Le « printemps arabe » tant salué par les « progressistes » semble plus que jamais lourd d’incertitudes. Bien malin qui pourra prédire de quoi il accouchera au final, notamment dans des pays aussi importants pour la stabilité de la région, et partant de celle de l’Europe, que sont la Syrie, l’Egypte et la Libye . Dans ce dernier pays, alors que les frappes de l’Otan s’intensifient, Mouammar Kadhafi est intervenu ces dernières heures à la télévision pour jurer de résister jusqu’au bout et pour appeler son peuple à ne pas plier devant la coalition occidentale. Le journaliste et historien américain Webster G. Tapley (article traduit sur le sulfureux site du Réseau Voltaire), affirme que les membres du Conseil national de transition libyen (CNT), appuyé par Washington et la plupart des chancelleries européennes et qui regroupe les clans tribaux hostiles à Kadhafi, sont largement issus de la nébuleuse terroriste d’Al Qaïda. Une analyse qu’il étaye en se référant à l’étude réalisée par l’académie militaire de West Point sur les archives de l’ « Emirat islamique d’Irak » récupérés par les services et les militaires américains.
Le vicaire apostolique de Tripoli, Mgr Giovanni Innocenzo Martinelli, a relevé de son côté, « l’incapacité de la diplomatie internationale » à « entamer le dialogue avec les dirigeants de Tripoli ». S’inquiétant tout particulièrement du sort des communautés chrétiennes de Libye, Il a déploré que la médiation de l’Union africaine conduite par le Président sud-africain Zuma n’ait pas été soutenue.
« Il me semble a-t-il déclaré, que nous nous trouvons face à des préjudices de fonds qui minent les tentatives de médiation et celles visant à parvenir à une trêve. Je suis frappé par le fait que l’OTAN ait renouvelé pour trois mois l’opération militaire en Libye sans tenir compte d’aucune possibilité de dialogue comme cela est demandé par l’ONU et par le Saint-Père. »« Vouloir diviser la Libye signifie créer également le terrain fertile pour des actes terroristes » a-t-il également relevé.
En Syrie, la situation n’est pas plus claire. Si Alain Juppé a proposé au Conseil de sécurité de l’ONU, un projet de résolution condamnant les violences et les autorités syriennes, cosigné par ses homologues allemand, britannique et portugais, la Russie a indiqué hier qu’elle ne soutiendra pas ladite résolution analogue à celle qui a été adoptée sur la Libye.
Vladimir Tchijov, délégué permanent russe auprès de l’Union européenne a estimé qu’au-delà de la répression sanglante de l’opposition par Kadhafi, « la situation en Libye a montré que l’usage de la force ne donnait pas de réponses. »
Le 18 mai dernier, Le président russe Dmitri Medvedev avait déclaré qu’il n’approuverait pas une résolution de l’Onu autorisant le recours à la force en Syrie (sur les conséquences de laquelle Bruno Gollnisch s’est interrogé dans un communiqué publié sur ce blog). M. Medvedev affirmait que la coalition occidentale manipule la résolution 1973 du Conseil de sécurité au sujet de la Libye, utilisée par l’Otan pour intervenir du côté des insurgés.
La Chine pourrait elle aussi opposer son véto à cette résolution, ne partageant peut être pas elle non plus le point de vue de M. Juppé qui a expliqué qu’ « en Syrie, le processus de réformes est mort, et (que) que Bachar-el-Assad a perdu sa légitimité à la tête du pays » …
Pourtant, dirigeant jusqu’alors un pays très stable eu égard à son environnement, Bachar el-Assad a multiplié ces dernières semaines les promesses de réformes, annonçant la création d’une commission chargée d’instaurer le multipartisme, une amnistie générale pour 450 prisonniers politiques et de conscience; cela n’a pas permis à l’évidence d’enrayer les troubles.
Selon les ONG de défense des droits de l’homme présentes sur place, la répression des manifestations aurait causé la mort de plus de 1 200 personnes en Syrie. Le gouvernement de Bachar-el-Assad réplique en affirmant que le pays est confronté à une vaste entreprise de déstabilisation menée notamment par des extrémistes islamistes.
Une grille de lecture de la révolte actuelle que la télévision d’Etat a voulu conforter hier en rapportant que près de 120 policiers auraient été tués lundi dans l’attaque d’un poste de sécurité à Jisr Al-Choughour (nord ouest). Le porte-parole du gouvernement a indiqué que des « groupes armés commettent un véritable massacre. Ils ont mutilé les cadavres et jeté d’autres dans l’Oronte. Ils ont incendié des édifices gouvernementaux »…
Dans un article publié le 3 juin dans La Tribune, Eric Denécé, ancien du renseignement, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2R), de retour d’un voyage d’étude en Tunisie, en Egypte et en Libye, invitait les commentateurs et les opinions publiques à la prudence dans leur lecture du « printemps arabe ».
« Il y a dans ces pays explique-t-il une réelle aspiration à plus de liberté, mais pas nécessairement à plus de démocratie. Par ailleurs, je ne crois pas à la spontanéité de ces révolutions , qui étaient en préparation depuis plusieurs années. Dès 2007-2008, des conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, comme Freedom House, l’International Republican Institute ou Canvas, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont instillé le germe de la démocratie, créant un contexte favorable aux révolutions. Le processus était le même que celui qui a précédé le démantèlement de l’URSS, la Révolution serbe, la Révolution orange en Ukraine ou encore celle des Roses en Géorgie. »
« Dans la semaine précédant les événements indique-il encore, , les plus hauts représentants des armées de Tunisie comme d’Égypte se sont rendus à Washington, qui assure l’essentiel du financement de l’armée, pour obtenir le feu vert des États-Unis à un renversement des dirigeants. Ils ne supportaient plus la prédation des clans au pouvoir. »
Evoquant plus précisément le cas de l’ Egypte il indique : « Il est tout de même étonnant que dans ce pays où existent un militantisme islamiste et un net sentiment anti-israélien, aucun slogan anti-israélien ne soit apparu pendant les manifestations. C’est bien l’indice d’une révolution sérieusement encadrée. Quant à la nouvelle équipe au Caire, elle comprend le chef d’état-major de l’armée ainsi que l’ancien chef du service des renseignements, et s’est immédiatement engagée à respecter les accords internationaux signés, notamment les accords de Camp David auxquels est hostile une large partie de la population. »
Les bouleversements en Egypte et en Tunisie s’apparentent donc à « un renouvellement des classes dirigeantes qui ont, avec l’accord de Washington, organisé des coups d’État en douceur , en profitant d’une vague de contestation populaire qu’elles ont intelligemment exploitée (…). D’ailleurs, pour Washington, c’est un changement dans la continuité modifiant peu l’équilibre régional, ce qui est étonnant pour des révolutions. »
« Beaucoup de problèmes risquent de surgir » prévient-il encore, « une partie de la population va réaliser qu’elle a été flouée. D’où de possibles chocs en retour et une reprise des émeutes (…). Enfin, les islamistes se sont pour l’instant montrés plutôt discrets. Mais jusqu’à quand ? »
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