Le Monde s’en est fait longuement l’écho, le ministre de la culture a finalement retiré le nom du docteur Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, du « Recueil des célébrations nationales », où l’écrivain apparaissait aux côtés de Philippe de Commynes, Théophile Gautier, Blaise Cendrars ou Frantz Fanon. Une présence jugée incompatible avec les « valeurs fondamentales de la nation et de la République », a justifié M. Mitterrand…contrairement à Frantz Fanon cela va sans dire… C’est la montée au créneau de l’inoxydable Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, qui a été à l’origine de cette épuration, celui-ci exigeant deux jours auparavant « le retrait immédiat de ce recueil car les immondes écrits antisémites de Céline rendaient en effet un tel hommage inadmissible. Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé de ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain. »
Homme de culture et intelligent, Frédéric Mitterrand se doutait certainement de la polémique qui ne manquerait pas de naître de cet hommage à un homme, aussi génial que sulfureux, dont Nicolas Sarkozy a confessé qu’il était son « écrivain préféré ». Une fascination partagée par Carla Bruni qui obtient par le biais d’un de ses amis de rencontrer il ya quelques années sa veuve, Lucette Destouches. « On peut aimer Céline sans être antisémite, comme on peut aimer Proust sans être homosexuel ! » avait précisé le chef de l’Etat à des journalistes qui l’accompagnaient en Inde, en 2008.
Frédéric Mitterrand est donc à l’origine de ce mini-scandale, mais comme le souligne Philippe Randa, il s’est couché devant M. Klarsfeld car « il n’est pas son oncle François. Lui avait rétorqué en son temps, à Jean-Pierre Elkabach qui le harcelait sur ses mauvaises relations durant la dernière guerre mondiale et doutait de l’étendue de son philosémitisme : Que voulez-vous que je fasse ? Que je me convertisse ? »« La décision soudaine de Frédéric Mitterrand (de retirer Céline de ce recueil) est d’autant plus étonnante précise Le Monde que le Recueil des célébrations nationales fait l’objet d’un long travail préparatoire ». « Travail » qui a permis notamment d’exclure de l’édition 2009, « l’écrivain collaborationniste Robert Brasillach, né un siècle plus tôt (qui) devait figurer dans le recueil. »
Interrogé par le quotidien, l’universitaire Henri Godard, qui a édité l’œuvre de Céline dans La Pléiade, a l’exception de ses pamphlets antisémites, et auteur de la notice censurée qui devait figurer dans ce recueil, a déclaré qu’il a « le sentiment d’avoir été piégé. Je suis furieux. »
« Le comédien Fabrice Luchini, qui a longtemps fait salle comble en récitant du Céline, juge cette polémique consternante et insoluble. Va-t-on retirer des librairies Voyage au bout de la nuit ? »
« L’écrivain Philippe Sollers se dit absolument atterré : Quand ça va mal, la littérature est en première ligne, disait Hemingway. Nous en avons ici une démonstration accablante. Le ministre de la culture est devenu aujourd’hui le ministre de la censure. »
« Il ne faut surtout pas s’opposer à la commémoration de Céline, estime pour sa part le philosophe Bernard-Henri Lévy (membre du conseil de surveillance du Monde). Cette commémoration doit précisément servir à explorer l’énigme qui fait que l’on peut être à la fois un très grand écrivain et un parfait salaud»…
« Il nous faut assumer l’héritage contradictoire de Céline, explique de son côté le philosophe Alain Finkielkraut. Jamais un lycée de France ne doit porter le nom de Céline, mais je ne suis pas sûr qu’un tel écrivain ne doive pas faire l’objet de commémoration. » Avant de préciser ses craintes : Je suis surtout très inquiet des conséquences de cette décision, car cela va accréditer l’idée que le « lobby juif » fait la pluie et le beau temps en France. »
« Membre du Haut Comité et préfacier du recueil, l’historien Alain Corbin dit quant à lui qu’il comprend la décision du ministre, mais qu’il ne l’approuve pas. C’est une affaire très délicate, explique-t-il. D’un côté, je conçois très bien que la présence de Céline puisse blesser dans leur chair les survivants de la Shoah ou leurs descendants. Mais, d’un autre côté, on risque ce faisant d’ouvrir la voie à des débats sans fin : il y aura toujours quelqu’un pour dire qu’il est inadmissible de célébrer Thiers parce qu’il a écrasé la Commune, Turenne parce qu’il a ravagé le Palatinat et Rousseau parce qu’il a abandonné ses enfants. »
M. Corbin parle juste, connaissant d’ores et déjà la longue liste des écrivains dont les livres pourraient être caviardés, quand ils ne le sont pas déjà, et qui jugés aujourd’hui à l’aune du politiquement correct « antiraciste », pourraient disparaître à terme de nos bibliothèques sous la pression des groupes de pression communautaires.
Sans même évoquer les cas des écrivains les plus « typés », nous exprimions nos craintes sur ce blog, à l’occasion de la volonté exprimée par certains d’interdire « Tintin au Congo » de vente à la jeunesse, de voir demain certains se livrer à l’épuration posthume de Shakespeare, Montesquieu, Voltaire, Dickens, Maupassant, Jules Verne, Zola ou Lovecraft. Certes, entre Fahrenheit 451, 1984 et Le Meilleur des Mondes, les inquiétantes dérives actuelles de nos sociétés « démocratiques avancées » avaient été anticipées…
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