Le sacrifice d’Hosni Moubarak par le clan des militaires égyptiens –qui jouissent toujours du soutien de Washington- empêchera-t-il demain les Frères musulmans d’arriver au pouvoir, fort de leur popularité, de leurs critiques constantes de la corruption, de leurs réseaux et auréolés de leur opposition historique au régime place ? Une question plus que jamais d’actualité à l’heure où le Caire est de nouveau la proie de violentes émeutes qui ont entraîné la chute du gouvernement d’Essam Charaf lundi soir. L’acte II de la révolution égyptienne a débuté selon de nombreux commentateurs à quelques jours de la tenue des élections législatives prévues le 28 novembre.
Frères musulmans qui comme le parti de Moubarak ont appelé à voter OUI au référendum de février dernier au cours duquel plus de 77% des électeurs ont validé les amendements constitutionnels. Ceux-ci ont préservé l’article 2 de la Constitution, qui stipule que l’islam est la religion de l’Etat et que les principes de la charia constituent la source principale de la législation. Le grand imam d’Al Azhar avait prévenu qu’il n’était pas question de toucher à cet article « sous peine de provoquer des troubles. »
Actuellement à la tête de l’Etat, via le Conseil suprême des forces armées (CSFA), le maréchal Hussein Tantaoui tente de circonscrire l’incendie. Dans une déclaration faite hier, après plusieurs jours d’affrontements place Tahrir où l’armée a tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant plusieurs dizaines de morts, il s’est engagé à avancer la date de l’élection présidentielle avant la fin juin 2012.
Très critiqué dernièrement par la communauté occidentale pour sa complaisance supposée vis-à-vis du programme nucléaire iranien, Mohamed El Baradei, ex-chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est candidat déclaré à cette élection et a dénoncé un « massacre » sur la place Tahrir. Si le CSFA a évoqué la possibilité de le nommer comme nouveau Premier ministre (pour le « mouiller » et décrédibiliser sa candidature présidentielle ?), un « expert occidental au Caire », cité en février dernier sur le blog du journaliste Georges Malbrunot, estimait que Mohammed al Baradeï n’a ni réseau, ni légitimité. C’est un peu Jack Lang utilisant les médias et rêvant d’acquérir une stature nationale. Mais si Baradeï n’a pas grand monde derrière lui, et que d’autres le poussent à y aller, qui va gouverner ? Les Frères musulmans qui sont en embuscade, en attendant leur heure ».
Jean-Claude Galli le relève pareillement dans France Soir aujourd’hui, « même si, à présent, ils souhaitent calmer le jeu et demandent à leurs membres et sympathisants de ne plus participer aux manifestations, les Frères n’en ont pas moins lancé la fronde contre l’armée (à la sortie des mosquées, le vendredi 18 novembre). A1ors qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en lamente, les Frères musulmans entendent diriger l’Egypte à leur main ».
Mais « qui sont les Frères musulmans égyptiens ? Des islamistes conservateurs modérés avec lesquels on peut désormais traiter » ou « de dangereux extrémistes religieux qui cachent habilement leur jeu pour accéder au pouvoir, avertissent quant à eux leurs détracteurs. Qui faut-il croire ? Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, quand il assure qu’il ne faut pas craindre les aspirations des peuples arabes à la démocratie et aux réformes ? Et donc s’accommoder de la présence des Frères au pays des pharaons ? Ou bien le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Richard Prasquier, quand il affirmait, au début de l’année, que l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir serait une catastrophe pour la paix et pour l’Egypte elle-même . Ces derniers représentant, selon lui, un danger pour l’ensemble de la civilisation » ?
Et Jean-Claude Galli de rappeler encore que « la branche palestinienne de l’organisation a, pour sa part, engendré le Hamas, aujourd’hui au pouvoir dans la bande de Gaza et ennemi mortel d’Israël. »
Evoquant dans son éditorial dans le Nouvel Observateur le 3 novembre dernier la victoire des nationalistes-islamistes du parti Ennahda en Tunisie, Jean Daniel écrivait que « les Tunisiens nous rappellent qu’une révolte même victorieuse contre le tyran peut ne pas être une révolution contre la religion. » « Les Frères musulmans en Egypte notait-il encore, se sont félicités de ce que leurs frères tunisiens aient fait avancer leur propre cause ».Quant aux Libyens « ils ont confirmé successivement le caractère théocratique de leur futur gouvernement et le fait qu’ils voulaient de présenter comme des musulmans modérés- sans que l’on puisse encore savoir sur quoi porte cette modération, surtout après le meurtre de Kadhafi. »
Certes, la prudence inquiète du fondateur du Nouvel Obs sur l’évolution des révolutions arabes n’est pas partagée par tous. En témoigne le numéro assez ahurissant du collègue d’Alain Juppé, Bernard-Henry Lévy, qui plastronnait le 20 novembre lors de la première Convention nationale organisée par le Crif . « C’est en tant que juif que j’ai participé à (l’) aventure politique (en Libye) , que j’ai contribué à définir des fronts militants, que j’ai contribué à élaborer pour mon pays et pour un autre pays une stratégie et des tactiques ». « Je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas été juif », « J’ai porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël », a-t-il déclaré.
Si l’on est en droit de douter que les objectifs, la « stratégie », les « tactiques » et la « fidélité » de BHL soient partagées par les peuples musulmans concernés, les propos de M. Daniel sont eux assez révélateurs du trouble de l’Etablissement. Et plus largement des inquiétudes des chancelleries occidentales devant les acteurs d’un « printemps arabe » qui semblent assez peu sensibles à la « vision du monde progressiste » et aux « valeurs des droits de l’homme », bref à l’idéologie dominante de nos sociétés dites «avancées ». En tout état de cause, l’évolution de la situation confirme pleinement les avertissements formulés depuis plusieurs mois par Bruno Gollnisch et Marine Le Pen.
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