Suis-je un grincheux impénitent ? Un réactionnaire endurci ? Peut-être, mais peut-être aussi ai-je quelques raisons de l’être :
En train
Dans ma jeunesse, on achetait un billet de train sur un trajet quelconque ; le billet restait valable pendant deux ans, et l’on pouvait monter, serait-ce au dernier moment, dans n’importe quel train partant pour la désignation choisie. Certes le risque existait, en période de pointe, que l’on n’ait pas de place assise. Mais la réservation était toujours possible. Aujourd’hui elle est obligatoire, et ne vaut que pour un train déterminé. Des pénalités sont imposées si l’on n’a pas pu prendre exactement celui que l’on avait réservé. Les tarifs varient d’un jour à l’autre, et même d’une heure à l’autre. Est-ce vraiment un progrès ? Le Shinkansen, le TGV japonais, toujours d’une propreté impeccable, sillonnant de part en part un pays montagneux deux fois plus étiré que le nôtre, a coupé la poire en deux : la majorité des compartiments sont accessibles sur réservation, mais il y en a quatre dont les places sont libres, au fur et à mesure des arrivées, de sorte qu’on peut le prendre comme le métro.
En hôtel
Le matérialisme aidant, et la rentabilité financière ayant pris le pas sur toute notion de service, le train n’est pas la seule prestation dont les tarifs varient en fonction du jour et de l’heure, selon la sacro-sainte loi de l’offre de la demande. Un hôtel dont j’étais un client régulier depuis 25 ans a soudainement plus que doublé le prix de ma chambre en raison de l’affluence ponctuelle d’une foire commerciale dans la ville. Et c’est maintenant partout la même chose. Il ne vient plus à personne l’idée que la stabilité des prix est aussi un élément de la fidélité que l’on doit aux clients…
En avion
Dans le monde de l’aéronautique, les tarifs évoluent au rythme d’un chef d’orchestre fou : un aller-retour coûte souvent moins cher qu’un aller simple. Ayant passé le cap des 60 ans, Air France m’avait gratifié de la possibilité de bénéficier du tarif « senior ». À 63 ans, sans beaucoup d’élégance, ce bénéficie m’a été retiré, au motif que l’âge minimal était reporté à 65 ans. Quand j’ai franchi ce stade, le tarif en question n’était plus disponible que moyennant l’achat d’une carte, d’un montant de 49 €. Soit. Ne serait-il pas plus simple de rogner un peu sur les avantages de ce tarif, et de dispenser les personnes, par définition âgées, de l’achat d’une carte… qui ne se peut acquérir que sur Internet, dont précisément beaucoup de ces personnes ne disposent pas, ou qu’elles ne parviennent pas à manier facilement ?
Comble du « progrès », le service téléphonique d’Air France est incapable de vous dire, lorsque vous voulez acheter un billet, si votre carte annuelle est toujours valide. Car c’est une autre compagnie : « Hop », pourtant filiale de la première, qui gère ces dossiers. Dissociation dont à vrai dire on ne comprend guère l’intérêt. Impossible aussi pour le client de vérifier sur la carte en question, car la « carte »… n’en est pas une ! On ne la reçoit pas. Elle est totalement dématérialisée. On n’arrête pas le progrès…
Récemment, j’achète un aller-retour de Paris à Toulon–Hyères, où j’ai quelques attaches. Je prends l’aller-retour un peu plus cher, afin d’être assuré de pouvoir changer le jour de mon retour, initialement prévu pour un vendredi. On m’assure que le billet est bien interchangeable moyennant 10 Euros de plus, et sous réserve bien sûr, me dit-on aimablement, de modification tarifaire…
Je décide finalement d’aller soutenir, lors d’une de ses réunions publiques, celui qui fut mon assistant parlementaire, et qui est devenu un ami, Amaury Navarranne, Conseiller régional, conseiller municipal de Toulon, et notre excellent leader dans cette ville. Je demande à rentrer le samedi au lieu du vendredi. On me dit alors d’une voix suave que la modification de ce retour ne me coûtera en effet que 10 Euros… et 200 de plus, « au titre de la modification tarifaire ». De qui se moque-t-on ?
