Sur fond de grandes difficultés économiques et d’un chômage flirtant avec le seuil des 20%, le résultat des « premières élections libres » en Tunisie ont fait l’effet d’une douche froide. A commencer chez ceux qui sont toujours prompts à projeter leur idéal droit de l’hommiste sur un printemps arabe dont les acteurs ont assez peu à voir avec ce qu’on bien voulu nous en dire le tam-tam médiatique hexagonal et la propagande officielle. Selon les premiers résultats partiels annoncés par la commission électorale (ISIE), le parti islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi arrive, de très loin, en tête de l’élection de dimanche en Tunisie ou était en lice une centaine de partis ! Il devance ses concurrents rapporte l’Afp, dans neuf des 27 circonscriptions du pays, notamment dans la métropole économique de Sfax » à Sousse, « obtient 28 des 55 sièges dans ces neuf circonscriptions » et peut espérer au final décrocher une soixantaine d’élus.
Une configuration qui l’obligera à trouver des accords. Ali Larayd, membre du comité exécutif d’Ennahda a évoqué la possibilité d’une alliance avec le Congrès pour la république (CPR, gauche nationaliste) de Moncef Marzouki avec lequel des contacts avaient été noués avant le scrutin et l’Ettakatol (gauche) de Moustapha Ben Jaafar qui ont obtenu un nombre significatif de voix
Une élection jugée « libre » et « transparente », malgré quelques « irrégularités mineures » selon les observateurs internationaux, dont les résultats ne manqueront pas d’être comparés avec ceux des législatives en Egypte le 28 novembre, où le parti des Frères musulmans –dont Ennahda est une émanation- est crédité de 35% des voix. Egypte où comme le notait Bernard Lugan, la tragique situation de la communauté Copte, dont la manifestation contre les incendies de leurs églises a été sauvagement réprimée au Caire le 9 octobre -24 morts, 200 blessés-, « semble moins émouvoir le président de la république française que les islamistes de Benghazi au bénéfice desquels il a fait intervenir l’armée française… »
Mais en Tunisie même, faut-il s’étonner que le peuple tunisien se soit massivement tourné vers un parti politique incarnant, qu’on le veuille ou non, la défense des valeurs de l’islam en opposition avec celles d’un occident considéré, non sans raison, comme « décadent » ? Dans ce pays comme en Egypte, les islamistes ne capitalisent d’ailleurs pas seulement au sein des classes populaires, réputées chez nous aussi « frustres » que « les salauds de Français qui votent FN », mais aussi chez les étudiants, au sein de l’élite intellectuelle et des professions libérales.
Tout à sa stratégie de séduction, Ennhada entend rassurer les investisseurs étrangers en affirmant avoir rompu avec le fondamentalisme et qu’il est désormais « modéré » prônant un islam « à la turque » et revendiquant devant ses interlocuteurs européens sa proximité avec l’AKP, le parti « islamo-capitaliste-conservateur » au pouvoir à Ankara …
Questionné sur Ennahda, Pierre Vermeren spécialiste du Maghreb et historien à l’université de Paris 1, relève dans les colonnes de Directmatin que « pour les Tunisiens il n’y a pas d’incompatibilité entre islam et liberté. Le régime de Ben Ali se disait démocratique et moderne. Les Tunisiens veulent tourner la page de ce régime corrompu et ils estiment que les religieux respecteront davantage le contrat moral (…). »
« Les Tunisiens poursuit-il, veulent assumer leur identité et ne souhaitent pas que leur révolution soit récupérée par des diplômés francophones qui ont fait leur vie en Occident. Il s’agit d’un vote nationaliste et Enhada draine un héritage idéologique, entretenu par l’éducation et les chaînes arabes que les Tunisiens regardent.» «Héritage», « identité », « nationalisme »… autant de notions honnies constate Bruno Gollnisch et pour le coup interdites de séjour sous nos latitudes…
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