En mai 2018, une note rédigée par la Direction Générale du trésor (ministère de l’économie et des finances) faisait un point rapide sur la situation économique du Mexique et soulignait que ce pays faisait « toujours figure de bon élève en Amérique latine avec une croissance régulière bien qu’en ralentissement (2,9% en 2016, 2% en 2017 selon l’INEGI) (…). En 2018 et 2019, la croissance pourrait rebondir, grâce à l’effet positif à court terme de la réforme fiscale américaine sur l’activité économique et la demande aux Etats-Unis (…). Les risques sont toutefois toujours bien présents : les incertitudes demeurent quant à l’issue de la renégociation de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain, liant le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, NDLR) , ainsi qu’à celle des élections présidentielles de juillet qui pourrait voir triompher le candidat de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador porteur d’une politique économique de rupture. » Le triomphe pressentie a bien eu lieu et c’est avec un résultat qualifié d’historique par son ampleur,après deux échecs consécutifs, que M. Lopez Obrador, 64 ans, surnommé AMLO d’après ses initiales, a remporté la présidentielle le 1er juillet. Une élection couplée avec des scrutins locaux et régionaux dans lesquels son parti, le Mouvement de régénération nationale (Morena) s’est taillé la part du lion, notamment à l’Assemblée.
Prônant une « gouvernement austère et honnête», Amlo a mené campagne sur les thèmes de la lutte contre la corruption -« le plus grand fléau du Mexique »- sa volonté de récupérer « l’argent des corrompus », soit « 21 milliards d’euros par an », pour financer un ambitieux plan de lutte contre le pauvreté. Pauvreté affirme-t-il sans grand risque d’être contredit, nourrissant la criminalité des cartels de narco-trafiquants qui gangrènent et menacent directement la pérennité de l’Etat mexicain – nous allons y revenir.
Andrés Manuel Lopez Obrador avait eu des mots très durs contre Donald Trump, le qualifiant de « brute irresponsable. » Dans sa ligne de mire figuraient les engagements très directs de M. Trump pour lutter contre l’immigration (clandestine, mais pas que) sud-américaine en générale et mexicaine en particulier. Un des éléments clés de sa campagne de 2016, une promesse de fermeté qu’il essaye de tenir depuis qu’il est à la Maison Blanche.
De l’autre côté du Rio Grande, il est clair que M. Lopez Obrador n’ a pas que des amis au sein des médias, des milieux d’affaires et de la classe politique yankee. Il est souvent affublé de l’épithète de de socialiste, voire de communiste, et il est souvent rappelé qu’il bénéficia lors de la campagne présidentielle de 2006 (son rival Felipe Calderon l’avait emporté) du soutien appuyé du président vénézuélien Chavez et plus généralement de tous les mouvements de gauche sud-américains dénonçant (non sans raison) l’impérialisme états-uniens. Le nouveau président a cependant pris soin de rassurer les marchés dans la foulée de sa victoire en affirmant qu’il ne souhaitait pas que son pays sorte de l‘ALENA, accord dont Donald Trump souhaite une remise à plat.
Même satisfecit de la part du président américain : « Donald Trump avait également fait savoir un peu plus tôt qu’il avait eu une bonne discussion téléphonique avec le président Lopez Obrador, prédisant une très bonne relation à venir. Je crois qu’il va essayer de nous aider sur la frontière, a-t-il ajouté. La question des flux migratoires en provenance Mexique est un sujet brûlant aux Etats-Unis. Les mesures prises par l’administration Trump visant à réduire l’immigration illégale ne cessent de mobiliser contre elles l’opposition et une partie de la société civile.» Clivage il est vrai radical aux Etats-Unis, par definition un pays-monde affirme Jacques Attali, une terre d’immigration rappellent les partisans béats des sociétés ouvertes, mais nation au sein de laquelle l’élément ethnique fondateur est devenu minoritaire…même si la population blanche européenne reste de loin la plus grosse minorité.
Certes, M. Trump sait parfaitement que ce thème de la lutte contre l’immigration lui vaut le soutien indéfectible d’une très large partie de son électorat. Immigration des latinos qui a changé le visage de l’Amérique comme l’immigration afro-maghrébine celui de nos sociétés européennes.
Deux problèmes migratoires qui diffèrent assez sensiblement, mais il est possible d’ établir certaines similitudes entre les deux situations. Comme ce fut le cas avec les départs vers l‘eldorado européen de millions d’Africains ces dernières décennies, c’est la légère augmentation du niveau de vie des Mexicains qui, à la la fin des années 60, a permis à des millions d’entre eux de payer le voyage (et notamment les passeurs) pour se rendre vers la terre promise américaine. Pareillement, les Mexicains (en situation régulière ou non) présents aux Etats-Unis il y a trente ans, qui occupaient des emplois mal payés dont les WASP ne voulaient pas, ont fait venir leur famille et du fait de la poursuite de l’immigration, ils sont désormais plus de trente millions à y vivre.
Un poids démographique qui donne un crédit certain à ceux qui parlent d’une recolonisation par l’immigration des territoires (Texas, Nouveau-Mexique, Californie…) arrachés au Mexique au XIXe siècle par les Etats-Unis. Les Mexicains forment désormais en de nombreux endroits un Etat dans l’Etat. Une situation qui permet à beaucoup d’immigrés sud-américains de se dispenser de parler l’anglais , les enclaves hispanophones ne cessant de s’étendre.
Et comme chez nous, cette immigration massive a engendré une délinquance endémique, sachant que la vieille Europe, certes victime du terrorisme, ne connaît pas (encore?) le degré de violence et d’organisation qui est celui des très sanglants et tentaculaires gangs latinos (mexicains, costaricains, colombiens, panaméens…). M. Trump s’était engagé au cours de sa campagne à les combattre, à expulser les membres des gangs et ce langage martial avait rencontré également un fort écho auprès des électeurs.
Il faut aussi avoir présent à l’esprit ce que, de ce côté là de l’Atlantique, nous percevons peu ou mal, à savoir les inquiétudes des autorités américaines sur le devenir du Mexique. De quel crédit et de quelle marge de manœuvre jouit encore le pouvoir central confronté à la puissance de frappe et à l’agressivité des cartels de la drogue mexicains? Ces derniers engrangent chaque année des centaines de millions de dollars, possèdent de véritables armées privées, contrôlent des portions entières du territoire mexicain, corrompent politiciens et administrations, disposent de relais dans de nombreuses métropoles et mégalopoles américaines…
D’autant que la situation s’est encore aggravée sur le front de l’insécurité. Plus de 200 000 personnes ont été tuées au Mexique depuis 2006 rappelait RT dans l’article précité. En 2016, un rapport de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) basé à Londres, indiquait que le Mexique se classait juste derrière la république arabe syrienne, alors en lutte pour sa survie face aux terroristes islamistes, en terme d’homicides avec plus de 23 000 assassinats, en augmentation de 11 %par rapport à l’année 2015. Fin novembre 2017, la barre des 23 100 assassinats répertoriés sur les onze derniers mois écoulés avait été franchie.
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