À la Banque
Il m’arrive de devoir régler quelques problèmes, que ce soit avec ma banque, avec la sécurité sociale, avec mon abonnement téléphonique ou mon fournisseur Internet, etc. j’avoue ne plus supporter ces standards impersonnels du type : « si vous voulez ceci : tapez 1, ou cela : tapez 2, ou encore : tapez 3, etc. » qui se terminent souvent, avant que l’on accède enfin à un être humain, par des attentes interminables, étant entendu que la facturation de la communication intervient « aussitôt après le bip sonore », c’est-à-dire que l’on vous fait payer l’attente au prix fort !
Autrefois, vous disposiez du numéro d’appel direct de la personne qui s’occupait, à l’agence, de votre compte. Aujourd’hui, on tombe sur un standard national parfaitement impersonnel. Quelle est dès lors l’utilité d’avoir un compte dans une agence ? Je comprends le succès des banques en ligne, et la fermeture corrélative de nombreuses agences bancaires que j’avais vu sans enthousiasme s’implanter au cours des dernières décennies, toutes les fois que fermait une boulangerie ou un petit commerce ….
Espionnage
Pour autant, les banques ne dédaignent pas de compiler sur leurs clients toutes sortes de renseignements. Si vous voulez ouvrir un compte, il vous suffisait autrefois de justifier de votre identité et d’apporter de l’argent. On ne vous demandait d’autres informations que si vous sollicitiez un crédit.
Aujourd’hui, c’est moins simple : on exige vos bulletins de salaire, vos déclarations d’impôts, vos revenus, sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années, vos intentions de dépenses, etc. : c’est une véritable inquisition. Si vous avez quelques valeurs mobilières héritées de vos parents, vous ne pourrez les vendre qu’après avoir rempli un fastidieux questionnaire détaillant votre « profil d’investisseur », votre « niveau de connaissance » du monde financier, etc.
L’inquisition se poursuit, si vous avez une rentrée d’argent de quelqu’un importance. Ou même une sortie : sans pour autant que votre compte soit à découvert, on aura le culot de contrôler vos dépenses. Je me souviens ainsi que j’avais un jour fait un chèque de 10 000 € pour rembourser un prêt qui m’avait été fait à l’occasion d’une importante campagne électorale. Je reçus peu après un appel de ma « conseillère », me demandant un peu gênée quelle était exactement la destination et l’usage de cette somme.
- Pourquoi Madame ? demandais-je. La provision n’était pas sur le compte ?
- Si Monsieur, mais nous sommes obligés par la réglementation de nous informer.
- Mais Madame, je suis de la vieille école, vous êtes le dépositaire de mon argent ; vous n’êtes pas mon tuteur, et l’usage que j’en fais ne regarde que moi.
- Mais nous sommes obligés, Monsieur, c’est pour Tracfin…
- Par mesure de provocation, je répliquais alors : « Eh bien madame, veuillez dire à ces messieurs qu’à mon âge les jeunes maîtresses coûtent cher. J’espère qu’ils comprendront… »
- Oh Monsieur ! Nous savons bien que vous n’êtes pas comme cela…
- Madame, vous n’avez pas idée du nombre de gens qui n’ont pas l’air « d’être comme cela », et qui cependant le sont bien…
Big Brother
Cet incident s’est reproduit avec une autre banque sur le compte de laquelle j’avais déposé une somme qui pourtant n’avait rien d’exceptionnel. Irrité, je suis allé voir les textes légaux qui justifiaient cette curiosité. Il s’agit en théorie de lutter contre le blanchiment d’argent, (provenant principalement du trafic de drogue), et contre le terrorisme. Sous ces prétextes aussi louables dans le principe que fallacieux dans leur application, on a fait gober une loi au législateur, et l’on a pris ensuite une réglementation, qui oblige tous les banquiers à se faire les espions zélés de leurs clients…
La transparence prétendue est en marche ! Dormez braves gens, « Big Brother » veille sur vous ! Je pense pour ma part que dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on assiste plutôt à la progression d’un totalitarisme nouveau : le totalitarisme de type « démocratique et libéral ». Il paraît que c’est le progrès…
[…] https://gollnisch.com/2020/03/13/il-parait-le-progres/ […]