolent, au sein de laquelle se pose aussi le problème de « l’influence que la Turquie exerce et exercera sur les communautés immigrées, revendiquant l’ensemble des gens supposés d’origine musulmane, dans la vie politique de plusieurs pays en manipulant le poids électoral et le chantage du communautarisme… ».